Des revues pour l’ouïe

La lecture partage avec l’écoute cette même nécessité de composer par l’imagination la part manquante de la création. D’où peut-être un lien naturel, une affinité élective entre le monde du son et celui de l’écrit. Tandis qu’à Syntone, nous préparons nos premiers carnets papier, nous avons eu envie d’un petit tour dans le paysage des publications francophones dont l’objet d’attention est aussi le sonore.

Revue & Corrigée

Revue & Corrigée a passé le cap des 25 ans d’existence et des 100 numéros. La publication est née à la fin de l’année 1988 avec l’ambition d’être plus qu’un fanzine : une revue érudite, faite par des passionné·e·s, des collectionneurs/euses, et surtout des musicien·ne·s et des gens qui réfléchissent sur les musiques aventureuses. Devenue incontournable au fil du temps sur la scène de l’improvisation libre ou de l’électroacoustique, R&C a profondément contribué à la diffusion de la musique expérimentale auprès du lectorat francophone, donnant une large place aux chroniques de disques, proposant des portraits et des entretiens avec des créatrices/teurs sonores, et ouvrant ses colonnes aux réflexions et aux témoignages des artistes même.

Portée depuis le début par une équipe bénévole, R&C a survécu au fil des années avec une économie modeste, tout en préservant une totale autonomie, une ligne très spécialisée et un prix de vente dérisoire. Il convient de mentionner son premier rédacteur en chef, Albert Durand, ainsi que Jérôme Noetinger, qui ont longtemps porté le projet à bout de bras ; mais aussi les graphistes de l’Atelier Octobre, qui ont donné de leur temps pour en faire une revue soignée et même un laboratoire d’expérimentation graphique. Les rênes de la rédaction ont été transmis en 2014 à Barbara Dang, elle-même musicienne et qui devait être encore très jeune lorsqu’est sorti le premier numéro.

Le numéro 102, paru en décembre dernier, chronique le festival Sonorités, va à la rencontre de l’art vidéo ou fait écho à un projet de musique expérimentale en milieu psychiatrique… Le site internet de la revue, en plus de donner accès à des chroniques en ligne ou à la consultation de l’impressionnante liste de parution de la revue, offre l’occasion de redécouvrir Wi watt’heure, une net-rubrique audio autour de questions de genre et d’art dont nous vous avions parlé ici.

Feardrop

Revue à parution annuelle portée par Denis et Virginie Boyer, Feardrop explore depuis 1993 les expérimentations musicales, et plus précisément « la zone grise, intermédiaire entre abstraction et figuration ». Elle prend la forme d’une publication papier au graphisme travaillé, accompagnée d’un CD qui n’est pas une simple illustration des articles, mais un versant sonore avec sa logique propre. Articles et morceaux se répondent parfois de loin (lorsque le papier et le CD empruntent des sentiers distincts), parfois de plus près (lorsqu’un⋅e musicien⋅ne est interviewé⋅e ou écrit un carnet de bord).

La revue se décline autour d’une thématique, les trois derniers numéros étant ainsi consacrés à des compositions à la confluence du field-recording et de la musique, autour de « l’imaginaire musical des glaces », « le paysage musical » et « l’esthétique musicale du vent ». L’écriture tend vers la poésie, textes comme sons visant à questionner les frontières et l’essence même de la musique.

Une larme du diable

La « revue des mondes radiophoniques et des univers sonores », née au sein de l’association Longueur d’ondes, organisatrice du festival du même nom, publie un numéro annuel de 120 pages environ. Après un premier numéro en 2009 assez fourre-tout, elle a trouvé son rythme intérieur et sa singularité. Une larme du diable est en réalité beaucoup moins monomaniaque que centrifuge : le son, la radio, l’écoute sont souvent des sujets prétextes à l’exploration d’autres terrains – la médecine (« Le corps sur écoutes, l’aventure du stéthoscope », n°5), la guerre et la surveillance (« Les Oreilles d’or », n°2), la photographie, le cinéma, la lutherie, l’urbanisme, etc.

Tout en assumant la complexité de certains contenus, Une larme du diable soigne tout de même son côté amateur au sens positif et convivial du terme, à l’image de sa direction collégiale. Au détour de cahiers tantôt richement illustrées tantôt farcis de caractères, on saute du carnet de bord d’un créateur sonore à un entretien astucieux avec un documentariste fictif, pour atterrir sur… une recette de cuisine. Chaque numéro est soumis à souscription, le prochain est annoncé pour octobre 2015, et on peut le commander dès maintenant.

TACET

TACET est une revue sur les arts sonores et la musique expérimentale, portée par un comité de rédaction et un comité de lecture qui réunissent des personnalités de la musique et de la recherche. À l’image de son directeur de publication, Mathieu Saladin, philosophe et musicien, la spécificité de TACET tient à son approche interdisciplinaire, qui donne notamment un espace conséquent à la voix des artistes aux côtés des paroles universitaires. S’attachant à contribuer au renouvellement de la pensée esthétique et des discours critiques sur les musiques expérimentales, le revue croise également les champs de recherche eux-même, mobilisant les perspectives philosophiques, sociologiques, musicologiques ou celles issues des « cultural studies ».

TACET fonctionne par appels à contributions et suit une périodicité rare d’un « livre-revue » par an. Un soin particulier est apporté à la conception éditoriale de chaque numéro : « Qui est John Cage? » (numéro 1), « L’expérimentation en question » (numéro 2) et « De l’espace sonore » (numéro 3) articulent points de vues et contributions variées sur chacun des sujets tout en apportant de solides éléments historiographiques via la publication de documents souvent inédits en français. Il faut également mentionner que la revue bénéficie d’une édition soignée, tant pour le graphisme de l’objet lui-même que par sa richesse iconographique, et que chaque numéro est bilingue français-anglais. L’appel à contribution pour le quatrième numéro de la revue, intitulé « Les sonorités de l’Utopie », est paru et a pour échéance le 15 avril prochain.

Discuts

On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait du « magazine des manipulations sonore » d’Alexis Malbert alias Tapetronic. À mille lieues du ton sérieux voire guindé de TACET, Discuts, c’est un peu le Pif Gadget du son. On renvoie à la lecture de notre ode à Discuts !

Volume

Déjà 7 numéros parus (1 ou 2 numéros par an depuis 2010), la revue Volume, sous-titrée « What you see is what you hear » (à ne pas confondre avec Volume ! la revue des musiques populaires, également distribuée par les éditions Les Presses du Réel), s’intéresse à la place du son dans l’art contemporain – le son, le bruit, la parole, la musique, la culture audio… prises comme sujets plus que comme matériaux d’expression. Dirigée par le tandem Anne-Lou Vicente et Raphaël Brunel, Volume se situe en effet dans le vaste champ de l’art contemporain, connexe mais distinct des arts sonores.

… et d’autres revues en sons

Pas vraiment ou pas complètement « à propos du sonore », certaines publications voisines méritent cependant d’être citées ici pour être réalisées partiellement sous forme audio. Après un premier numéro fleuve, long de 300 pages déclinant sous de multiples formes la thématique « Marabout » et accompagné d’un album optionnel de créations sonores, Jef Klak promet pour son deuxième numéro « Bout de ficelle » davantage d’interactions entre son et texte, comme par exemple des sujets traités en binôme audio-papier. Lancée comme Jef Klak en 2014 et, pour sa part, exclusivement consacrée à des tentatives artistiques, la revue Perroquet tente sans mode d’emploi la cohabitation virtuelle entre papier pour le texte et web pour le son. À suivre, à lire, à soutenir !

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