Cosmorama, l’étonnement radiophonique

Quand commence Cosmorama, on ne sait jamais à quoi s’attendre. L’indicatif lui-même se renouvelle régulièrement. On part pour un quart d’heure de « Collage Sonore à Vocation Radiophonique », et on ne sait ni de quoi ça causera, ni quelles formes ça prendra. Simplement qu’on aura les oreilles étonnées et le regard rêveur. Depuis 2011, Jean Christophe Ozanne invente chaque semaine une singulière radiophonie sur l’antenne associative de R-Dwa à Die, un « intermède de création » aujourd’hui rediffusé sur dix-neuf autres radios. Souvent seul, parfois en confiant quelques séquences à des compagnes et compagnons de route, comme Ada Meyssoun Siguret (auparavant productrice d’une émission parente, les Jardins du Cosmonaute)Yann Boudaud, Hicham Amekdouf et Guillaume Racine.

Peinture de Jean Christophe Ozanne, 2010, tous droits réservés.

Peinture de Jean Christophe Ozanne, 2010, tous droits réservés.

« Mon travail consiste à assembler, des mots, des groupes de mots, des lignes des surfaces, des couleurs, des sons de diverses natures. J’ai commencé par écrire, puis la peinture est arrivée, puis la composition sonore », explique Jean Christophe Ozanne. Le tout premier Cosmorama donnait superbement le ton : des lectures entremêlées d’un roman de Cormac Mc Carthy, un accordéon joyeux mixé avec une nappe sombre, une respiration encombrée, la mer, des tambours, et déjà la voix féminine de synthèse que l’on retrouvera régulièrement, qui nous devient presque amicale au fil des émissions. Robot envoûtant, cette voix signe un certain rapport au monde : étrange et familier, radicalement ému, radicalement lointain. Un monde où les machines peuvent parfois être plus sensibles que les humain⋅e⋅s. Un monde où l’on va confier la part la plus intime à un automatisme, peut-être précisément pour réussir à exprimer cette part-là, dérisoire et rayonnante, et à l’exprimer simplement, sans lyrisme. Le langage se fait mécanique, se creuse d’ellipses, se hache, se trouve d’autres règles pour devenir poésie. Jusque dans les titres (« Et avançant <> Oui », « Ou bien 1 »…) et les descriptifs mathématiques de la programmation, comme celui de Cosmorama 134 – Du côté des fraises :
« mus / Anima . A – Vladislav Delay
rec / parler de moi & radio Paisaje »

Cosmorama fait feu de tout bois sonore : musiques, field recording, extraits d’émissions de radio ou de films, lectures et autres voix off… Une inlassable curiosité pour la matière sonore sous toutes ses formes. En fait, une inlassable curiosité tout court, une interrogation permanente de ce qui nous entoure, une exploration des atmosphères qui nous constituent. Pas de message, et pourtant rien de gratuit dans les juxtapositions et superpositions, dans les ruptures et les fondus : dans les minutes qui suivent l’écoute, Cosmorama se poursuit dans la tête, on se demande ce qu’on a entendu exactement. On se sent plus savant⋅e, mais on ne sait pas de quoi. Peut-être d’un voyage, l’espace de quelques minutes, dans la tête, les oreilles, la mémoire, de quelqu’un d’autre. Ou d’une musique métaphysique que l’on découvre partout, par exemple dans la confrontation entre des conseils pour le débutant en course à pied et une interview de George Perec. Et certainement d’une écoute passionnante où toutes les langues, celles que nous parlons ou non, semblent à la fois parfaitement universelles et parfaitement spécifiques.

La radiophonie est ici à la fois ce qui relie et ce qui surprend, ce qui extirpe le proche de sa banalité et ce qui rend l’ailleurs compréhensible. Elle est l’expérience toujours recommencée de créer un langage partagé, « avec au cœur le désir de malaxer découvrir magnifier des morceaux de cultures, des questionnements qui nous sont communs, peu ou prou, à nous tous1 ».

Note :

1 Courriel de Jean Christophe Ozanne.

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