Son site web indique sobrement : « Nous vivons dans un camp de réfugié·e·s à Calais. Certaines personnes l’appellent la ‘jungle’. Nous faisons de la radio. » Jusqu’en décembre 2015, le projet s’appelait Jungle Radio. Mais une adolescente de 12 ans avait dit : « La jungle, c’est là où vivent les animaux, et nous ne sommes pas des animaux. » Lors de son lancement le 1er janvier 2016, c’est donc sous le nom de Jungala Radio que les premiers programmes ont été diffusés sur le web : « la » comme « non » en arabe – la radio de la non-jungle. On y entend, en anglais principalement, des reportages et des chroniques de réfugié·e·s afghan·e·s, pakistanais·e·s, kurdes, syrien·ne·s, iranien·ne·s, érythréen·ne·s, éthiopien·ne·s, soudanais·e·s ou égyptien·ne·s – et notamment beaucoup d’enfants, qui racontent des histoires, mais qui parlent aussi de bombes lacrymogènes et d’expulsions. Entretien avec Kathy O’Hare, une journaliste radio irlandaise impliquée dans le développement de projets communautaires : venue à Calais comme d’autres Britanniques soucieuses/x d’exprimer une solidarité en actes avec les habitant·e·s du camp, elle a co-fondé la radio de façon indépendante avec Ciaran Henry, un photo-journaliste anglais.
Comment est né le projet ?
Nous avons décidé de fonder une plateforme pour que les réfugié·e·s puissent développer leurs propres contenus, avec un contrôle éditorial total sur leur travail. Nous nous plaçons dans une pratique de radio communautaire, permettant aux minorités de faire entendre leur voix. La radio permet de contrer le récit médiatique dominant, qui évoque souvent les réfugié·e·s et leur place en Europe de façon négative.
Nous sommes maintenant trois bénévoles, Abby Andrews nous ayant rejoint, et notre rôle est d’apporter un soutien à la création d’émissions. À travers des ateliers collectifs ou individuels, les réfugié·e·s ont acquis toutes les compétences nécessaires : construire un sujet, le produire, faire du montage audio, assurer la diffusion sur le web. Elles et ils sont leurs propres représentant·e·s. Celles et ceux qui ont été formé·e·s transmettent leurs savoirs à de nouvelles personnes.
La Jungle Books Library, une bibliothèque installée au sein du camp qui assure aussi des cours d’anglais ou de français, nous a donné de l’espace pour travailler. Et nous avons lancé une campagne de financement participatif pour acheter le matériel : deux ordinateurs portables, deux enregistreurs et deux casques.
Nous voulions être les plus mobiles possibles et surtout, ne pas dépendre d’un équipement lourd. Il fallait que nous puissions bouger sans cesse, à cause de la nature de notre environnement : que nous puissions faire une émission dans un restaurant, une autre dans un centre communautaire par exemple.
Qui participe à la radio et quel type d’émissions diffuse-t-elle ?
Il y a maintenant cinq productrices/teurs permanent·e·s, et une vingtaine de personnes qui ont participé à une émission : des anglophones dont l’objectif est d’aller en Grande-Bretagne, des gens qui avaient une pratique journalistique dans leur pays, des personnes qui se sont politisées récemment en constatant les conditions de vie dans le camp, d’autres qui s’intéressent à la création artistique…
Elles et ils produisent des émissions musicales, politiques, sur des évènements précis ou sur la vie dans le camp. Et la radio peut être écoutée par tou·te·s celles et ceux qui ont un téléphone portable, étant donné qu’il y a Internet sur place.
Nous commençons à avoir quelques émissions dans différentes langues, pas uniquement en anglais. Pour l’instant, il y a quatorze émissions, mais d’autres arriveront bientôt. Nous sommes en train de construire la banque de programmes.
Comment voyez-vous la suite ?
Il n’y a pas de journée normale dans le camp. Les choses les plus simples deviennent des défis énormes, et il y a une sensation du temps très étrange : les heures peuvent sembler durer des jours entiers. Il faut sans cesse s’adapter. La Jungle book library est dans la partie sud du camp, dont la démolition est en cours. L’État français a dit qu’il ne détruirait pas les espaces communautaires, mais nous ne sommes sûr·e·s de rien étant donné qu’il y a des menaces sur l’Ashram kitchen, une cantine également située dans la partie sud.
Donc nous voulons organiser des ateliers en farsi, en arabe et dans d’autres langues, mais nous n’avons pas encore pu mettre cela en pratique, précisément parce que l’État français s’est mis à raser le camp. L’idée est que les gens puissent produire des émissions dans leur propre langue, afin de les donner à écouter à leur communauté restée au pays.
Et maintenant que le camp est en train d’être détruit et que les réfugié·e·s se trouvent déplacé·e·s une nouvelle fois, nous lançons une autre campagne de financement participatif pour aménager un bus en studio et en espace éducatif, afin de pouvoir relier les communautés dispersées, de Calais à Dunkerque. Nous comptons proposer notamment des cours d’informatique, de réalisation radio ou vidéo, de photo ou d’anglais, aussi bien aux réfugié·e·s qu’aux communautés françaises locales, au sein desquelles le chômage est élevé. Nous espérons que cela favorisera les échanges entre les communautés de réfugié·e·s et celles des Français·e·s vivant là.