Expérimenter la fiction au festival Sonor ~ Entretien avec Christophe Rault

Sonor, 5ème du nom, se tiendra du 6 au 14 mars à Nantes et Rezé, avec un préambule à Nantes et Cholet les 4 et 5 mars. Résolument du côté des indépendants, radios libres et collectifs de création radiophonique, ce festival prend à bras le corps la question récurrente posée par n’importe quel événement public consacré au genre : comment rendre la radio scénique, comment ne pas la dénaturer, comment la réinventer par la performance ? Sonor cherche donc à casser les cloisons des studios, se frottant cette année à la fiction en direct et en public ~ “spécialité” pourtant made in France Culture, comme à Longueur d’Ondes depuis 2003 ~ et plutôt deux fois qu’une. Seront de la partie, pour une soirée, Jean-Philippe Renoult et sa Popsonics Radio et pour une autre, l’Atelier de Création Sonore Radiophonique emmené par Christophe Rault.

Entretien avec ce dernier, membre actif de l’association bruxelloise et réalisateur du conte radiophonique Le Reflex du Cyclope.

Tramway et Lieu Unique (cc) sylaf - flickr

Tramway et Lieu Unique (cc) sylaf – flickr

Elle promène des visages dans un demi sommeil, qu’elle accroche à son cou comme un collier de perles. On lui a caché son royaume. Dans la forêt qui n’a pas de nom. Juste de l’autre côté de la rivière. Elle rencontre des restes d’humains, des monstres très vivants. Elle leur parle et leur demande: “Je peux vous prendre en photo ?”

Comment a démarré le projet du Reflex du Cyclope ?

Loïc Chusseau, qui programme le festival, m’a proposé de faire une fiction en live. Il a souvent de bonnes idées, et j’aime relever ce genre de défis. Il s’était passé la même chose avec le premier concert de TDOS [Théâtre Des Opérations Sonores, cf. le site de ce trio de “dub radiophonique”] à Nantes il y a 3 ou 4 ans. Cette fois, ce sera l’occasion pour moi de mélanger deux pratiques que j’expérimente depuis quelque temps : la fiction radio (Personnologue [NDLR, lire notre entretien avec l’auteur], Déjà-vu [NDLR, lire notre chronique], Le bocal) avec la performance radio live (TDOS). Je lui ai donc dit oui avec le soutien de l’ACSR et de Damien Magnette.

Une aventure collective, donc. Quels en sont les protagonistes ?

Dans l’équipe, il y a Carl Roosens (scénario), Laurence Katina (voix), Mélanie Lamon (voix), ZOFT/ Damien Magnette et Nicolas Jitto (batterie et guitare préparées), Carmelo Iannuzzo (production et voix-off), Anne-Sophie Papillon (régie son), Elisa Robet (assistante réalisation). En ce qui me concerne, je prépare et lance en direct tout les sons “naturels” (ambiances, sons seuls) ainsi que la voix-off qui est pré-enregistrée. C’est un projet nomade qui se construit en avançant, c’est le chemin qui définira le résultat. L’équipe est hyper motivée et regorge d’idées, alors tout va bien.

L’objectif n’est pas de produire une simple création sonore, mais de construire une véritable histoire dans laquelle l’auditeur/spectateur peut s’oublier et se laisser bercer. Je pense un peu aux fictions en direct réalisées autrefois (en télé et en radio) où les sons, la musique, les acteurs devaient être fin prêts. Cependant, j’essaie de placer une syntaxe radiophonique proche de mon travail documentaire ~ différents plans de voix pour la pensée et l’extérieur, utilisation de ruptures ~ pour être sûr de ne pas tomber dans une esthétique théâtrale et/ou de création sonore pure. Lors de la première session de répétition, nous en sommes venus à travailler des petits détails, des montages alternés, des ruptures franches, des superpositions précises, etc.. Comment rendre en live des effets de sens et de syntaxe radiophonique qui se construisent normalement par le montage ? C’est toute la question et l’intérêt de ce projet.

(cc) Cliff - flickr

(cc) Cliff – flickr

Comment s’élabore une fiction en direct ?

J’ai fait appel à Carl Roosens, un artiste bruxellois touche-à-tout (musique, BD, illustration, texte), et il a écrit une première histoire basée sur la vie et le travail de la photographe Diane Arbus, sous la forme d’un conte assez fou. Ensuite on a retravaillé le texte et la narration pour l’adapter au médium radio. C’est un gros boulot. Souvent en fiction, on pense trop à l’écrit, mais des mots bien posés sur le papier ne conduisent pas forcément à un bon rendu sonore. Ici, le principe est de s’autoriser à assumer le côté écrit pour certaines parties (voix-off narrative), mais pas pour les voix dialoguées et les voix “intérieures” (celles de la pensée). Ensuite, il faut répéter, répéter, répéter, trouver tout ce qui peut être repris par le son, et alléger d’autant le texte. J’en profite pour remercier Carl, car il assiste souvent au charcutage de sa matière, ce qui n’est pas très facile. Mais je crois que c’est indispensable : à la radio, on travaille du son, pas du texte. Une voix, c’est d’abord un son.

Y a-t-il une part d’improvisation ?

Au départ, j’avais pensé baser tout le travail sur l’improvisation. Avec Elisa, on a construit une sorte de partition générale, sur laquelle nous pensions nous appuyer pour jouer ensemble. Mais en fait, on ne s’en est jamais servi car on tombait trop vite dans une esthétique création sonore, ce qui n’était pas ma volonté sur ce projet. C’est ainsi que le bateau se déplace avec les forces et les énergies de chacun. J’essaie seulement de veiller d’un petit œil discret à l’aspect radiophonique qui m’importe beaucoup.

Alors, est-ce radiophonique ou scénique ?

Pour moi c’est d’abord radiophonique. La performance, c’est de tout faire en direct. L’idée, c’est que le spectateur renonce finalement à regarder pour ne faire qu’écouter. Le vrai problème de la radio “en vrai”, c’est de voir les visages des voix. Là, le principe est qu’on ne pourra pas voir le visage des comédiennes.

… Un petit son pour donner envie ?

Non, ce n’est pas prêt ! C’est comme si je te faisais goûter un plat pas encore cuit, ce ne serait pas très bon. Il vaut mieux en parler et faire saliver avec l’idée.

~

Outre le Reflex du Cyclope qu’on pourra voir/écouter le 12 mars, il y aura l’autre expérience de fiction, celle de Popsonics le 13 avec À la recherche des ondes perdues (épisode 2), et bien d’autres choses (écoutes, rencontres, “causeries”, concerts…) que nous vous invitons à découvrir sur le site du festival.

[Ajout du 3/05/10 : Retrouvez l’univers du Reflex du Cyclope sur le blog de présentation et de promotion du projet]

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