Notre série des « sons inouïs », passée par l’espace, l’eau, la glace, la terre et le feu, se devait d’aborder l’élément aérien. Mais l’air, qui est le milieu principal de la propagation des phénomènes audibles par l’oreille humaine, n’est-il pas l’endroit des sons les plus banals ? Vrai. Cependant, avez-vous déjà essayé d’écouter l’air, pour lui-même ?
Dans le milieu de la prise de son cinéma, on appelle « fond d’air » le silence habité, le bruit de fond, le brouhaha à peine perceptible de notre environnement. C’est ce que John Cage voulait nous faire écouter avec sa pièce provocatrice 4’33”.1 C’est ce que le projet below 20dB se propose de collecter, de façon participative, afin de constituer un « musée sonore du silence ».
Comme le dit la présentation ironique de la pièce d’Anthony Carcone intitulée Fond d’air, sur Silence Radio, ce type de son « ne vaut pas grand chose. Bien que toujours là, présent, irrévocable, il ne pèse pas lourd » et, pourtant, du fond de l’air peut toujours naître la plus impétueuse tempête.
Justement, parlons du vent. Le vent n’est pas à proprement parler sonore. Il n’existe pas un « son de vent ». En tout cas, pas un son unique. Sans oublier que nous avons une sensation directe du vent par le sens du toucher au niveau des oreilles, ce qui en transforme la stricte perception auditive. La présence du vent n’est en réalité audible que parce qu’il fait bouger et s’entrechoquer des matières, ou lorsqu’il s’engouffre dans des tuyaux… comme le relaie Félix Blume dans cette captation en Bolivie :
Depuis toujours, les manifestations sonores du vent excitent l’imaginaire et convoquent des êtres mythiques que l’on croit entendre murmurer, chanter ou encore hurler. Le vent ne transporte-il pas les Voix célestes ? Extrait de The Winds of Heaven, de Sarah Hopkins et Alan Lamb :
Oui, le vent fait le lien entre le ciel et la terre, entre les mondes spirituel et matériel et, de nos jours, les sculptures éoliennes ont le vent en poupe : Aeolus de Luke Jerram, Eotone de David Letellier et Herman Kolgen (à écouter dans un récent Atelier du son de France Culture) ou encore The Singing Ringing Tree de Tonkin Liu, dont la forme évoque une tornade – entre autres nombreux exemples.
Plus abordable, cet accessoire vous propose de jouer d’une sorte d’ocarina éolien tout en vous promenant à bicyclette !
Mais pour ce qui est d’enregistrer le vent, c’est autre chose. Lorsqu’une bourrasque trop forte plaque les membranes des microphones et fait saturer le signal, le vent n’est pour les preneur·se·s de son qu’un vulgaire parasite dont on aimerait se débarrasser. Sans bonnette à poils, point de salut! Lorsqu’au contraire, c’est le vent lui-même que l’on souhaite capturer, rien de moins facile…2 Pour son album W2, l’artiste Éric La Casa enchevêtre subtilement de nombreuses sources aériennes, parmi lesquelles le souffle humain : un « courant d’air » parmi d’autres. Extrait avec Dans le feuillage du lointain, la clameur d’un bruissement :
L’air, c’est la vie, l’oxygène indispensable, mais aussi le support de pollutions. Le vent assainit ou paradoxalement détruit lorsqu’il est trop violent. Il façonne les paysages, participe à l’érosion des falaises, des roches et des bâtiments humains. Il charrie quantité de matières, notamment les plus légères comme le sable. L’artiste Andreas Bick, que nous avons déjà rencontré parmi la glace et le feu, s’est trouvé inspiré par des études japonaises décrivant les motifs complexes donnés au sable par l’action du vent, pour sa composition radiophonique Windscapes [en écoute sur son site].
Sous l’emprise des vents, les déserts sont constamment en mouvement : les déplacements, glissements, frottements des grains de sable donnent naissance parfois à des sons et, par résonance, au célèbre « chant des dunes », propice à des terreurs légendaires. Marco Polo relatait déjà : « les sables qui chantent parfois remplissent l’air avec les sons de toutes sortes d’instruments de musique, et aussi le bruit des tambours et du choc des armes. »3 Écoutons la création de Maylis Collet pour Arte Radio.
Mais, pour finir, le fond de l’air est parfois littéralement « électrique ». Et cela, seuls les microphones peuvent nous le donner à entendre :
Notes :
1 À propos de la pièce de John Cage, lire sur Syntone Du bruit autour de 4’33” (décembre 2010). 2 Lire / écouter aussi Création sonore : vive le vent sur Télérama.fr (décembre 2012), à propos d’une pièce remarquable de Pablo Sanz, « Aeolian Transmission ». 3 Selon Wikipédia.Lire les autres articles de la série « Sons inouïs » :
- Sons inouïs #1 : « À l’écoute de l’espace »
- Sons inouïs #2 : « Sous les eaux et dans les glaciers »
- Sons inouïs #3 : « Quand la terre tremble et crache le feu »
- Sons inouïs #5 : « Microcosmes animaux et végétaux »
- Sons inouïs #6 : « La vie moderne »
1 Réaction