Les Radiophonies 2009 : promouvoir la fiction par l’écrit ~ Entretien avec Françoise Gerbaulet

Pour leur huitième édition, les Radiophonies de Paris, festival consacré à la fiction radiophonique francophone, s’enrichissent d’une section hors-compétition accueillant les formats courts ~ les “11/13” ~ et d’un projet d’édition en forme de pari : la collection des Phonuscrits propose à la vente quatorze textes originaux, en espérant qu’un éditeur pérennise l’initiative. Explication de Françoise Gerbaulet, directrice artistique du festival.

Quel est votre regard sur la fiction radiophonique aujourd’hui ? Les formes actuelles sont-elles celles d’hier ?

Je dirais qu’aujourd’hui les narrations sont très présentes, plus qu’avant, et que la forme radiophonique tend à prendre ses distances par rapport à la forme théâtrale traditionnelle, au profit d’expressions plus proches du roman, de la nouvelle ou du scénario de cinéma. Cela correspond à l’évolution du théâtre où les narrations et les “montages” sont aussi très présents.

J’observe également une tendance à croiser des éléments historiques ou documentaires avec la subjectivité de l’auteur, comme dans Drôle de Silence de Julien Simon, produit par la RTBF (à propos de la guerre d’Algérie), La Dernière Pierre de Christine Van Acker ou encore Le corps plein d’un rêve, sept vies de Patti Smith de Claudine Galéa (France Culture), prix du texte des Radiophonies 2008.

Il y a également des oeuvres expérimentales spécifiquement écrites pour la radio, comme Toute tentative d’autobiographie serait vaine de Louise Desbrusses, mais si ces œuvres sont toujours très contemporaines, depuis La Guerre des mondes ou Maremoto la démarche n’est pas nouvelle.

Enfin, la grande différence entre hier et aujourd’hui, c’est qu’aujourd’hui bénéficie de la mémoire des productions d’hier : en témoignent les cinq désopilants “radiodrames à l’ancienne” produits par Couleur 3, la radio “jeune” de la RSR, dont deux ont été sélectionnés par le festival et sont publiés dans Les Phonuscrits : Le mur de l’Amour et Meurtre en stéréo.

Et en termes de production et de diffusion, la fiction est-elle en bonne santé ?

(cc) Boris Mendleson – flickr

Depuis 2002 que Les Radiophonies existent, la seule grande évolution nous vient de Belgique, où le système du Fonds d’Aide à la Création Radiophonique permet à des producteurs indépendants de créer des œuvres dans des conditions professionnelles, d’où une grande vitalité de la création radiophonique belge. Nous en programmons et publions trois cette année.

En France, la situation n’évolue guère : rien sur les grandes périphériques, aucun moyen de production et de diffusion sur les radio locales ou privées (à l’exception de Radio Grenouille) et donc un quasi monopole de France Culture qui ne favorise ni la circulation des œuvres, ni une grande émulation créatrice.

Radio Canada ne produit plus de fiction, et cela depuis tellement longtemps qu’on finit par oublier de le mentionner. La RSR, quasiment plus : les cinq Coups de théâtres de Couleur 3 évoqués plus haut étaient une opération ponctuelle. Depuis quelques années, le prix Paul Gilson des Radios Francophones Publiques a été supprimé sans que personne ~ à ma connaissance ~ ne s’en émeuve.

En Afrique, les gens n’ont pas la télévision et les histoires radiophoniques sont un moyen très prisé d’aborder des problèmes de société. Mais il n’y a plus de moyen depuis que RFI a déserté le terrain de la fiction. Depuis six ans que nous recevions au festival trois ou quatre productions africaines chaque année, en 2009 les problèmes de production sont tels que nous n’en aurons qu’une, Maladie Mystérieuse de Loffe Chirali, de la République Démocratique du Congo.

Alors je pose la question : n’y a-t-il plus que les Belges pour défendre la francophonie ?

Du côté des webradios, la production et la diffusion est très vivace, mais sans doute manquent-ils de moyens pour la production. De plus, l’avantage de ne pas être asservi à une grille de programme et à un formatage est aussi un inconvénient, car cela ~ ajouté au manque de moyens ~ produit des formes très courtes. En ce qui nous concerne, nous militons pour l’existence de formes qui permettent aux langages artistiques de la radio et à l’imaginaire des auditeurs de se déployer tranquillement et qui permettent aussi aux créateurs d’essayer de gagner leur vie !

On ne peut pas aborder ces problèmes sans souligner encore et encore la scandaleuse ignorance des médias ~ presse écrite, télé, et bien sûr radio ! ~ vis-à-vis de cette pratique artistique.

Régulièrement quelques journaux spécialisés font un papier pour dire “la fiction radio existe toujours, le public aime ça, c’est formidable”, mais très rarement on parle des œuvres, et jamais des auteurs, des réalisateurs ou des comédiens. Je pense vraiment que cette ignorance joue un rôle dans les problèmes de production et de diffusion.

Vous lancez les « Phonuscrits ». Dans la fiction radio, quelle est pour vous la place du texte (et par de-là, celle de l’auteur) ?

Il me semble évident que depuis que la fiction radiophonique existe, le texte est premier. Ce n’est pas une notation hiérarchique, encore moins un jugement de valeur, c’est tout simplement qu’on ne peut pas réaliser une fiction sans avoir d’abord un texte, qu’il s’agisse d’un scénario, d’une nouvelle ou d’un roman adapté, ou encore d’une œuvre spécifiquement écrite pour la radio.

En revanche, le fait que le texte soit premier dans le processus de création n’entraîne en aucune manière une “première place” pour l’auteur dans la hiérarchie des compétences. Tous les réalisateurs que je connais sont les seuls maîtres à bord, et ils s’attachent toujours à servir au mieux le texte. Il y a plus ou moins de concertation entre l’auteur et le réalisateur, mais l’important n’est pas là. Plus le texte est précis et exigeant, plus le réalisateur est “à l’écoute” de l’écriture, et plus il est fidèle au texte. C’est le petit miracle de la création radiophonique.

Le système belge permet l’émergence d’auteurs-réalisateurs-producteurs : je pense que pour eux aussi, le texte est premier dans l’ordre des choses, ne serait-ce que pour pouvoir demander une aide à la création ! Sans doute dans ces cas-là, le texte s’écrit-il avec la pensée de la réalisation future. Il est très intéressant d’essayer de voir “comment ça marche” à travers les quatre textes que nous publions, dont les auteurs sont aussi les réalisateurs : La Dernière Pierre, Olimo, Sangs Mêlés et Maladie Mystérieuse.

Pourquoi une édition imprimée plutôt qu’une édition audio ?

La première raison est que les fictions appartiennent aux producteurs, c’est à eux de commercialiser leurs productions, et j’espère vivement que l’existence des Phonuscrits les incitera à le faire davantage.

La deuxième est de montrer que l’art radiophonique génère de “vrais textes” : est-ce qu’on s’étonne de voir publier “sans le son” les textes écrits pour la radio par Becket, Duras, Tardieu, de Perec et tant d’autres ? Depuis que la fiction radio existe, il n’y a jamais eu d’édition qui lui soit dédiée. Il fallait que cela se fasse, alors nous l’avons fait, grâce à l’aide de SOFIA, organisme qui gère la copie privée des auteurs de l’écrit.

Nous souhaitons que cette édition contribue à faire connaître la fiction radiophonique à un public de lecteurs qui en ignorent le plus souvent l’existence. Que les auditeurs puissent revenir aux textes des fictions qu’ils ont aimées et que cela fasse pression sur les producteurs pour commercialiser les CD. Que les écoles du son et les radios locales et associatives aient envie de monter à leur façon des textes déjà créés à la radio. Nous souhaitons que les compagnies de théâtre amateur ou professionnelles trouvent là un répertoire nouveau, inventif et audacieux, et que cela incite les radios publiques, notamment France Culture, à jouer pleinement leur rôle de découvreur de talents, de “banc d’essai”, pour reprendre une expression chère à Alain Trutat.

~

Les Radiophonies, du 25 au 27 septembre 2009, Maison de la Poésie, 157 rue Saint-Martin, 75003 Paris. Renseignements et programme complet ici.

2 Comments

  • Silvain Gire dit :

    Bonjour,
       Merci pour cet entretien et en général pour cet excellent blog d’infos & critiques qui nous manquait. Je ne peux hélas pas laisser passer les énormes mensonges assénés tranquillement par Mme Gerbaulet dans les 5 lignes consacrées aux web-radios (lesquelles, d’abord ? le pluriel laisse gentiment supposer qu’il en existerait plusieurs à consacrer des ressources à produire de la fiction radio – on attend la liste). Dans l’ordre donc, et pour rassurer Mme Gerbaulet, son interlocuteur et les lecteurs : ARTE Radio (point, com) a bien des « moyens », ils sont même entièrement consacrés à produire de la radio de création, et  à payer ceux qui la font. Les formes fictionnelles ne sont pas forcément brèves, puisque notre série « Le Bocal », prix Europa 2008 du meilleur feuilleton radio, danke schön, thank you, totalise quelques 65 minutes de fiction on ne peut plus sonore bing et radiophonique switch. Des auteurs comme celle du « Bocal », Mariannick Bellot, n’ont pas à se plaindre de l’existence d’une radio de création en ligne, le succès du Bocal ayant entraîné pour elle – et à juste titre – quelques récompenses annexes. Par ailleurs, et c’est mon scoop pour Syntone, nous venons aujourd’hui d’accorder à Mariannick à titre d’avance pour l’écriture de sa prochaine fiction pour ARTE Radio le montant exact en droits d’auteur qu’elle nous a réclamé. Chère Françoise, la prochaine fois que vous serez tentée de dire des bêtises sur les web radios, faites comme d’habitude : appelez-moi avant. Bien à vous tous, et vive la radio.

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