« On joue leur corps » ~ Entretien avec la bruiteuse Élodie Fiat

Après une formation aux métiers du son à Noisy-le-Grand et en réalisation audiovisuelle au CREADOC à Angoulême, Élodie Fiat rencontre l’art du bruitage en la personne de Sophie Bissantz lors d’un stage à Arte Radio sur Comme un pied, une fiction de Mariannick Bellot. Elle a l’opportunité d’entrer en 2013 à Radio France où elle est formée par Sophie Bissantz, Patrick Martinache et Bertrand Amiel. Elle travaille aussi « à l’image » (c’est-à-dire pour le cinéma) en binôme avec le bruiteur Aurélien Bianco.

Carnet de bruitage d'Élodie Fiat © Clitous Bramble

« Carnet de bruitage d’Élodie Fiat » © Clitous Bramble

Être bruiteuse, c’est surtout être technicienne ou créatrice ? Il faut même être un peu actrice ?

Le travail de bruiteuse ou de bruiteur se marie aux souhaits du réalisateur et aux compétences de l’ingénieur de son. À la radio, comme au cinéma, c’est un travail d’équipe.

En radio, nous réfléchissons ensemble à l’installation d’une scène : où placer les micros, quels déplacements pour les comédiens, à quel endroit effectuer le bruitage ? Telles peuvent-être les questions qui se posent. Tout cela afin de créer une image sonore homogène et embarquer l’auditeur dans l’histoire.

Le bruiteur accompagne le comédien face au micro. Suivant les scènes, il est amené à « jouer » le corps du comédien, c’est-à-dire à bruiter certains de ses mouvements à sa place, afin que les sons soient bien équilibrés par rapport à la voix.

Équilibrer les sons, c’est l’une des attentions de ce métier. Au quotidien, nos oreilles filtrent certains bruits. Ainsi, lors d’un repas, nous ne nous préoccupons pas des sons de couverts ou de vaisselle. Mais lorsqu’on enregistre une scène de déjeuner, ces bruits court-circuitent la voix, ils deviennent omniprésents, quasi insupportables. Au bruiteur donc de maîtriser ces objets pour les faire sonner de manière réaliste et équilibrée en étant guidé par le jeu du comédien. Lors de ces scènes assez cocasses, le comédien est alors accompagné d’une sorte d’ombre qui joue ses gestes… comme si le personnage était divisé en deux !

On ne doit pas entendre notre présence. Bruiter c’est aussi être très silencieux et discret. On triche, on ruse pour ne faire ressortir que ce qui nous intéresse.

Par exemple, pour une scène de bagarre dans une salle de bain, nous ne pouvions pas mettre les deux comédiennes véritablement en situation. L’une devait essayer de noyer l’autre dans une baignoire… sans qu’on n’ait de baignoire en studio ! Nous avons installé un dispositif pour jouer la scène toutes les trois, en vis-à-vis. L’une des comédiennes pouvait mettre la tête dans une bassine pour crier dans l’eau, et avec une autre bassine, plus grande, je « faisais » leurs corps.1

J’ai besoin du soutien des comédiens sinon le bruitage sonne étrangement, comme s’il était à part du personnage. Pour eux, ce n’est pas évident d’avoir quelqu’un qui joue les gestes de leurs personnages. Il faut alors expliquer et se positionner au mieux pour être en accord avec eux.

Dans d’autres cas, le bruiteur est seul au micro, lorsqu’on a besoin de matière sonore à part pour enrichir la fiction ou le documentaire. On peut alors préciser des sons simples, tels que des lames d’épée, un vol d’oiseau, une clochette, mais aussi expérimenter des choses plus compliquées. Comment recréer le son d’une éolienne, d’un raz-de marée, d’une chute d’arbre, d’un bateau en bois ? Ce sont des secrets bien gardés, des recettes de bruiteurs qui se transmettent. Des hasards, parfois aussi. Mais c’est surtout de l’expérimentation, une recherche de matière, de geste et de rythme. Le métier de bruiteur évolue donc entre ces différents champs de la technique, du jeu et de la création.

Le bruitage est indissociable de l’histoire de la radio (il est d’ailleurs encore plus ancien) et, pour le grand public, il a gardé un côté pittoresque un peu suranné. Est-ce une pratique qui a évolué et qui évolue encore ?

C’est un artisanat du son. Nous travaillons avec des objets, nous conservons, nous recyclons. On a pu croire que le métier allait disparaître lors de l’arrivée du numérique et notamment avec toutes ces banques de sons qui répertorient un nombre incroyable de bruits. Elles sont d’ailleurs très utilisées, car certains sons restent compliqués à reproduire ou permettent de soutenir un bruitage fait à la main.

L’arrivée du numérique a fait évoluer tout le fonctionnement de la production radiophonique, et le bruitage n’est pas une exception. Les effets proposés par l’ingénieur du son sont désormais des outils indispensables. Mais le bruitage ne disparaît pas car il permet de gagner beaucoup de temps en fabriquant des sons précisément adaptés à une scène, à bonne distance, en suivant l’intention du personnage, au rythme choisi par le réalisateur.

Carnet de bruitage d'Élodie Fiat © Clitous Bramble

« Carnet de bruitage d’Élodie Fiat » © Clitous Bramble

Est-il vrai qu’un bon bruitage ne doit pas être remarqué ?

Quand j’écoute un comédien, j’ai envie d’être emportée dans ce qu’il me raconte. Pour le bruitage c’est pareil. Je veux croire à l’histoire qui se joue et la technique doit alors s’effacer. Les bruits nous accompagnent dans la scène, nous emmènent vers des images mentales. Ils ne doivent pas nous ramener au studio ou aux conditions dans lesquelles ils ont été enregistrés.

Un bruitage doit-il être vraisemblable ?

Pas forcément. Comme je l’ai dit précédemment, il est là pour nous embarquer. Il est dans la sensation. Selon l’histoire, la scène, il nous faut trouver comment on souhaiterait que les choses fassent du bruit : une forêt pourrait sonner comme des petits cliquetis de verre, la mer comme une plaque de Plexiglas que l’on secoue, un bateau comme une imprimante… La poésie n’est pas seulement dans le verbe, les sons aussi nous amènent dans les recoins cachés de nos têtes.

Cet article est paru à l'origine dans les Carnets de Syntone de janvier 2016. Abonnez-vous pour recevoir nos articles en primeur !

Cet article est paru à l’origine dans les Carnets de Syntone de décembre 2015. Abonnez-vous pour recevoir nos articles en primeur !

Note :

1 L’anecdote remonte aux enregistrements de L’éternel de Joann Sfar pour France Culture en octobre 2015. Celui-ci a lui-même filmé la situation que l’on peut apercevoir dans cette courte vidéo sur Instagram.

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