bip bop fut une émission mensuelle qui n’aura existé que le temps de six numéros, de janvier à juin 2013, sur Radio Città Fujiko à Bologne. Mais dans un paysage radiophonique italien sans surprise et sans plus aucun espace d’expérimentation sonore, cette émission a représenté une réelle incursion sur les ondes. Chaque épisode résultait d’une recherche, avec l’intention d’explorer les possibilités esthétiques et conceptuelles de l’art sonore en radio, et donnant à entendre un panel international d’artistes qui travaillent avec le langage radiophonique. Les membres du collectif bip bop – Elena Biserna, Rita Correddu et Alice Militello – ont répondu collectivement aux questions d’Anna Raimondo.
Quelle est l’expérience de chacune d’entre vous ? Quel est votre terrain commun et quels désirs vous ont amenées à réaliser ce projet ?
bip bop : Nos voies se sont croisées pour la première fois à Bologne en 2005, à l’intérieur et à l’extérieur du monde universitaire et du département des arts visuels où nous avons étudié. De là, chacune d’entre nous s’est engagée suivant différentes directions dans un parcours personnel et approfondi entre pratique et théorie, recherche et édition, espaces publics et indépendants. Nous partageons toutes les trois une approche ouverte et interdisciplinaire de l’art à partir de réflexions liées à l’espace public, aux pratiques in situ temporaires ou liées au son et à l’écoute.
C’est dans l’espace radiophonique que nos différentes orientations ont trouvé l’endroit idéal pour développer un dialogue frais et constructif.
C’est comme ça qu’est né bip bop : à partir de la volonté d’explorer le rôle actuel de la radio, sa « présence », ses aspects mobile, immatériel et temporaire. À partir d’un intérêt pour la radio en tant que plateforme qui replace la création esthétique dans les mailles de la quotidienneté. Aussi en tant qu’espace public étendu qui amplifie l’écoute et la parole, et qui l’utilise pour connecter des lieux et des gens.
Comment le langage radiophonique a-t-il influencé votre méthodologie d’écriture ? Quel rôle a joué l’auditeur dans le processus ? Pouvez-vous nous décrire un de vos épisodes préférés ?
Nous n’avions jamais travaillé à la radio, donc notre approche a été très libre. On a pensé l’espace radiophonique comme un lieu aux limites indéfinies, accessible librement et partageable avec l’auditeur. Depuis le début, nous l’avons imaginé comme un dispositif, on l’a visualisé de façon physique et on en a articulé la structure en sections : projets d’artistes interdisciplinaires, interaction avec d’autres stations de radio, lectures, playlists, etc.
Cette « structure » s’est révélée plus imaginaire que réelle parce que nous avions décidé de réaliser ces matériaux sous forme de flux, sans commentaire ou sans un cadre qui aurait permis de distinguer le squelette du programme et les différentes contributions. Nous avons ainsi créé à chaque fois un flux sonore de deux heures de direct-radio. Chaque épisode était construit à partir d’un condensé de réflexions : la relation entre oralité, langage et identité individuelle et collective ; l’articulation de la mémoire avec la dimension de l’écoute ; le chœur, la polyphonie, la voix collective ; le rapport entre son et espace ; le rôle du « storytelling » dans l’art contemporain…
Nous projeter dans « l’éther » nous a amenées à raisonner concrètement sur l’entité d’un espace temporel de quelques secondes en lui reconnaissant la même importance qu’un espace temporel plus dilaté et réfléchissant sur le rythme interne et la dimension de l’écoute. Chaque épisode formait un parcours. Par exemple, dans l’épisode n°2, en abordant les relations entre mémoire, écoute, sons et territoire, nous avons créé un dialogue entre des œuvres de Brandon LaBelle, Luca Vitone et d’autres artistes, avec une lecture de Daniela Cascella, l’intervention en direct de Giorgio Andreotta Calò, les musiques de William Basinsky et nos courtes lectures tirées de Ivan Illich, Susan Hiller et Maurice Hallbwacks.
bip bop naît dans une scène précise : à Bologne, dans les studios de Radio Città Fujiko (radio communautaire connue pour son activisme et pour ses liens avec la mythique Radio Alice) ; … en Italie, qui est un pays où l’histoire de l’art sonore a connu des moments décisifs, comme le mouvement des futuristes ou la naissance du groupe Ars Acustica à Florence en 1988. Aujourd’hui, bip bop fait partie des initiatives qui, dans le pays, revivifient l’art sonore à travers une façon différente de faire de la radio. À votre avis, en considérant la situation médiatique en Italie, proposer de l’art à écouter à la radio peut-il être interprété comme une forme de résistance ?
C’est absolument vrai. En Italie et dans notre ville, la radio possède une tradition importante. Son histoire est traversée par des courants de contestation et de transgression des formes culturelles établies. En même temps, comme tu dis, en Italie existent différentes plateformes importantes qui travaillent entre radio et art comme par exemple Rai Radio 3, Radio Papesse, Radio Arte Mobile… [à ce propos, lire sur Syntone Enquête sur les radios d’art, NDLR]. Cependant, nous n’avions aucune velléité de créer quelque chose de nouveau : notre intention était de nous investir dans un espace qui nous était inhabituel. Grâce à Radio Città Fujiko nous avons pu réaliser cela, avec toutes nos fragilités.
Radio Città Fujiko n’est pas une radio artistique, mais une radio locale indépendante. On nous a confié un créneau mensuel, ce qui est inhabituel pour cette radio et, de plus, notre émission remplaçait temporairement un autre programme. Bref, bip bop était une proposition hors norme par rapport aux autres émissions de Radio Città Fujiko, nous l’avons toujours vu comme une incursion. bip bop a, pour ainsi dire, pris la forme d’une expérimentation, qui ne prévoyait pas qu’on tire de conclusions.