Le Mouv’ de Joël Ronez veut mixer radio & web

Voilà plus de 10 ans que les radios « délinéarisent »1 leurs contenus sur le web. Et si l’avenir de la radio, c’était (aussi) l’inverse ? Depuis septembre 2013, le responsable des Nouveaux Médias de Radio France, Joël Ronez, a également en charge la direction du Mouv’, station estampillée jeune et musicale du groupe public. En héritant d’une radio fortement critiquée,2 Joël Ronez marche sur des œufs et doit rassurer les professionnels qui craignent de voir leur chaîne basculer sur le web. Cependant, le nouveau Mouv’ ne sera pas une webradio et même s’il ne doit pas non plus être un « laboratoire » (dixit Ronez), il est possible que s’y passent des expériences intéressantes, avec le retour de Thomas Baumgartner à une fonction éditoriale, deux ans et demi après l’arrêt des Passagers de la Nuit.

Joël Ronez en 2009 (cc) RichardTrois - flickr

Joël Ronez en 2009 (cc) RichardTrois – flickr

Joël Ronez, on vous connaît comme homme du web, mais quel auditeur de radio êtes-vous ?

J’écoute surtout en voiture, un lieu à l’acoustique idéale sur les parcours urbains. Le Mouv’ le matin, le soir et France Info quand je veux m’évader du travail, les intégrales À Voix nue de France Culture en podcast, via mon iPhone et le BlueTooth, pour les longs trajets la nuit vers le Sud. Dans la voiture comme à la maison, les six boutons de pré-réglage de mes radios sont dans cet ordre : Info, Inter, Culture, FIP, Nova et Le Mouv’ (toujours en 6, pour le trouver plus facilement).

Mes premiers souvenirs remontent à RMC Moyen-Orient, que mon père écoutait en Algérie où il était coopérant au début des années 70. Puis L’Oreille en coin, plus tard, Feedback de Bernard Lenoir sur mon premier radio-réveil offert par mon grand-père pour mes sept ans. Sur le buffet marron de la cuisine, j’ai le souvenir de ce match France-Koweit commenté par Jacques Vendroux en Espagne en 1982, et la campagne de soutien qu’il avait lancé après la défaite dramatique en demi-finale contre les Allemands. À l’internat à Mazamet en 1988, je découvrais France Info qui venait de démarrer, et suivait la réélection de Mitterrand. À Toulouse en 1997, j’écoutais Radio Campus et leur programme soul-funk de malade, sur des bandes magnétiques numérotées (« vous écoutez le programme numéro 145 »).

En 2008, j’ai dirigé le pôle web d’Arte dont Arte Radio faisait partie, et j’ai découvert une autre radio, une autre tribu qu’on trimballait dans son iPhone. Aujourd’hui, de par ma fonction, j’ai du mal à m’abandonner vraiment à l’écoute, mais je traîne parfois sur d’autres radios musicales comme Radio Alfa (la radio de la communauté portugaise), Radio FG et, bien sûr, FIP.

Peut-on s’attendre à ce que le nouveau Mouv’ soit un développement des diverses expérimentations déjà menées par la Direction des Nouveaux Médias, mais cette fois avec toute une station de radio considérée comme un outil supplémentaire ?

Le Mouv’ n’est pas un « outil », ni un laboratoire. Le Mouv’ est une radio, que nous souhaitons développer en intégrant la composante non-linéaire d’emblée, pour parler à des auditeurs qui consomment les médias et la musique autrement. Le fait de fusionner le Mouv’ avec la Direction des Nouveaux Médias est une manière de mettre en commun une démarche, des envies, des compétences, des moyens, mais les deux entités d’origine gardent leur vocation de média d’un coté et de « service support »3 de l’autre. Dans un projet comme la « radio visuelle 24/24 » qui démarrera dès septembre 2014,4 la proximité de ces métiers va grandement nous aider.

Couloir du Mouv' à la Maison de la Radio (cc) Ophelia Noor - flickr

Couloir du Mouv’ à la Maison de la Radio (cc) Ophelia Noor

On ne sait pas grand chose du nouveau Mouv’ à part le « reverse broadcasting »5 : est-ce à dire que la production de contenus sera d’abord pensée pour le web et que le flux radiophonique sera une re-linéarisation de ces contenus ?

Nous avons mis au point une grille avec deux rythmes : d’un côté l’antenne, avec une part de musique qui passe de 50 à 70%, et une grille de programme allégée, qui gagne en densité et qui est bien entendu toujours podcastable (les émission du week-end étant même mises en ligne dès le vendredi à 16h) ; et de l’autre côté une « webline », qui sera enrichie de programmes courts de 2 à 3 minutes dans le registre de la fiction, le documentaire, le reportage, la création sonore, l’humour… Les programmes de la webline seront augmentés d’un « best of antenne » et constitueront une offre à part entière, destinée à être écoutée en ligne et hors ligne, à la demande. Dans un mouvement similaire, ils viendront nourrir l’antenne à certains moments de la journée.

Vous avez recruté Thomas Baumgartner, l’actuel producteur de l’Atelier du Son de France Culture. Que signifie ce choix et quelle mission lui avez-vous confiée ?

Thomas Baumgartner présente les avantages cumulés d’un bon journaliste, d’un producteur radiophonique de talent et d’expérience, d’un ancien d’Arte Radio, d’un expert du web, d’un passionné du son, à la fois dans sa dimension esthétique et encyclopédique, d’un auteur inspiré et toujours animé de l’envie de créer des concepts, et d’un gars sympa et plutôt drôle. Il aurait été dommage de s’en passer, ne trouvez vous pas ? Il est responsable éditorial de la « webline », à savoir tous les programmes courts conçus pour le web.

Aujourd’hui, le principal prescripteur de musique chez les jeunes est YouTube. Sur une radio musicale comme Le Mouv’, peut-on s’attendre à ce que la question de la musique soit traitée au-delà d’une simple programmation ? Une radio a-t-elle autre chose à offrir sur le terrain de la musicalité, en termes de mode d’écoute, d’écriture aussi ?

Pour Radio France, la réponse à la délinéarisation des pratiques d’écoute ne peut pas avoir que Le Mouv’ comme réponse. RF8, la plateforme musique de Radio France qui sera lancée en février, est une des offres destinées à jouer en ligne le rôle que nous avons sur les ondes. Mais toutes les chaines intègrent le web dans leur offre musicale, à travers l’éditorialisation des contenus, la captation vidéo de sessions, etc. Le Mouv’, comme les autres chaînes du groupe, est une chaîne de service public. À ce titre, notre offre musicale linéaire ne peut pas être réduite à un programme d’accompagnement, mais doit être une force de prescription, de recommandation, de découverte et, plus globalement, doit défricher un spectre large allant des grands faits artistiques et sociaux d’aujourd’hui jusqu’à la pop culture de la société connectée.

Le défi est aussi de toucher le public là où il se trouve, sur les réseaux sociaux, les sites communautaires, les plateformes vidéo, les smartphones et les autoradios. Le Mouv’ se veut être le média de référence d’une époque, celle où on invente, où l’on crie et ou l’on crée. Une radio ouverte, où l’on détecte et donne la parole aux jeunes talents de la société d’aujourd’hui en train de créer celle de demain.

Le Mouv’ démarre sa nouvelle formule ce lundi 6 janvier, tout en préparant sa mue en « radio visuelle 24/24 » pour septembre 2014.

Sur la « webline » pilotée par Thomas Baumgartner, qu’on attend avec la nouvelle version du site le 7 janvier, on devrait croiser dans un premier temps : une collection intitulée La Ouïe des autres de Thomas Guillaud-Bataille, produite avec Damien Sangally ; une série documentaire titrée Je braque la scène d’Alice Diop, qui a suivi Steve Tientcheu, un garçon de Seine-Saint-Denis qui poursuit son rêve de comédien ; la suite de la série Solange pénètre ta vie intime, par Solange déjà présente auparavant sur le Mouv’ ; Je vous en prie, connard, une série de monologues autour de la politesse urbaine, écrits et dits par Pauline Horovitz ; Scoot toujours, une série de pensées en scooter par Carine Fillot. À voir si cette dimension parallèle participera réellement à l’invention d’une radio nouvelle et différente.

Notes :

1. – On appelle « délinéarisation » le fait, pour une radio traditionnelle, de proposer ses émissions ou parties d’émissions à la réécoute en ligne et/ou au téléchargement.
2. – Créée en 1997, Le Mouv’ n’a jamais atteint ses objectifs en termes d’audience : un déficit pointé du doigt par des opérateurs privés qui dénoncent l’occupation de fréquences par Le Mouv’ à pure perte. Lire, entre autres, Le Mouv’ éconduit vertement la proposition de fusion de Oüi FM (Les Échos, septembre 2013).
3. – La Direction des Nouveaux Médias de Radio France conduit des projets allant de la présence des chaînes sur le numérique (réseaux sociaux, outils interactifs, applis mobiles) à la production de contenus autonomes, le plus souvent en partenariat avec d’autres organismes audiovisuels ou de presse écrite. Comme projet spécifique, on peut citer la plateforme d’écoute en multicanal NouvOson : lire sur Syntone Du NouvOson plein la tête (avril 2013).
4. – Lu dans Nouvelle formule du Mouv’ pour janvier 2014 (L’Express, décembre 2013), confirmé pour nous par Joël Ronez, la radio visuelle du Mouv’ sera fortement inspirée de l’expérience de Pure FM, la radio jeune de la RTBF, avec sa Pure Vision : une alternance de radio filmée, d’infographie aléatoire ou conçue spécifiquement, et de clips vidéos. Pas d’innovation à attendre, donc, de ce côté-là.
5. – Le terme de « reverse broadcasting » est le contraire de la délinéarisation. On crée des contenus pour le web, qui seront ensuite programmés sur l’antenne. 

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