Maman, ma mie et moi

Il ne faut pas forcément se moquer des relations fusionnelles entre les vieux garçons et leurs mères. Pour compenser la promiscuité affective et le manque d’indépendance, des pulsions créatives naissent parfois ~ plutôt chez les premiers. Le narrateur de Maman, ma mie et moi ne peint pas plus des tournesols sur des chevalets qu’il ne modélise le pont du Gard en bouchons de liège. Il tient un journal intime ~ et sonore.

Chaque semaine, dans le feuilleton en ligne sur le site de Libération, il devise sur les clapotis du monde tel qu’il l’entoure, lui, petit îlot de conscience aiguë et de réflexions existentielles. Par petites touches drolatiques, le beau parleur dessine une carte du sensible où il pose un regard parfois désabusé sur les choses qui comptent : les recettes de maman, les névroses des bobos, les achats sur le Net.

“Je ne fais rien jamais dont on ne peut dire que ce ne soit pas commun” raconte ce héros de l’infra-ordinaire, jamais dupe des pièges que l’on se tend à soi-même. Porté par une écriture élégante et un background sonore assez subtil soulignant autant les soubresauts de la pensée que l’incongruité du réel, Maman… est une des bonnes surprises de Libélabo, la fenêtre audio-vidéo de Libération.fr.

(cc) England - flickr

(cc) England – flickr

Sans forcément révolutionner le genre de la fiction intime, ses quinze épisodes s’écouteront jusqu’à fin juin avec la sensation plaisante d’entrer dans la confidence d’un observateur prolixe. Un bémol cependant : certains d’entre eux auraient mérité d’être moins complaisants dans leur volonté réflexive, pour mieux se concentrer sur l’épaisseur du narrateur.

Mais au-delà de ses qualités et de ses défauts, l’intérêt que l’on peut porter à cette série tient aussi dans sa nature. Maman… est un objet artisanal qui a trouvé sa (petite) place sur un grand média national. Preuve que la démultiplication des supports pourrait permettre à la création radio de rencontrer un nouveau public et de sortir de certains ghettos où elle semble parfois se complaire.

Daniel Martin-Borret, son auteur, est un web-illustrateur sonore qui vit dans le Sud-Est de la France. Il travaille seul dans son coin, élaborant à la main le moindre son diffusé, des gimmicks électro jusqu’aux bruitages plus réalistes. Maman… est sa deuxième production après une Léandre remarquée cet hiver par le jury de Phonurgia Nova et qui, déjà, creusait la veine du faux biographique.

L’autre singularité de la série est qu’elle se situe à la croisée des genres, s’inscrivant dans plusieurs filiations à la fois. Issue de l’extension web d’un grand quotidien national, elle est la lointaine descendante des traditionnels romans-feuilletons de la presse populaire du XIXème siècle (Balzac, Sue, etc.). Sa forme sonore la situe simultanément dans la lignée des radio-feuilletons, de Signé Furax aux textes mis en ondes chaque jour sur France Culture.

De plus, Maman, ma mie et moi est contemporaine de certaines pièces à suivre chaque mercredi sur Arte Radio, comme Le Bocal ou Le Vaisseau spécial.

“S’il y a un héritage, c’est surtout celui de la narration, quelle qu’elle soit, commente Daniel Martin-Borret. Le format de chaque épisode, de trois à quatre minutes, est naturel pour moi : c’est celui des meilleurs morceaux de rock’n’roll. Il correspond aussi aux modes d’écoutes contemporains. Aujourd’hui, il faut pouvoir s’immerger rapidement. J’ai donc densifié, fait des ellipses. C’est du respect, de la délicatesse pour le temps disponible de l’auditeur.”

Les nostalgiques des ACR de trois heures apprécieront.

1 Comment

  • Jay dit :

    Bravo, très bon article ! J’aurai voulu que le mien présent sur mon blog soit aussi bon, mais je n’ai pas cette fibre.

    Continuez !

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