Le Son du Nous. Sans moi.

Le Son du Nous. Le titre était alléchant, la presse culturelle au garde à vous. Le spectacle de Philippe Starck (LE designer que l’on ne présente plus), associé au collectif franco-new-yorkais hype Soundwalk, qui a notamment conçu des guides MP3 créatifs de Paris (avec Lou Doillon) ou de Shanghai en partenariat avec Louis Vuitton, se parait ainsi de ses plus beaux atours. L’ambition affichée par les auteurs était de nous faire vivre “une expérience hors-norme, à la recherche du son qui nous manque”, le son unique, le fameux Son du Nous. J’étais donc samedi soir dernier à la Maison des Arts de Créteil de ce Nous. Enfin presque…

Peter Newell - Through the looking glass and what Alice found there, 1902

Peter Newell – Through the looking glass and what Alice found there, 1902

Des infra-basses relativement inconfortables résonnent en guise d’ouverture. Une ampoule nue pour seule lumière. Crue. Le maître de cérémonie entre en scène. Tout de cuir noir vêtu, il est visiblement décontracté et pas peu fier de l’entreprise qu’il s’apprête à nous livrer. Façon stand-up, Philippe Starck nous accueille donc et dégaine, entre deux anecdotes perso, un début d’explication à cette “exploration collective” : parce que nous cherchons tous l’amour ou la maison de notre vie. Alors pourquoi pas le son ? Soit.

Pour illustrer son propos, le messie et ses apôtres, très concentrés derrière leur tablée d’iMacs, vont nous raconter en son (et en toute modestie, insiste Starck) l’histoire de notre humanité. 4 milliards d’années. Rien que ça !

Des battements de cœur au vrombissement du cosmos en passant par le chant d’une femme, victime, nous dit notre commentateur, de l’obscurantisme religieux illustré par un “Allah Ouakbar” (véridique) suivi de chants vaguement grégoriens et de tintements de cloches dignes d’une publicité pour un fromage corse, Soundwalk et Starck enchaînent les clichés sonores malheureux et inconsistants. Mes oreilles n’en reviennent pas. Suis-je la seule à partager cet effarement ? Je regarde autour de moi. Le public, soi-disant invité à participer, ne dit mot. Est-ce à dire qu’il consent ? Je ne saurais dire…

La frise historique et sonore continue de se dérouler. C’est l’ère moderne, la ville et ses tututs de voitures. Un saxo un peu sexy accompagne la bande son d’un New-York sublimé. Puis clou du spectacle, le vrai son (précision d’importance pour Starck) des Twin Towers qui s’effondrent. 11 septembre 2001. Fin de notre société nous dit-on. Rires d’enfants et renaissance… No comment.

Vient enfin le moment collectif tant attendu. MC Philippe nous propose alors de nous lever. Ce que nous faisons tous, invités à respirer profondément. Et comme “on ne peut pas faire prendre un risque que l’on ne saurait prendre soi-même” (sic), le gourou Starck va nous accompagner. Pour crier TOUS ensemble. “Ce qui est exceptionnel et produit un son très rare et très beau”, nous précise-il. Starck se place alors derrière une petite caméra. Son visage et sa glotte s’affichent en géant sur un écran. Un. Deux. Trois. Le cri du nous se fait entendre.

Et là, puisque la démagogie bat son plein, nous allons nous réécouter pour n’entendre en fait que Starck lui-même. Ce qu’il concède d’ailleurs. Saluts des artistes. Applaudissements nourris. Fin.

À l’issue d’une telle représentation, je m’interroge. La création sonore peut-elle s’accommoder d’un tel déni du sens ? Le son pour le son, commenté de surcroît, a-t-il vraiment sa place dans un festival pointu et exigeant comme Exit à Créteil ? Que nous apprend une telle entreprise d’illustration sonore ? Que le son est précieux, bien qu’il soit partout. La belle affaire ! C’est vraiment nous prendre pour des jambons dirait mon boucher.

Finalement, ce Son du Nous, c’est un peu comme la démocratie participative. Tu as le droit de crier mais à l’arrivée, tu ne t’y entends guère. Moi en tout cas, je ne m’y suis pas entendue. Suis-je la seule ?

4 Réactions

  • En lisant la présentation de cette action sur le site web, j’étais déjà très septique sur la part du sincère et la part de la récupération médiatique dont la création sonore fait hélas les frais depuis quelques temps  (rançon de la gloire ?).

    Mais au vu de ce témoignage, je pense que mes craintes étaient encore en-deçà de ce qui s’avère être une véritable dérive ultra-médiatique scandaleusement oportuniste.

    Le sonore est-il soluble dans la superchere artistico-culturelle? Malheureusement oui en apparence, en tout cas sur ce genre d’action

    GM
    http://desartsonnants.over-blog.com

  • Le Sot dit :

    Avant la démocratie participative il y eut le club med, feed-back.

  • DX dit :

    Mettre autant de moyen dans un projet aussi pompeux c’est déprimant. Quand on voit l’énergie qu’il faut parfois déployer pour achever des travaux sonores hautement plus sincère, il y a de quoi s’arracher les oreilles.

    DX
    http://www.ihokane.com

  • Marie dit :

    @Le Sot

    c’est effectivement le Club Med !
    mais là les GO doivent être extrêmement bien payés ;)

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