Radio en Construction : localement sonore

Pas de jingle, pas d’animateur, ni annonce ni désannonce de la musique qui occupe 90% du temps d’antenne. Les 10% restants font place à des modules de trois à quatre minutes qui tombent comme du ciel, calés sur la longueur d’un morceau de musique. Vous êtes sur Radio en Construction à Strasbourg qui émet de 14h à 2h du matin sur la fréquence partagée 90.7. “On part du principe que les auditeurs ont suffisamment de moyens pour trouver le titre du morceau qu’ils sont en train d’écouter” explique Stéphane Boltz, programmateur général. À commencer par la playlist disponible sur leur site internet.

Stéphane Boltz et Laura Romero dans les locaux de Radio en Construction

Stéphane Boltz et Laura Romero dans les locaux de Radio en Construction

Pourtant, cela n’a pas toujours été comme ça. Lancée en 1983 comme radio étudiante par l’IUT info-com de Strasbourg, la radio avait à l’origine une vocation généraliste, avec des émissions spécialisées, des animateurs. Et puis, explique Thierry Danet, directeur, “on a tout refondu en 1989, parce qu’on avait le sentiment que c’était plus passionnant à faire qu’à écouter”.

Nouvelle ambition : sortir de tous les clichés de la radio, décrits tantôt comme “pollutions”, tantôt comme “litanies”. “Quand on a décidé de ne plus animer l’antenne, de ne plus annoncer les morceaux, ni de citer l’heure, beaucoup de gens, y compris en interne, nous ont dit de ne pas faire ça. C’est sûr, on a pris une voie aventureuse.” Ce que Stéphane Boltz appelle “une radio de postproduction”.

D’où une station qui porte bien son nom : Radio en Construction. Nous sommes toujours en quête de rapport entre le fond et la forme. C’est une radio qui évolue en fonction des gens qui viennent participer au projet, chacun avec leur identité.” Pauline Desgrandchamp, bénévole et responsable de la création, précise : “Chaque bénévole arrive avec sa spécialité, que ce soit du théâtre, de la littérature, de la poésie ou du cinéma. Il faut juste que le résultat soit sonore et qu’il traite de Strasbourg.”

Une formule qui refuse fermement de compter les auditeurs et privilégie l’approche qualitative. Surtout, s’emballe Thierry Danet, parce que “la FM, c’est l’espace public : la question n’est pas de savoir quelle émission va faire venir du monde, mais qu’est-ce qu’on a envie de faire comme proposition culturelle pour exister dans le paysage sonore local ?”

C’est que, même si “REC” a une aspiration clairement artistique et alternative, il lui importe surtout d’être ancrée dans la ville. D’où une série de modules atemporels autour d’une vingtaine de “verbes élémentaires” pour explorer les territoires : habiter, circuler, regarder, partager, dire, penser, apprendre, savoir…


Pauline Desgrandchamp anime un atelier radio au Port du Rhin, quartier strasbourgeois enclavé près de la frontière allemande, devenu tristement célèbre pour avoir été ravagé lors des contre-manifestations du sommet de l’Otan en 2009. “À ce moment-là, les habitants se sont dit qu’ils allaient enfin être entendus, qu’ils faisaient enfin partie de Strasbourg. Mais les journalistes sont partis aussi vite qu’ils sont venus. Nous on y reste.” Ainsi, pour donner à entendre leur manière d’habiter, ils ont fabriqué des parcours sonores. “On enregistre un Strasbourgeois du centre-ville qui va au Port du Rhin : il monte dans sa voiture, roule un peu, passe à côté du Port du Rhin sans même le remarquer. D’un autre côté, l’habitant du Port du Rhin, pour aller au centre-ville, marche jusqu’à l’arrêt de bus, prend le bus, puis le tram et, quarante minutes plus tard, il arrive enfin place Kléber.” Et d’ajouter : “Ils se sentent tellement loin de tout et ont si peu l’habitude de sortir de leur quartier que certains jeunes ne sont même pas venus faire le montage avec nous à la radio.”

Les projets, la petite radio associative portée par une quinzaine de personnes, n’en manque pas. Quand elle ne fait pas dans le média de quartier, elle s’invite à l’université pour proposer cette activité culturelle aux étudiants de licence. Ou elle prépare une émission d’une journée pour le festival annuel d’électro l’Ososphère, en direct des hangars de la chaîne locale de supérettes Coop. “Chaque année, le festival bouge de quartier en quartier. Cette année, l’Ososphère fait investir le Port du Rhin aux arts numériques. On va faire de grandes tables rondes, des débats, pour que les artistes puissent expliquer leur démarche, et pour y confronter le ressenti des gens qui habitent le quartier.”

“Il faut de l’énergie, oui !”, s’amuse Laura Romero, réalisatrice venue d’Espagne pour approcher la création sonore à la française. “On a du mal à garder une équipe fixe et une vitalité.” Bref, venez, et comme vous êtes.

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