Écoute binaurale : quelques repères

De plus en plus de productions sonores destinées à l’écoute au casque s’accompagnent aujourd’hui de la mention « son binaural ». Si les techniques connaissent actuellement des développements importants, le binaural est pourtant connu des ingénieur·e·s du son depuis longtemps, avec ses partisans et ses détracteurs. Alors, argument promotionnel ou véritable révolution sensorielle, de quoi retourne-t-il exactement ?

Étymologiquement, le terme « binaural » fait référence au fait que nous sommes pourvus de deux oreilles. Ce détail de notre anatomie auditive n’a pas longtemps échappé aux inventeurs, il faudrait remonter à la fin du XIXe siècle, aux tubes auditifs des premiers phonographes ou au Théâtrophone de Clément Ader pour retracer la préhistoire du binaural. En 1931, c’est également le nom de « binaural sound » que l’ingénieur Alan Blumlein avait initialement donné à son invention restée sous le nom de stéréophonie. Par la suite, le terme est revenu en usage pour qualifier la capacité de notre écoute à localiser les sons non seulement sur le plan horizontal de l’axe stéréophonique, mais aussi dans un espace tri-dimensionnel, dont nous distinguons l’avant de l’arrière ou le haut du bas.

Physiologiquement, cette aptitude ne repose pas seulement sur nos deux oreilles, auxquelles les sons parviennent avec des différences de temps et d’intensité, mais aussi sur la manière dont notre crâne ou la forme de nos oreilles filtrent chaque son en fonction de sa provenance, grâce aux Fonctions de Transfert Relatives à la Tête. Les sons nous parviennent ainsi avec une « signature » spatiale, une altération spécifique des timbres que notre cerveau apprend à décoder pour en localiser l’origine. Dépendante de la forme de notre tête ou du dessin de nos oreilles, la « banque de données » neurologique à travers laquelle nous percevons l’espace sonore est ainsi spécifique à chacun·e.

Un exercice simple et amusant permet de mesurer à quel point même nos cheveux peuvent influencer notre écoute. Assis·e sur une chaise, fermez les yeux. Un·e complice déplace autour de vous un son ténu (un simple frottement de doigts, par exemple), exercez-vous à le localiser.

Maintenant, coupez-vous les cheveux (ou si vous êtes chauve : mettez une perruque) et renouvelez l’expérience : c’est devenu beaucoup moins précis, il faudra quelques jours à l’audition pour « corriger » sa lecture de l’espace.

Si vous considérez que l’expérience ne mérite pas un changement radical de style capillaire, il reste possible de vivre par procuration la Tonte de Partick McGinley (alias Murmer) en l’écoutant au casque sur SilenceRadio. Afin de restituer le déplacement de la tondeuse sur son crâne, l’auteur a placé des micros miniatures dans ses oreilles, enregistrant du même coup les filtres de sa propre tête. Mais ceux-ci étant spécifiques pour chaque individu, le réalisme de l’espace sonore que nous ressentons reste toutefois limité, à la mesure de notre ressemblance avec le/la preneur/se de son ou, dans un autre cas, avec une tête artificielle.

Listening (CC-by-nc-sa Robin Baumgarten)

Listening (CC-by-nc-sa Robin Baumgarten)

Les têtes artificielles sont apparues dès les années 1960, et les micros à placer dans les oreilles font partie de l’attirail du « field-recording » depuis près de 20 ans. Si aujourd’hui le binaural connaît un nouvel essor, c’est essentiellement dû aux avancées des technologies numériques de spatialisation. Comme Hervé Déjardin, de NouvOson, l’expliquait à Syntone en 2013, il est désormais possible d’encoder un fichier multicanal en binaural, en modélisant une « fonction de transfert générique » qui correspond à la morphologie moyenne de l’être humain. Et bientôt, il s’agira de personnaliser l’écoute grâce à un « profil » de codage algorithmique.

Au-delà de l’émerveillement ou de la relative déception que peut susciter l’expérience d’écoute, le binaural est aussi l’occasion d’ouvrir un certain nombre de questions, qui sont à la fois d’ordre esthétique (Quel propos l’immersion réaliste est-elle à même de servir ?), technique (Comment produire un profil fidèle ? Et nous faudra-t-il bientôt acheter un casque « spécial binaural » ?), mais aussi politique et économique (Les différents moyens de personnaliser l’écoute ne pourraient-ils devenir des manières détournées d’en limiter le partage ?)… En attendant d’y répondre, souvenons-nous que la meilleure façon de vivre une expérience binaurale restera toujours d’écouter le monde à oreilles nues.

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