30 ans de radio libre: la parole libérée?

Plus de 30 ans après la libéra(lisa)tion des ondes, les ouvrages synthétiques et analytiques à propos des Radios Libres restent finalement assez rares. La publication des actes du colloque que le Groupe de Recherche et d’Études sur la Radio (GRER) a consacré à la question en 2011, a rejoint à la fin de l’année dernière cette bibliothèque sélective. À la tentative de synthèse, l’ouvrage dirigé par Thierry Lefebvre et Sébastien Poulain a le mérite de donner toute sa complexité, faisant apparaître autant de particularités politiques qu’il y a d’expériences à analyser, autant de singularités historiques qu’il y a de récits à rapporter.

L’histoire des Radios Libres abordée ici est ainsi fondamentalement plurielle, résolument internationale et politique, parfois même contradictoire et conflictuelle. Pour les contributeurs/trices, il s’est souvent agi de mobiliser ces trois décennies de recul afin de déconstruire certaines définitions uniformisantes, certaines mystifications qui, au-delà des slogans et des figures militantes, se sont attachées aux Radios Libres dès le début du mouvement lui-même.

Les auteur·e·s entreprennent de remettre à jour quelques-unes des représentations attachées à l’histoire du média radiophonique et de réviser ses corrélations géographiques ou ses constructions historico-politiques : révision critique des correspondances entre mouvements français et italiens par Raffaello Ares Doro ; réévaluation de la contribution belge francophone à cette histoire par Frédéric Antoine ; étude du cas ouest-africain par Étienne Damome ; retour sur les singularités syndicales de l’histoire de Radio Lorraine Cœur d’Acier (LCA) par Ingrid Hayes et Isabelle Cadière.

Association pour la Libération des Ondes, Belgique, 1979 (CC-by Wikimedia Commons)

La question plus large, éminemment sociale, d’une « économie de la parole » et de l’énonciation, traverse l’ouvrage. Ingrid Hayes laisse efficacement la question se développer en arrière-plan de l’histoire exemplaire de LCA. Jean-Jacques Cheval, quant à lui, l’aborde explicitement afin de réviser certains des grands dualismes qui conditionnent la perception des Radios Libres (entre radio pirate et radio commerciale, entre institution et société civile, entre discours et réalité). Ici comme dans d’autres contributions, on regrette cependant que l’effort d’actualisation du questionnement ne s’accompagne pas d’une mise à jour de l’appareil théorique convoqué. Si l’on trouve là une occasion de relecture des débats critiques des années 1980-1990 entre pensées conservatrices (Debray ou Guillebaud) et radicales (Guattari ou Berardi), il est cependant dommage que l’ouvrage tourne le dos à des champs de recherche actuels comme l’archéologie des médias ou les cultural studies. Faut-il aussi voir l’effet d’un manque d’interdisciplinarité dans le fait que l’évolution numérique des médias ne soit ici traitée (notamment par Pascal Ricaud) que de manière anecdotique ? Ou même que certaines contributions (à l’instar de l’article de Sébastien Poulain à propos de Radio Ici-et-Maintenant) semblent passer à côté du sujet à force de fascination pour leur objet ?

Malgré ces réserves (et nous rappelant que sur un tel sujet l’exhaustivité n’est pas de mise), Radios libres, 30 ans de FM trouve sa juste place dans la boîte à outils de la réflexion radiophonique, et contribue à un récit historique passionnant.

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