Délier les langues… avec Laurence Courtois (3/3)

Suite et fin de notre parcours sonore en compagnie de Laurence Courtois autour de la question des langues en radio. Après l’exploration de principes de traduction dans un documentaire de Kaye Mortley puis d’Olivier Meys, Laurence Courtois nous emmène du côté de la fiction – des fictions qui tentent l’expérience du bilinguisme.

(cc) Tim Lucas - flickr

(cc) Tim Lucas – flickr

Nous commençons pas un exemple de traitement de la langue à égalité parfaite. Dans 11 septembre 2001, réalisé par Christine Bernard-Sugy, le texte de Michel Vinaver est donné à entendre systématiquement en anglais et en français.

J’ai proposé cette pièce parce qu’elle m’a sidérée à l’écoute, comme sidèrent les événements qu’elle relate. L’auteur a d’abord écrit son texte en anglo-américain, puis l’a traduit en français lui-même. Le texte est lu deux fois : une fois en français, une fois en anglais, en alternance. La répétition lui donne une puissance supplémentaire – comme un écho, l’anglais vient souligner, l’anglais qui est en outre la langue du pays où se passe l’action. En particulier, les passages extraits des dialogues au téléphone, ou des échanges radio des pilotes de l’avion, prennent avec ce redoublement un accent dramatique – alors que l’interprétation ne l’est pas.

Une autre façon singulière de mélanger deux langues a été expérimentée par Cécile Wajsbrot dans sa pièce Avec un double V, réalisée par Marguerite Gateau.

C’est dès l’origine un projet d’écriture bilingue, qui a été réalisé en coproduction entre la France et l’Allemagne. Là, les deux langues s’entremêlent, le bilinguisme est justifié par le texte même, évoquant la double culture, et racontant une histoire entre les deux pays, entre les deux langues. Tout n’est pas traduit. Simplement, certains mots sont traduits pour la compréhension et pour ne pas perdre l’auditeur qui ne parlerait qu’une des deux langues. Il existe néanmoins deux versions distinctes – une plus en français et l’autre plus en allemand – une pour chaque pays.

Une autre expérimentation de « mix linguistique » a été menée avec la fiction Déjà Vu d’Alexis Zegerman, réalisée par Lu Kemp et Christophe Rault, et qui est une coproduction là aussi, cette fois entre la BBC et Arte Radio.1

Déjà Vu tente le bilinguisme total et sans traduction en attribuant une langue à chacun des personnages d’une histoire d’amour. Mais ici, pas de traduction du tout. Pas non plus de version différente selon les publics : c’est un pari ! Un pari déjà au niveau du texte, et un pari ensuite à la réalisation.

À l’écoute, il faut s’habituer à ne pas avoir de traduction, car à la radio tout nous est servi dans notre langue. Quelques chevilles nous sont livrées, dans le texte, pour assurer un minimum de compréhension – en jouant sur leurs problèmes de compréhension mutuels. Ainsi, plusieurs fois un personnage fait répéter son interlocuteur, demande de l’aide pour la compréhension, finit par comprendre et répète, répète éventuellement encore dans l’autre langue.

C’est très malin, car ainsi le problème de la compréhension devient le sujet même de la fiction. Nous, en tant qu’auditeurs, sommes parfois aussi perdus que les protagonistes ! C’est sans doute également la limite puisque nous restons centrés sur l’expérience même de la barrière de la langue. Cela réduit en quelques sorte le champ des possibles du texte. Par ailleurs, cela ralentit parfois l’action entre les personnages. Mais c’est aussi plaisant de suivre ces deux personnages et d’entendre à égalité les deux langues, de nous plonger dans la complexité même de l’interculturalité.

La réalisation est bien trouvée ; par exemple en utilisant les gimmicks d’un manuel de langue, type Assimil, qui continue d’explorer la question de l’incompréhension, et nous guide en ponctuant l’action avec quelques clés. « Help – j’ai besoin d’aide », par exemple. C’est charmant et très efficace.

1  Lire aussi notre chronique de Déjà Vu de février 2009.

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