Souvenez-vous, en 2008 : le CSA annonçait que cette fois, ça y était vraiment, on arrêtait de tergiverser, la Radio Numérique Terrestre, en France, on la faisait. Il était temps de moderniser ce vieux média qui persistait à marcher avec le poste de grand-papa. De libérer des places sur la bande FM saturée. De couvrir les zones où la FM coinçait. De multiplier l’offre. Appel à candidatures ! Et attention, dépêchez-vous : hors de la RNT, point de salut, et tant pis pour les retardataires quand on éteindra la bande FM.
Une coordination de radios associatives réfractaires, Radios en lutte, se créait pour dire que les auditrices et auditeurs avaient peut-être autre chose à faire que de racheter tous leurs transistors, qu’en fait de libération des places on risquait plutôt d’assister à une déclinaison de programmes clonés, que la RNT coincerait dans des zones où la FM passait, et que les radios associatives non-commerciales ne pourraient pas suivre : en cause, notamment, l’absence de financement spécifique prévu pour la double diffusion FM / numérique. La Confédération nationale des radios associatives (CNRA) et le Syndicat national des radios libres (SNRL) s’accordaient pour trouver, au contraire, que c’était là une belle opportunité et que l’argent viendrait à temps, à force de négociations. Quant aux radios commerciales, bon nombre débordaient d’enthousiasme face à la perspective d’ajouter de l’image au son, et de la publicité à la publicité.
Six ans plus tard, grand chamboule-tout. Une nouvelle norme de diffusion (notamment poussée par les associatives, et bien moins aberrante que celle initialement prévue), trois zones où la diffusion est officiellement en cours depuis le mois de juin (Nice, Marseille, Paris), mais seulement 15% des radios à vouloir y croire. Du côté de l’État, on entend beaucoup moins le CSA autrefois très prolixe (un énième rapport est annoncé sous peu) et, pour le gouvernement, il n’est même plus question de numériser Radio France. Du côté des radios privées, le SIRTI (syndicat des radios et télés indépendantes) est plus motivé que jamais, mais le Bureau de la radio, qui représente les grandes groupes (NRJ, RTL, NextRadio, Lagardère), ne jure depuis longtemps plus que par le streaming (autrement nommé « radio IP ») appuyé par les podcasts. Du côté des associatives, le SNRL aime toujours la RNT, mais la CNRA appelle l’État à tout arrêter parce que son déploiement « ne pourra se faire qu’au détriment immédiat des radios associatives émettant en FM ». Quant à Radios en lutte, elle a disparu des radars.
Parmi ses anciennes membres, plusieurs participent aux diffusions en cours, comme Radio Zinzine, qui encourage ses auditrices/teurs à acheter un poste et à soutenir la radio dans cette transition. La radio parle, dans la zone de Marseille, d’une expérience de mutualisation réussie entre radios libres : le choix de l’autogestion technique grâce au savoir-faire, notamment, de Radio Galère en la matière, pour un coût de diffusion (500 € par radio et par mois) nettement moins cher que via un opérateur FM classique (de 1500 à 3000 € par radio et par mois sur Marseille)1. Autres appels à soutien chez ses co-signataires d’autrefois, mais pour des motivations bien différentes : celui de Radio Canut, toujours aussi fermement décidée à rester exclusivement sur la FM, pour financer son local et sa bonne vieille diffusion sur le 102.2 lyonnais ; ou celui de l’Eko des garrigues, pour ne pas éteindre le 88.5 à Montpellier2.
Drôle de privilège, pour les radios libres, que d’essuyer les plâtres d’une RNT à l’avenir très hypothétique, surtout à un moment où même les plus indéboulonnables ou inventives d’entre elles tirent la langue. Ça finirait presque par nous donner envie que ça marche, histoire de ne pas fragiliser davantage des radios qu’on apprécie3.
- Lire aussi le dossier de Syntone sur la RNT.
- Notes :