Laurence Courtois est conseillère littéraire aux Fictions de France Culture et auteure de documentaires radiophoniques.1 Elle s’est régulièrement frottée aux questions de l’adaptation en français de textes étrangers, aux problèmes liés à la traduction, notamment dans un cas bien spécifique : la coproduction entre France Culture et Saarländischer Rundfunk d’une fiction bilingue dont nous reparlerons bientôt. Germaniste de formation, elle est aussi traductrice littéraire (Hans Fallada, Kristo Sagor) et passionnée de langues. Bref, Laurence Courtois était la personnalité idéale pour continuer de creuser notre chantier Langues & Radio.
La radio est le média de l’oralité, mais c’est souvent le média d’une seule langue. Les langues étrangères constituent des barrières pour la radio et leur traduction pose un problème épineux à l’écriture sonore. Rien de pire que la voix de traduction écrasant la langue originale ! Alors comment bien faire entendre les langues en radio ? Le langage radiophonique peut-il venir au secours des barrières linguistiques ?
Nous avons proposé à Laurence Courtois d’écouter quelques pièces pouvant se prêter à cette analyse. Elle nous en a suggéré d’autres en retour. Ensemble, nous vous invitons donc à un parcours sonore, doublé d’un dialogue pour délier les langues. Premier épisode aujourd’hui.
Pour commencer, tu as tenu à choisir une pièce radiophonique de la documentariste franco-australienne Kaye Mortley.
Laurence Courtois : Kaye Mortley est un modèle pour moi, un modèle à suivre ! J’admire ses œuvres de création et le soin minutieux qu’elle apporte à la narration. Bien des éléments restent dans l’ombre. Le sens est aussi bien induit par les mots que par la construction même. C’est ainsi qu’elle parvient à faire surgir des images, des situations, en laissant beaucoup de place à l’auditeur.
En outre, j’ai toujours été particulièrement touchée par son traitement de la langue étrangère. C’est une gageure, car évidemment la barrière de la langue à la radio est plus ou moins infranchissable. C’est toujours magnifique de pouvoir entendre la musique d’une langue, mais sans traduction, sans le sens, il est difficile de demander à un auditeur de rester accroché à son poste. En revanche, le « voice over » peut facilement détruire une ambiance, venir écraser la parole enregistrée et l’émotion de l’interlocuteur. Il me semble que Kaye Mortley, en la matière, trouve un très joli équilibre. Dans ses documentaires, et celui-ci en est un bon exemple, la traduction des échanges entre les protagonistes devient un fil narratif supplémentaire.
Elle ne traduit pas tout – elle donne l’essentiel pour suivre ; et elle ne place pas ces paroles sur les échanges, mais avant ou après la bande originale.
Aussi, puisque la traduction est plus courte, puisqu’elle est placée très délicatement dans le montage, peut-on entendre les paroles et la qualité des échanges dans la langue originale. Comme auditrice, je ne me sens pas abandonnée : je peux suivre, elle me donne les clés, mais ne me donne pas tout. À moi d’aller inventer le reste. Entre les mots français, trouver les bribes de langue originale. Entre les bribes de sens, ressentir l’authenticité de l’émotion qu’elle nous fait passer.
Kaye Mortley propose ses œuvres documentaires dans différents pays, et elle procède donc à chaque fois à cet exercice d’adaptation dans une langue étrangère. Elle a un parcours international assez exceptionnel dans le monde du documentaire radiophonique, et je pense que cette expérience lui permet justement d’aborder la question des langues d’un autre point de vue, très inventif et très juste pour la radio.
Cette pièce, La ferme où poussent les arbres du ciel, est une œuvre particulière pour Kaye Mortley, sur les traces de ses aïeux en Australie, mais produite pour un auditoire francophone.
On trouve un ton très personnel dans cette pièce, et des voix-off qui sont indifféremment traduction ou éléments purs de narration. La langue anglaise est parlée et comprise par beaucoup de gens, mais l’accent australien est – pour moi – plus difficile à comprendre : la traduction me permet alors de suivre le fil. Elle se mêle à la voix de la narratrice, et elle désigne aussi les personnages de l’action : « toi » (pour parler de Kaye Mortley), au milieu de sa famille : « Tu aimais le hangar où on gardait les pommes. Là-haut sous le toit. Ça sentait bon. Il faisait frais. C’était silencieux. Un seul son : la tôle ondulée qui craquait sous le soleil. » Parfois c’est même la voix de Kaye Mortley qui traduit, donne les clés de l’échange en cours : « Parfois ils me donnaient une pomme à manger. » Ou, plus loin : « J’enregistre parce que suis là. »
J’ai retrouvé un peu de cette façon de traiter la langue étrangère et de donner le sens dans la version radiophonique du scénario de Pascal Deux, Odyssea, une fiction réalisée par François Christophe. Pascal Deux met en scène des ouvrières venant de l’Est : Roumanie, Ukraine… Il y a dès le début une voix de narration. Et c’est ici aussi la voix de la narration qui assume les traductions des échanges des ouvrières étrangères. Il y en a un bref exemple qui commence autour de 12’40 qui décrit une situation entre les filles de l’Est. C’est encore plus caractéristique plus loin, à partir de la minute 31’30, qui illustre vraiment le traitement choisi par le réalisateur, et qui revient ensuite de façon plus fréquente au fil des échanges quand les ouvrières sont en jeu. La question de la langue étrangère n’est pas cruciale dans toute la pièce – mais certaines scènes-clés posent un vrai problème dramaturgique et radiophonique s’il n’y a pas de traduction. Là encore, le montage nous permet d’entendre les mots-clés qui appuient la situation et son réalisme.
Notre parcours avec Laurence Courtois se poursuit dans un prochain article, autour d’autres pièces radiophoniques et d’autres langues où la question de la traduction se pose dès le terrain. À suivre !
1 Laurence Courtois a récemment produit avec Charlotte Roux : Le Havre chambre d’échos, une série documentaire pour Radio France NouvOson. Premier épisode : La gare du bout du monde.
Bonsoir,
Je viens de terminer la lecture du livre « Kleiner Mann, was nun? », traduit par Laurence Courtois, sous le titre « Quoi de neuf, petit homme? ».
De langue maternelle allemande et traductrice en activité depuis une trentaine d’années, je suis abasourdie par la nullité de cette traduction et d’autant plus étonnée de lire que Laurence Courtois semble être considérée comme une grande professionnelle…
Voilà, il fallait que ce soit dit.