Japon : Un panorama radio

Fin décembre 2014, le centre d’art Chiyoda 3311 de Tokyo rassemblait plusieurs penseurs de la radio au Japon. L’occasion de faire un état des lieux du paysage radiophonique nippon. Entretien croisé avec Shin Mizukoshi, professeur spécialisé dans l’histoire des médias à l’Université de Tokyo et l’artiste Hiroki Kehara.

Micro-radio, Radio 5 (CC by-nc-nd Clement Baudet)

Micro-radio, Radio 5 (CC by-nc-nd Clement Baudet)

« La radio publique NHK possède trois chaînes nationales (NHK 1, NHK 2 et FM) auxquelles s’ajoutent une centaine de radios commerciales et environ 300 radios associatives », m’explique Shin Mizukoshi, professeur spécialisé dans l’histoire des médias à l’Université de Tokyo. Un nombre de stations plutôt faible par rapport à la population de l’archipel, car limité par la Broadcasting Law de 1950 qui encadre de manière stricte l’utilisation des ondes FM.

Ces dernières années au Japon, la radio a connu un regain d’intérêt suite aux tremblements de terre.

« La radio est le média numéro un en cas de tsunami, » poursuit Shin Mizukoshi. « Après le séisme de 2011, nous avons tous pris conscience de l’importance de la radio en cas de catastrophe naturelle, lorsque ni l’électricité et ni le téléphone ne fonctionnent. En 1995 après le séisme de Kobé, des bénévoles et des étrangers vivants sur place ont créé Radio YY, une radio multiculturelle et multilingue destinée à venir en aide aux différentes communautés. Le gouvernement a alors reconnu l’utilité publique de ce type de radios en cas de désastre. Radio YY existe toujours aujourd’hui et a aidé plusieurs communautés à monter des radios dans la région de Tohoku touchée par le séisme de 2011. Une trentaine de nouvelles radios sont apparues, mais depuis, certaines ont disparu par manque de subventions. »

Lorsque j’interroge Shin Mizukoshi sur le mouvement de micro-FM initié à Tokyo dans les années 1980 par Tetsuo Kogawa [NDLR : lire le dossier de Syntone consacré à Tetsuo Kogawa], il me présente tout de suite Hiroki Kehara, un artiste passionné par les potentialités de la radio, « le seul qui essaie de perpétuer l’héritage de Kogawa. »

Hiroki Kehara CC by-nc-nd Clement Baudet

Hiroki Kehara (CC by-nc-nd Clement Baudet)

Hiroki Kehara, la trentaine et un bonnet vissé sur la tête, se balade autour du centre d’art avec une petite radio portable pour vérifier la portée de l’émetteur FM. Aujourd’hui, il a fabriqué une micro radio qui n’émettra que quelques heures dans le quartier de Akihabara. Au programme, un débat à l’occasion de la publication d’une revue de critique des médias avec des jingles joués en direct au koto, la harpe japonaise.

Formé en arts visuels, Hiroki Kehara s’intéresse à la manière dont la technologie peut modifier notre quotidien. « J’ai appris à fabriquer de la radio sur le tas. La première micro-radio que j’ai créée, Radio Kojima, c’était en 2005, dans une école élémentaire désaffectée au nord de Tokyo. » Depuis, il anime des ateliers de fabrication de micro-radios partout sur l’archipel. « Pour moi, fabriquer de la radio, c’est un peu comme peindre. Diffuser, c’est comme avoir un très long pinceau qui nous permet de dessiner quelque chose. L’existence du micro modifie profondément notre situation de communication et ces projets hyper-locaux permettent de prendre conscience que notre parole peut être publique et que l’on fait partie d’une même communauté. Je cherche à favoriser la création de radios à petite échelle, pour que les auditeurs aient envie de passer de l’autre côté du micro et de s’investir dans un projet local et citoyen. »

Pour Hiroki Kehara, la radio est avant tout une expérience sociale, dans la lignée de Tetsuo Kogawa.

Sa mobilité et la simplicité de sa fabrication permettent la réappropriation politique de cet outil médiatique. « Je pense que la radio est un medium unique dans l’ère digitale que nous connaissons aujourd’hui. Les smartphones ne sont pas des objets modifiables, ce sont des boîtes noires. Pourtant il est important de comprendre le fonctionnement des systèmes de communication, et la radio est un média Do-it-Yourself, simple à produire et à fabriquer, qui permet cela. »

Mais il le reconnaît, dans un pays comme le Japon, la radio peut paraître un peu old-school. « Je suis né en 1982 et certain·e·s plus jeunes que moi ne connaissent même pas l’existence des ondes radio, ça ne fait vraiment plus partie du sens commun au Japon. Ce que j’essaie de faire avec ces ateliers, c’est tenter de réenchanter la radio en donnant le goût d’en faire. J’aime la mécanique des ondes, leur manière de procéder, le doux grésillement de la bande lorsqu’on allume le poste. »

Japan Radio 5 people CC by-nc-nd Clement Baudet

Micro-radio, Radio 5 (CC by-nc-nd Clement Baudet)

Comme Shin Mizukoshi, Hiroki Kehara constate qu’au Japon les auditrices et les auditeurs écoutent de plus en plus la radio sur les smartphones. Depuis 2010, le service géolocalisé Radiko [NDLR : Plus de 13 millions d’utilisateurs en 2013] permet de capter la majorité des radios locales qui se sont, comme la plupart des radios japonaises, tardivement intéressées à la diffusion en ligne.

Assumant l’héritage de la pensée de Tetsuo Kogawa, Hiroki Kehara reconnait que la situation est aujourd’hui bien différente de celle de l’époque de Radio Home Run dans les années 1980. « Internet offre des possibilités de diffusion incroyables. Je cherche à trouver les combinaisons entre micro-radio et streaming vidéo avec des outils comme Ustream par exemple. » Il cite également Dommune, un des cas intéressants de ce qui se fait au Japon en terme de média. « Ce n’est pas une radio, mais une web-télé indépendante diffusée en direct à partir de 19 heures tous les soirs de la semaine. Deux heures de débat sur des sujets de culture pointus et passionnants sont suivis de lives d’artistes internationaux. » Ce média hybride et expérimental créé en 2010 par l’artiste Ukawa Naohiro est aussi un lieu physique : un studio-club dans le quartier de Shibuya. « Il n’y a pas d’émission le week-end afin d’inciter les auditeurs à sortir voir des concerts et des performances » précise Hiroki Kehara.

Merci à Yoshitaka Mouri, professeur de sociologie de l’Université de Tokyo, et à Shin Mizukoshi pour ses précieuses traductions. Sur Syntone, lire aussi notre : rencontre avec l’équipe de Oto No Fukei, l’émission de paysages sonores sur la NHK (mars 2015).

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  • Merci pour vos articles de fond, toujours originaux, complets, dotés d’une touche singulière et d’une vraie signature journalistique. Vous révélez chaque fois l’essence de la radio : Proximité, partage et interactivité.

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