« Serial », l’affirmation du journalisme narratif

Dans les statistiques de l’internet, Serial restera avant tout comme le premier podcast à avoir dépassé, dès son lancement en octobre 2014, la barre des 5 millions de téléchargements sur la plateforme iTunes. Ce succès hors du commun a enflammé la presse outre-Atlantique mais aussi en France, au point de faire de Serial la promesse d’un avenir radieux-phonique. Retour à froid sur un phénomène intéressant qui peine cependant à se renouveler.

Le nom est complètement transparent. Serial assume et renvoie directement à cette tradition du feuilleton journalistique, la dissection du fait divers, l’esprit d’investigation, le jeu sur les points de vue, la technique du suspense. Serial est aussi une série rythmée sur les fictions policières venues des pays scandinaves où une enquête suivie jour après jour nous tient en haleine pendant toute une année. Serial, c’est la volonté de raconter une histoire sur une saison (12 épisodes pour la première, 11 pour la seconde), d’en faire le tour des questions non-résolues, d’enquêter, de produire du fact-checking rigoureux. Le podcast se prolonge sur le site dédié, avec des cartes, des infographies, des documents issus de l’enquête officielle. Il se prolonge aussi dans la vraie vie, avec des pèlerinages de fans sur les lieux de l’enquête. Mais surtout, grâce aux réseaux sociaux, Serial mène une deuxième vie, celle des mèmes internet qui lui assurent une exposition hors-norme.

Sarah Koenig, par Topher McCulloch (Creative Commons by)

Sarah Koenig, par Topher McCulloch (Creative Commons by)

Tout commence en 2014, lorsque l’avocate Rabia Chaudry cherche à obtenir une révision du procès d’un ami d’enfance, Adnan Syed, condamné à la prison à vie en 2000 pour le meurtre de son ex-petite amie, Hae Min Lee. Selon Rabia Chaudry et le comité de soutien d’Adnan Syed, il y avait beaucoup de zones d’ombre dans le procès initial : absence de preuves factuelles et de témoins, une défense négligente… Rabia Chaudry veut intéresser les médias à l’histoire d’Adnan et ainsi obtenir plus facilement une réouverture du procès.

Sarah Koenig, journaliste pour This American Life, honorable institution du documentaire sonore et du journalisme d’investigation, avait écrit sur le cas de Syed en 2000. Contactée par Chaudry, elle se passionne pour l’affaire et en fera Serial, ce produit médiatique, imprégné de sa voix chaleureuse, de ses doutes et de ses longues pauses interrogatives. Après une première saison dédiée au cas Syed, Sarah Koenig et son équipe enchaînent en 2015 avec une enquête sur la disparition en 2009 du soldat Bowe Bergdahl en Afghanistan. Capturé par les talibans, Bergdahl sera libéré 5 ans après, dans le cadre d’un échange de prisonniers et se retrouvera au cœur d’une tempête géopolitique et médiatique. L’enquête s’appuiera sur les documents (notamment les conversations téléphoniques avec Bergdahl) et les sources fournies par le scénariste et producteur de cinéma Mark Boal (Démineurs, Zero Dark Thirty).

En tant que déclinaison thématique de This American Life, Serial préserve la filiation avec la maison-mère grâce à un storytelling efficace et dynamique : mise en contexte permanente, son d’archives, descriptions, observations et dialogues intimes. Serial n’a rien inventé, mais Sarah Koenig a été à bonne école, elle sait raconter une histoire avec limpidité et fausse candeur. Elle sait aussi doser et organiser le suspense dans un format parfaitement calibré, mélange de lenteur et de sensationnalisme, comme le montre la brillante parodie de l’émission de télévision Saturday Night Live.

Sarah Koenig fait du doute, de la frustration ressentie par la chercheuse de réponses, un effet narratif comme un autre. Et c’est justement cette scénarisation de soi, centrée sur l’expérience subjective de la quête de vérité qui a rendu Serial addictif, notamment sur sa première saison.

En 2015, Rabia Chaudry et deux autres avocat·e·s décident de monter un podcast sur le feuilleton judiciaire d’Adnan Syed, Undisclosed. Pour Chaudry, Serial reste un outil médiatique, cantonné à la recherche de suspense, et n’assume pas un objectif d’investigation. En proposant le sujet à Koenig, Chaudry cherchait avant tout une exposition médiatique qui a sans doute dépassé ses espérances. Mais, revers de la médaille, Serial était devenu un canal de communication et d’information à part entière, qui ne correspondait pas à la façon dont le comité de soutien de Syed souhaitait présenter son cas au grand public. Moins dans l’affect et dans l’effet, plus fidèle aux faits, Undisclosed s’est voulu donc plus proche de la lettre de la loi. Il gagne en rectitude ce qu’il perd en ton, voix, lieux communs, dose d’humour. C’est-à-dire l’exact opposé de Serial.

Au-delà du ton Sarah Koenig, il y a dans Serial un effet choral : voix et témoignages qui se croisent. Il y a également dans Serial un effet hyperréaliste. Les gens parlent comment dans la vraie vie. Ils ont des accents typés, ils viennent des milieux populaires. C’est particulièrement frappant dans la saison 1. C’est d’ailleurs une faiblesse pour la saison 2 où les témoignages sont moins bigarrés car issus plutôt du milieu militaire ou décisionnel. Avec une moyenne de 3 millions de téléchargements par épisode pour la saison 2, Serial a continué de convaincre, malgré le caractère moins addictif de l’enquête Bowe Bergdahl. Durant cette deuxième saison, Sarah Koenig n’aura jamais échangé en vrai avec le personnage central de l’histoire. On n’entend Bergdahl que dans les échanges téléphoniques avec le scénariste Mark Boal. Sarah Koenig réussit par un autre effet stylistique à agrandir le récit de Bergdahl à des questions existentielles : la responsabilité et l’idéalisme, l’objection de conscience, le sentiment de l’intérêt collectif.

Serial est un format qui se cherche encore dans son traitement des sujets, dans sa relation aux auditeurs/trices. Son succès fascine et incite à suivre son exemple promptement. Il serait peut-être plus judicieux de considérer Serial comme une expérience grandeur nature. Sarah Koenig saura-t-elle s’émanciper d’une forme d’écriture encore trop sensationnaliste, consolider son modèle et, peut-être, renouveler le journalisme narratif ?

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