Qui, ayant eu la chance de « connaître » (c’est-à-dire d’écouter) « Chantal » (c’est-à-dire Chantal ou le portrait d’une villageoise, œuvre posthume de Luc Ferrari), n’aurait aimé savoir ce que Chantal était devenue depuis cet été 1976 ?
Cet été-là, Luc et Brunhild Ferrari sont en villégiature dans les Corbières, un peu par hasard. Au village de Tuchan, ils rencontrent une jeune femme de 22 ans, mariée, mère au foyer d’un enfant, et enregistrent quelques moments de conversation avec elle. L’année suivante, Luc Ferrari composera une œuvre à part dans son parcours, qui ne deviendra un disque qu’en 2009 chez OHM Éditions et qui n’aura jamais été diffusée devant un public jusqu’à ce samedi 11 octobre 2014, à Montpellier, dans le cadre du festival Sonorités.
Chantal ou le portrait d’une villageoise est l’œuvre la moins classique de ce compositeur déjà inclassable – son œuvre la plus « documentaire » pourrait-on dire, dans laquelle ce n’est pas l’écriture musicale qui dirige l’écoute, mais le réel – une simple conversation. La parole est libre. On aborde politique, sexe, émancipation… sans réserve. C’est l’après-68. De la radio libre avant l’heure.
Chronologiquement, c’est d’abord Luc qui mène l’interrogatoire. Ce qui l’intéresse : le mariage et l’adultère, le travail, les relations sociales au village, la politique. Quand Brunhild prend à son tour le rôle d’intervieweuse, la parole change de rythme, le ton s’apaise, on quitte les effets de séduction pour entrer plus pleinement dans l’intimité, dans l’individualité de Chantal, « libre-penseuse » lucide et touchante. Sujet de curiosité de prime abord pour les artistes parisiens en goguette, la jeune villageoise surprend, puis subjugue ses interlocuteurs.
L’artiste sonore Carole Rieussec est de ces personnes qui, découvrant Chantal sur le tard, en furent également subjuguées. Pour sa série audio Wi watt’heure – des entretiens menées avec des femmes autour de questions de genre et d’art – elle prit rendez-vous avec Brunhild Ferrari pour connaître les dessous de cette rencontre et collecter la mémoire d’une époque où l’on se parlait si facilement, si franchement. Durant les quarante minutes d’entretien mis en ligne en mars 2014, Brunhild s’exprime également sur sa place de femme aux côtés du compositeur : elle qui fut son assistante, sa « scribe », sa voix parfois, et aujourd’hui poursuiveuse de l’œuvre.
Puis Carole Rieussec partit à la recherche de celle qu’elle appelle « [sa] légende électro-acoustique » et la retrouva, toujours à Tuchan presque quarante ans plus tard. Ne souhaitant pas reproduire la situation initiale d’enregistrement, elle nous offre de simples notes transcrites de son cahier. Chantal n’a pas vu le temps passer, Chantal a lutté, Chantal s’est remariée. Qui n’aurait aimé savoir ce que Chantal était devenue depuis l’été 1976 ? Comme si, nous ayant été si proche par le biais de l’œuvre, que l’on fût de sa génération ou de celle qui en naquit, elle pourrait nous en apprendre encore autant sur nous-mêmes.
Samedi 11 octobre à Montpellier, lors du festival Sonorités, Carole diffusera Chantal pour une première publique, en présence de Brunhild et de Chantal.
Pour aller plus loin…
- Écouter Chantal ou le portrait d’une villageoise dans l’émission Bab-el-Watt de Radio Bartas.
- À propos de Luc Ferrari, lire sur Syntone La radio de Luc (et ses auditeurs), mai 2011.