Délier les langues… avec Laurence Courtois (2/3)

Après l’écoute d’une première pièce de Kaye Mortley, nous poursuivons notre parcours sonore autour des langues et de la traduction en compagnie de Laurence Courtois. En lui proposant maintenant L’année du singe d’Olivier Meys mise en ondes par Irvic D’Olivier, nous abordons une situation de traduction réalisée sur le terrain, en Chine.

(cc) Jeremy Brooks - flickr

(cc) Jeremy Brooks – flickr

Laurence Courtois : Les pièces à l’étranger nous ouvrent les oreilles : ouverture sur l’ailleurs, ouverture sur d’autres vies, d’autres mondes et aussi d’autres sonorités. C’est ce qui est très réussi dans L’année du singe, où Olivier Meys est généreux des voix originales, des ambiances de fêtes et de rituels, des situations et des musiques de la Chine. La présence d’un interprète sur place rend la traduction plus authentique, plus fraîche, plus vivante. C’est aussi, comme le plus souvent avec un interprète sur place, une traduction consécutive. Elle nous permet d’entendre les intonations, le rythme des phrases, l’émotion et la singularité de chaque interlocuteur. C’est aussi un exercice périlleux, l’interprète peut ne pas convenir.

Ici, on l’entend parfois chercher ses mots, on l’entend aussi intervenir afin d’obtenir une précision, redemander un terme, affiner une réponse… Il est également la « voix chinoise » du documentariste que l’on n’entend pas autrement.

L’inconvénient d’un tel choix est la lenteur qu’il impose d’emblée ; mais pour L’année du singe, c’est un choix naturel qui correspond au rythme de la pièce : elle est contemplative, s’attarde sur une situation, livre une interview en longueur, nous fait entendre les hésitations, ainsi que les bruits de fond, d’eau qui coule, de bateau, de rue et de moteurs. Le rythme n’est pas frénétique, l’auteur ne cherche pas à nous transmettre le plus d’informations possibles mais à nous immerger ; il nous invite à une flânerie dans des lieux lointains et, pour la plupart de nous, inconnus, et en adopte le tempo nécessaire. Il nous invite aussi à la langue chinoise avec quelques mots traduits, donnés à la fois en chinois et en français.

Le recours à la traduction consécutive a deux fonctions et deux adresses : il vise la compréhension de l’auditeur mais aussi, en premier lieu, celle du documentariste lui-même… !

Ce type de traduction laisse la liberté de la couper au montage et de la refaire après-coup – si l’on n’en est pas satisfait ou si l’on recherche un autre résultat. C’est ce qui m’est arrivé pour les documentaires que j’ai fabriqués avec Charlotte Roux sur Hans Fallada (pour Une vie, une œuvre et La Fabrique de l’Histoire sur France Culture). Avec le nombre d’intervenants germanophones différents, il nous semblait crucial de différencier les voix de la traduction. Nous avions donc prévu de les enregistrer ensuite, en post-production, à partir de mes traductions. Mais sur le terrain, il était indispensable, pour la réalisatrice qui ne comprend pas l’allemand, de saisir le sens de ce qui se disait. Il est difficile de maintenir la tension d’une interview et la relation avec son interlocuteur quand on doit passer par une traduction, cela rend l’exercice particulier. On expérimente de plein fouet la barrière de la langue.

Au mixage, afin de ne pas écraser la langue originale, Charlotte Roux a proposé un dispositif stéréo dont on peut mieux profiter au casque : la voix allemande est relativement un peu plus forte sur la voie gauche, et la voix de traduction un peu plus forte sur la voie droite. C’est une autre façon de conserver une sonorité de l’ailleurs, et l’authenticité de l’émotion des personnes interviewées.


La traduction en radio passe toujours par une voix (au moins). Et qui dit « voix », dit « quelqu’un qui parle. » La voix-traduction doit-elle être considérée comme un personnage ?

La traduction cherche souvent à se faire oublier – c’est ce qu’on dit d’ailleurs dans l’édition, quand on dit d’un livre étranger qu’il « sent » ou non la traduction – elle cherche à faire comme si elle n’était pas là, de différentes façons. Par exemple, en écrasant complètement la voix originale, avec un ton très neutre et droit : c’est ce que l’on retrouve le plus souvent dans les émissions d’information. Mais c’est une illusion et, à la radio en particulier, la voix de la traduction gagne souvent à être travaillée, à être bien écrite – et à laisser la place à la langue originale.

C’est évidemment plus vrai dans les travaux de création. Et quand la traduction est faite en post-production, elle nécessite une écriture. C’est là où Kaye Mortley excelle. Dans le documentaire d’Olivier Meys, la traduction est vraiment un personnage de plus : c’est son interprète sur place qui nous guide, qui nous emmène. C’est la voix que nous entendons le plus, et nous développons une complicité avec lui.

À venir : suite et fin de notre parcours d’écoute avec Laurence Courtois, autour de créations radiophoniques qui proposent l’expérience du bilinguisme.

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