Pour ce cinquième épisode de la série « sons inouïs », Syntone part explorer ce qui s’agite au ras du sol et au cœur des végétaux. L’inouï, c’est ici ce qu’on pensait sans-voix, hors-son, silencieux – et qu’on découvre simplement inaudible : ce n’est pas parce que l’oreille humaine ne l’entend pas que ça n’existe pas. Comme auparavant en milieu aquatique, les technologies de captation et d’amplification nous permettent là de nous débarrasser d’un certain anthropocentrisme acoustique et de tendre l’oreille vers le très-petit, le minuscule, l’infinitésimal.
Le milieu aquatique, justement, retournons-y, mais depuis la rive, avec la splendide pièce de Hildegard Westerkamp, Kits Beach Soundwalk (en écoute sur le lien). Dévoilant de façon poétique le processus de filtrage et nettoyage de la captation, la compositrice fait petit à petit disparaître la ville pour pouvoir donner à écouter d’infimes sons aigus, ceux émis par la rencontre de l’eau avec de petits crustacés accrochés aux rochers. L’occasion d’une lente dérive vers l’imaginaire autour des sonorités « qui nous donnent de l’énergie ».
Faire disparaître tous les sons pour en entendre de nouveaux, c’est aussi ce qu’a tenté la BBC, mais de façon beaucoup plus mathématique : prenez l’un des plus grands audionaturalistes du moment, Chris Watson, pourvu des micros les mieux adaptés à la situation, et placez-le dans une chambre anéchoïque en compagnie de quelques mille-pattes et escargots. Voilà ce qu’il advient :
La suite de cet article, pleine de microscopiques vacarmes, nous renforcera dans l’idée que l’escargot est sans doute, en dehors de ses repas, l’être vivant le plus silencieux de la terre. Dans son album Orchestre animal, Boris Jollivet nous donne par exemple à entendre, entre autres sons animaux, les tambourinements et le cri de l’araignée-loup (pistes 4 et 15, en écoute sur la page du CD). Jez riley French nous permet quant à lui de comparer le son des fourmis selon qu’elles mangent un abricot ou une fraise :
Et le collectif lituanien Sala a recueilli le son de leur insatiable activité sur un hydrophone posé sur un sol détrempé :
David Dunn, qui se situe au croisement du field recording et de la bioacoustique, s’intéresse quant à lui au son des insectes dans les arbres non seulement pour leur musicalité, mais surtout comme indicateur d’un désastre écologique en cours. Il établit, dans la documentation consacré à ce projet poétiquement et terriblement nommé The Sound of Light in Trees (le son de la lumière dans les arbres), « la corrélation entre des colonies d’insectes en expansion rapide, la déforestation et le changement climatique ». Il met en ligne les sonagrammes (visualisations en analyse spectrale) de ses enregistrements de divers pins, accompagnés des fichiers sons correspondant : les splendides sonorités de coléoptères circulant à l’intérieur des arbres sont en fait le signe d’une infestation de ces derniers. Un autre extrait de son travail est audible dans un reportage de NPR.
On évoquera enfin1 le grand shaman du son des insectes, celui qui enregistra le son du ver qui se délecte d’une pomme ou du bois d’une armoire, le danois Knud Viktor, qui s’installa dans le Lubéron dans les années 1960 pour y créer des « peintures sonores ». On l’entend évoquer son travail dans cette vidéo de l’INA, avec quelques prises de son en fond sonore. On pourra aussi approfondir par l’écoute d’un Atelier du son de France Culture.
Pour avoir de quoi nourrir ses oreilles pendant quelques heures supplémentaires, on trouvera des insectes à foison dans de beaux projets électroacoustiques comme ISZ de Miguel Isaza chez le netlabel Impulsive Habitat, ou comme cet Earscape proposé par d.l. lutz dans l’émission Framework sur Resonance FM.
Non seulement peut-on prêter l’oreille à ce qui vit dans l’arbre, mais on peut aussi écouter l’arbre lui-même. L’artiste britannique Alex Metcalf propose par exemple une installation qui permet d’entendre ses sonorités internes, essentiellement la circulation de l’eau et les vibrations dues au vent (allez à 4 min. 10 pour passer la guitare et accéder au son du hêtre) :
Dans une démarche proche de celle de David Dunn, une équipe de scientifiques grenoblois menée par Alexandre Ponomarenko a quant à elle récemment démontré que les arbres souffrant de sécheresse produisent de microscopiques « clics » ultrasoniques qui correspondent au développement de bulles d’air empêchant la bonne circulation de la sève. Une vidéo sur le site de l’INRA les fait entendre (allez à 2 min. pour passer Ennio Morricone et accéder au son des arbres). De son côté, le projet trees dirigé par Marcus Maeder veut s’appuyer sur des outils à la fois artistiques et scientifiques pour saisir et analyser la signature acoustique des arbres, comme celle d’un pin sylvestre en écoute en bas de page ici.
Les végétaux émettent des sons, donc, mais ils les perçoivent aussi. C’est en tous cas l’hypothèse d’une étude australienne menée par Monica Gagliano et qui ressemble à une fable de La Fontaine : du piment, entendant du fenouil pousser à proximité, se dépêcha de grandir pour se préserver de ce redoutable concurrent. Mais gare, les Robocops sensoriels arrivent : comment s’en sortira le malin piment face aux plantes cyborgs et autres plantoïdes que nous préparent les laboratoires ? Rendez-vous sur Syntone dans cinquante ans pour le savoir.
Notes :
1 Merci à Marc Jacquin pour son rappel : Knud Victor est si gigantesque dans ce paysage de l’infime qu’on avait fini par l’oublier…Lire les autres articles de la série « Sons inouïs » :
- Sons inouïs #1 : « À l’écoute de l’espace »
- Sons inouïs #2 : « Sous les eaux et dans les glaciers »
- Sons inouïs #3 : « Quand la terre tremble et crache le feu »
- Sons inouïs #4 : « Au grand air »
- Sons inouïs #6 : « La vie moderne »
Image de sommaire : Luis Mata, «
Salut à Etienne et la Syntonie,
Deux pistes sonores :
– Une scientifique et radiophonique, avec la dernière livraison de « Sur les épaules de Darwin », où Jean-Claude Ameisen conte l’apprentissage des chants d’oiseaux dès l’œuf http://www.franceinter.fr/emission-sur-les-epaules-de-darwin-des-chants-appris-avant-de-naitre
– Une artistique, sonore et graphique, celle de Giuseppe Penone, invité « Sur le sentier des lauzes » : » Percutant l’arbre à l’aide d’un maillet, il enregistre sa résonance, la décode numériquement, l’écrit enfin sur une portée musicale – on peut alors entendre, transcrite par exemple pour violon, résonner l’âme de l’arbre, l’âme unique de chaque arbre, son identité…
Les enregistrements sonores de Giuseppe Penone sont au cœur de l’exposition présentée à l’atelier refuge sur le sentier des lauzes » … « Dans cette exposition un dispositif d’écoute est proposé afin de découvrir l’oeuvre sonore, accompagnée d’une série de gravures des arbres réalisées par Penone, ainsi que des partitions de chaque essence d’arbre.
Un film réalisé par Marco Di Castri lors de la résidence de Giuseppe Penone en Ardèche est également en projection continue » + livre d’artiste « Transcription musicale de la structure des arbres » édité par Bernard Chauveau ainsi que le carnet retraçant le parcours « Traversées ».
Plus d’infos ici :
http://www.surlesentierdeslauzes.fr/agenda/agenda.html
Merci François pour ces pistes. (On ne sait pas pourquoi, ton commentaire était resté coincé en attente de modération)