La radio mise à nue par ses voix, même

Plusieurs bouches et un seul micro en direct, c’est tout ce qu’il faut à la Radio cousue main pour proposer depuis 2012 sur Radio Campus Paris l’une des plus stimulantes émissions de création radiophonique de la bande FM. Alors que le collectif s’apprête à entamer sa quatrième année ce jeudi 22 octobre à 21h sur le 93.9 MHz parisien, rencontre polyphonique avec quelques un⋅e⋅s de ses membres : Chloé Sanchez, Aline Pénitot, Hélène Cœur, Sébastien Daniel, Stéphane Duvernay, Hervé Marchon, Célio Paillard et Jean-Philippe Velu. Les rires ne sont pas retranscrits, mais il faut en entendre tout au long de la discussion.

Syntone : Comment s’est créée l’émission ?

Les cousu⋅e⋅s1 : On a commencé tout de suite après un stage « Hand made radio » organisé par Phonurgia Nova avec Alessandro Bosetti et Anne-Laure Pigache en 2012. Le principe du stage était de faire un retour à la radio des origines, sans ordinateur, avec un seul micro pour tou⋅te⋅s. On inventait des situations de jeux vocaux autour d’un micro hypercardioïde2, en se déplaçant pour comprendre ce qui se passe quand on se met loin ou proche, devant ou derrière, pour comprendre ce qu’on peut faire circuler. Dans une autre pièce, il y avait un haut-parleur mono : on pouvait sortir de la salle du micro pour aller se rendre compte de l’effet que ça donnait.

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La Radio cousue main, dans le studio de Radio Campus Paris, Creative Commons by-nc-nd

Alessandro appelait ça un « sténopé ». Parce que ce qu’on produit au micro n’est pas du tout ce qu’on entend au moment où on le fait : il faut un entraînement pour savoir ce que ça donne, c’est une mémoire sonore qu’on doit travailler. Et Anne-Laure nous faisait également découvrir des pratiques proposées par Guy Reibel ou par le Sound Painting3.

Bref, quelque chose a pris dans le groupe et on a décidé de continuer sous forme d’émission. Chloé co-animait le créneau Récréation sonore sur Radio Campus Paris et a proposé d’accueillir la Radio cousue main dessus, pendant 30 minutes. On ne pouvait pas être en direct, alors que ça fait partie du dogme, parce que c’était dimanche soir et qu’il n’y avait pas de technicien à la radio, mais on enregistrait une semaine avant dans les conditions du direct. Ça nous est arrivé une seule fois de faire du montage, à cause d’un gros problème technique. Mais sinon, tant pis si ça ne fonctionne pas : on est dans l’expérimentation, pas dans la réalisation d’un produit fini. Radio Campus Paris a été très enthousiaste et après la première année nous a confié notre propre créneau en direct. On a pu faire l’expérience selon le dogme. Et maintenant, il y a même une autre Radio cousue main à Bruxelles et une Radio cousue bouche sur Radio Campus Besançon.

Le dogme ?

Le dogme c’est : un micro mono pour tou⋅te⋅s, pas d’effets, pas de retours, uniquement du direct et on utilise tout l’espace autour du micro, y compris depuis la rue parfois. On joue avec ses limites, en faisant des duplex, en passant des sons de nos téléphones, à chaque fois en se demandant si on s’autorise à le faire. Les idées ne marcheraient pas sans le dispositif. Quand on veut produire le son d’un train, il faut qu’on trouve ce qu’il y a à faire derrière le micro pour y arriver.

On accepte tout le monde, aussi : ça a été très collectif dès le début, tout le monde peut venir, même une seule fois. Ça n’est jamais arrivé qu’une personne vienne et ne participe pas. Il y a eu des enfants, une retraitée… On en parle quand on voit des gens, notamment à l’occasion de nos autres pratiques sonores, puisque les un⋅e⋅s et les autres sont qui dans la classe de composition de Pantin, qui dans l’improvisation vocale, les projets sonores à caractère documentaire, la production pour Arte Radio ou Radio France, le théâtre…

Comment est-ce que cet aspect collectif s’arrange avec le travail de mémoire sonore dont vous parliez au départ ?

On se vautre et on apprend. Effectivement, les nouveaux/elles n’ont jamais testé le travail de mémoire, mais il y a un corps collectif qui se fabrique autour du micro. Il n’y a pas de chef⋅fe, parfois on assure la direction d’un moment, parfois d’un autre, mais certain⋅e⋅s ont plus d’expérience et indiquent le mouvement. Par exemple, elles peuvent pousser une personne vers le micro parce qu’elles savent qu’elle est trop loin. Quand ça fonctionne bien, on a l’impression d’être dans un banc de poissons, on ne sait pas qui dirige, c’est fluide, on est un groupe tout en gardant chacun⋅e notre propre identité. Celles et ceux qui savent chanter chantent et d’autres, comme Sébastien, font de supers improvisations sur n’importe quelle idée.

Mais la dernière fois, par exemple, il y avait des musiciens qui nous ont emmené dans un idée rythmique alors qu’on travaille plutôt sur la voix parlée et sur les matières sonores. Le chant et le rythme peuvent surgir, mais de manière marginale. Du coup ça a été déconcertant, parce que le rapport à l’écoute ou le rapport esthétique n’est pas le même. C’est très différent de ce qu’on fait, à savoir de la radio, du son, de la musique électroacoustique. Il y a un micro et il y a du direct, c’est quelque chose de proprement radiophonique. De la même manière, on s’est rendu⋅e⋅s compte qu’on se trompait si on faisait des choses jouées, de la fiction, du théâtre.

Quand ça fonctionne bien, c’est qu’on a su poser les données sonores à explorer. On se donne des trames d’improvisation dans une réunion quelques jours avant. C’est très chaotique, on a des idées à droite, à gauche, et on ne trouve le fil directeur qu’à la toute fin de l’apéro. On voit s’il faut des textes ou des objets à préparer. Puis on se retrouve 2h avant le direct, et on écrit un conducteur sur une grande feuille. On répète peu, uniquement les transitions.

Comment construisez-vous l’émission ?

Sur le conducteur, on marque le titre des différents moments, s’il y a des personnes qui ont quelque chose à faire, parfois une estimation du temps, parfois le mode de jeu. Dans les modes de jeux, par exemple, on a le « 1 à 7 ». Humainement, dans un groupe, on a trop tendance à se fondre, à s’écouter. Du coup, on voulait pouvoir introduire des cassures et des silences. Aline a pris une idée de John Cage : chacun⋅e choisit un chiffre entre 1 et 7, il y en a un⋅e qui mène le jeu en faisant les signes des chiffres, et sur le chiffre que tu as choisi tu dois faire ton son. Celle ou celui qui mène peut faire tenir les choses ou au contraire les arrêter.

On a aussi le mode qu’on appelle « Madame la directrice » : Hélène a fait partie d’un groupe d’improvisation vocale qui s’appelait Achorale et qui utilisait des codes de direction. On divise le groupe en deux et chaque sous-groupe doit suivre les indications de sa main gauche ou de sa main droite. Elle indique le volume, la hauteur, les matières, si le son doit être tenu, la bouche fermée, si on doit faire des distorsions. On se fabrique nos traitements sonores en direct avec la voix, en contraignant la voix dans un saladier pour fabriquer du lointain, en faisant de l’écho, du delay, du sample

La première fois qu’on assiste à la préparation de l’émission, ça fait peur, il y a plein de bouts épars. Mais à partir du moment où on se lance, tout se coud bien ensemble.

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La Radio cousue main, conducteur d’une émission, Creative Commons by-nc-nd

Vous êtes finalement l’une des rares émissions non pas de création sonore, il y en a beaucoup, mais de création réellement radiophonique de la bande FM, au sens où Kunstradio la définit.

Oui, on utilise le support de la radio pour créer. C’est le projet du début, de revenir au plus simple. Mais on peut se passer du support radio aussi, lorsqu’on en fait en public et en direct, à la Gaîté lyrique, aux festivals Sonor de Jet FM ou Brouillage de Radio Campus Paris. Et Alessandro n’utilise pas la radio : il y a un groupe dans une pièce et un autre groupe ailleurs. L’émission de la Radio cousue main à Bruxelles a d’ailleurs gardé le fait d’être dans deux pièces, du coup c’est davantage de la création sonore.

Vous écrivez sur votre site que vous voulez replonger aux origines de la radio, mais « en étant remplis des champs esthétiques que les nouvelles technologies ont semé dans nos imaginaires ». C’est-à-dire que vous n’êtes pas dans la nostalgie d’une radio débarrassée de tout, mais plutôt dans un questionnement…

[La suite de ma phrase est restée en suspens parce qu’à ce moment-là « les cousu⋅e⋅s », sourire en coin, ont commencé à s’éclipser dans une autre pièce. Et quelques instants plus tard, du son est sorti des enceintes du salon…]

  • Participent à la Radio Cousue Main, souvent ou quelquefois :
    Chloé Sanchez, Aline Pénitot, Émilie Mousset, Hélène Cœur, Véronique Macary, Joyce Conroy Aktouche, Madeleine Dorner, Christine Bertocchi, Élisabeth Gilly, Emily Vallat, Hervé Marchon, Mariadèle Campion, Célio Paillard, Sam, Rolf Simmen, Lucas Pizzini, Marie Berthoumieu, Gwenaëlle Rouleau, Sébastien Daniel, Aude Rabillon, Laura Morris, François Bordonneau, Roselyne Burger, Clément Toumit, Bruno Arthur, Marie Bouchier, Charlotte Imbault, Jean-Luc Priano, Stéphane Devernay, Violaine Ballet, Bérengère Altieri-Leca, Estelle Duluc, Léa Minod, Gilbert Roggi…
  • Si vous voulez participer, l’équipe peut être contactée sur [email protected] (en enlevant NOSPAM).
  • Retrouvez la Radio Cousue Main sur Radio Campus Paris une fois par mois le jeudi à 21h, tous les quatre jeudis à partir du 22 octobre 2015. Si vous ne voulez pas faire les calculs, voilà les dates : 22 octobre, 19 novembre, 17 décembre 2015, 14 janvier, 11 février, 10 mars, 7 avril, 5 mai, 2 juin et 30 juin 2016.
  • Les informations récentes de l’émission sont mises en ligne sur ce site et les archives sont conservées sur ce blog.
Notes :

1 Pour reprendre leur propre dénomination.
2 Les micros se définissent notamment par leur sensibilité variable aux sons venant de diverses directions, qui permettent de s’adapter aux différents contextes et objectifs d’enregistrement. Un omnidirectionnel captera sans distinction l’ensemble des sons alentours. Un hypercardioïde se concentre sur les sons venant de l’avant, mais en laisse passer quelques-uns de l’arrière.
3 Guy Reibel est un compositeur français qui s’intéresse aux jeux vocaux et en a notamment coordonné une anthologie. Le Sound Painting est un langage gestuel qui permet de diriger des musicien⋅ne⋅s, actrices/teurs, danseuses/eurs et plasticien⋅ne⋅s en leur indiquant des actions à mener. Il a été imaginé par Walter Thompson qui le définit comme un « art de la composition en direct ».

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