Locus Sonus à Nantes : écoutes à distance, écoutes connectées

Connu pour sa carte mondiale de micros ouverts, le jalon fondateur de plusieurs années d’expérimentations, Locus Sonus est un groupe de recherche et post-diplôme en études d’art, spécialisé autour des questions de l’art audio, des espaces et des réseaux. Ses “symposiums”, régulièrement organisés et ouverts au public, sont à chaque fois l’occasion d’approfondir un sujet de façon pluridisciplinaire. Après avoir traité, par exemple, des arts audio connectés ou encore de la sonification (l’emploi du son pour rendre sensible d’autres types de données), ce septième symposium, organisé pour la première fois à Nantes les 24 et 25 mars prochains, s’intitule “Auditoriums Internet”.

Un auditorium est un lieu où l’on vient écouter ensemble. C’est un lieu qui fut et reste traditionnellement un espace physique, un bâti, dont les limites et les constructions internes sont sans cesse redéfinies à la fois par les technologies, les pratiques sociales et la création artistique. Il suffit de penser à ce que la radio, déjà, a pu bouleverser et inventer de nouvelles façons d’écouter, à la fois individuelles et collectives, selon des modes de relation à distance qu’internet a depuis développés. Jérôme Joy, compositeur et enseignant à l’école d’art de Bourges (après avoir démarré le projet à la Villa Arson de Nice) est, avec Peter Sinclair et Anne Roquigny, un des animateurs du groupe : “Nous n’avions pas encore eu l’opportunité d’approfondir la question de l’écoute et des espaces d’écoute qui est, notamment à travers le projet des micros ouverts, permanente depuis le début de Locus Sonus. Ce qui semble aller de soi ~ convoquer pour écouter ensemble ~ n’est aujourd’hui plus aussi simple, et pourtant, il y a encore des constructions (qui ne sont plus forcément industrielles et standardisées) qui proposent des écoutes ensemble de manière non prescrite.”

Le programme des communications voit se confronter des universitaires et scientifiques (l’acousticien Bruno Suner, le philosophe de l’art Matthieu Saladin, les sociologues Anthony Pecqueux, Samuel Bordreuil), des producteurs radiophoniques (Marcus Gammel, Katrin Moll) et de nombreux artistes des sphères musicales, de la performance ou des arts numériques (Kasper T. Toeplitz, Julien Ottavi, Julien Clauss)… dont des personnalités plutôt rares en France comme Pauline Oliveiros, 80 ans cette année, ou encore Bill Fontana : “Le travail de Bill Fontana se trouve au cœur des relations entre son et espace, et je me suis toujours demandé dans ses œuvres liées aux transports des sons d’un espace à un autre, aux dimensions de perception sonore des espaces et aux dimensions imaginaires et sensibles qui peuvent s’en dégager, si l’écoute était un moteur ou un domaine de décision dans la construction de ses projets : propose-t-il des écoutes ou déplace-t-il des sons ? En quoi l’écoute, et de fait collective, engage-t-elle des principes de décision au sein de son travail ? L’inviter était la meilleure façon de lui poser ces questions et de solliciter son point de vue sur les espaces d’écoute aujourd’hui. Quant à Pauline Oliveros, c’est un autre versant qui m’a guidé. Son travail historique sur l’“écoute profonde” (Deep Listening) et également son engagement régulier dans toutes les nouvelles formes de jeu de la musique (la musique en réseau, la musique dans Second Life, le streaming, etc.) ne peut qu’éclairer les questions que nous posons aujourd’hui.”

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(cc) Pauline Oliveros
dance/music/improv in Second Life by Josephine Dorado on flickr

Les deux jours de séminaire tenus dans un amphithéâtre de l’école d’architecture de Nantes seront articulés par une soirée de performances au Lieu Unique, le 24 mars de 21h à 23h. “Nous avons ouvert ce type de présentation pour que les invités puissent montrer leurs recherches et leurs expérimentations sous une autre forme que celle, orale, propre au symposium. La programmation est riche car vraiment variée vis-à-vis de la question générique. C’est aussi un moment particulier qui nous permet de faire une proposition à un public (une audience), alors que le symposium avec ses tables rondes offre un moment de transmission plus spécialisé. Lors de cette soirée, il y aura des réalisations touchant aux réseaux électroniques (Pauline Oliveros et le Avatar Orchestra Metaverse, Ximena Alarcón et le Sounding Underground, etc.), ou abordant la question de l’écoute : la sonification avec Matthieu Saladin, la spatialisation (immersive) avec Bill Fontana, etc. D’autres réalisations, plus de type installation ou dispositif, seront présentées à l’école d’architecture durant le symposium, l’accompagnant, voire l’animant : comme SplitSoundscape de Grégoire Lauvin et Modulations de Julien Clauss ; ce qui permet de “parler” du projet et à la fois d’en proposer l’expérience tout de go.”

Le laboratoire Locus Sonus tourne autour de ses dadas depuis 2004 sans que les sujets ne semblent s’épuiser. “Nous le découvrons au fur et à mesure : une question, une hypothèse en amène toujours d’autres. Cela nous permet d’être optimiste sur ce qui va se dérouler par la suite, même si notre cadre de travail est très fragile : nous faisons de la recherche dans un interstice, celui des écoles d’art, et il serait impossible de le faire ailleurs, de cette manière-là… Ceci donne un dynamisme et une grande mobilité dans un espace qui n’est pas celui de la pédagogie (tel qu’on l’entend dans les 1er et 2nd cycles), ni celui du marché (il existe des œuvres qui ne sont pas des œuvres de marché), ni celui de l’industrie ou des applications industrielles. Un espace de construction, donc, et un espace des possibles.”

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