Leurs Quatre saisons de Paanajärvi, une série réalisée pour la contribution de Radio Grenouille au réseau Radia, ne sont encore qu’au nombre de deux en deux ans [lire leur présentation sur Télérama.fr], elles se sont posées au creux de notre oreille comme une bulle de son pur au milieu d’un océan de bruit. Cédric Anglaret et Nicolas Perret font de la radio sans paroles ou presque, en tout cas sans commentaire et en donnant toute la place au sonore. Entretien avec ce duo d’artistes officiant au sein du projet La danse de l’ours.
Comment avez-vous découvert le village de Paanajärvi ?
Le premier contact avec la Carélie russe s’est fait en 2008 lors d’une résidence en Finlande où une amie nous a vanté les charmes auditifs de Paanajärvi. Quand elle nous a proposés de l’accompagner, nous avons accepté, attirés par l’isolement et l’histoire du lieu. C’est là-bas qu’est né le projet La danse de l’ours et l’envie de produire des pièces qui sonderaient dans le temps les paysages sonores de territoires reculés, inexplorés ou disons “inouïs” à nos oreilles de collecteurs. À Paanajärvi, nous avons trouvé un village au paysage sonore singulier, loin des paysages hautement anthropisés que nous avions traversés jusque là : pas de route à proximité, électricité intermittente, pas d’eau courante, pas de réseau de télécommunications et pas même de couloir aérien.
On voit beaucoup d’artistes enchaîner les projets, les résidences de ci, de là. En ce qui vous concerne, vous vous attachez à un seul lieu pour un travail pointilleux de plusieurs années. Comment cultivez-vous cette constance ?
La vie à Paanajärvi est étroitement liée au rythme des saisons, il nous a donc semblé évident de donner cette temporalité à notre projet. Aussi, c’est un territoire qui ne se livre pas aisément.
Il demande donc du temps, de l’attention et de la précision quant au matériel nécessaire pour le sonder. Rudes conditions de vie dans un milieu hostile, éloignement, contact ardu avec la population… Ces exigences et la difficulté d’approche qui en découle sont des données qui nous excitent grandement. Explorer le village à répétition permet aussi de tisser un lien étroit avec les gens (qui sont toujours surpris de nous voir revenir chaque année depuis 2009), d’acquérir une certaine connaissance de son environnement sonore et ainsi d’être plus réactif, d’être au bon endroit au bon moment, voire même d’anticiper ce qui va se passer. Nous sommes complètement impliqués dans les scènes que nous enregistrons, parce que nous y sommes invités et acceptés, un peu à la manière de l’ethnologie participative.
Comment parleriez-vous de votre approche documentaire qui n’utilise aucun commentaire, ni vraiment d’entretien ?
C’est notre approche du terrain et du sujet qui est documentaire dans notre boulot, mais selon nous pas tant l’objet final. Nous avons confiance dans la capacité du son à stimuler l’attention et l’imagination de l’auditeur. Nous essayons de tisser de fines trames narratives, déroulées par le paysage sonore lui-même ou par des êtres vivants au sein même de ce paysage. Cette idée de narration en creux, assez filmique en fin de compte, nous essayons de la dérouler à travers de longs plans-séquences que nous affectionnons particulièrement et qui amènent une grande attention, il nous semble. Tout ça tend au final vers un objet assez minimal et tous nos gestes, du tournage au mixage, vont dans ce sens.
Qu’est-ce qui vous a amenés à la pratique de la prise de son de terrain ?
Depuis longtemps, nous avons toujours un petit enregistreur sur nous et nous enregistrons beaucoup de gens, de musiques, de fêtes, etc. qu’on utilise dans nos projets musicaux. Avec La danse de l’ours, on a commencé à soigner nos prises de son et à vraiment envisager nos micros comme des instruments, en pensant nos pièces en amont et en explorant des lieux à deux (et donc à deux, trois ou quatre micros). Par exemple, quand l’un fait des plans larges, l’autre va chercher des détails dans la même scène. On enregistre aussi souvent en mouvement, pour amener de la dynamique. Cela correspond également à une réalité sur le terrain : nous explorons ces endroits en marchant, la plupart du temps, et aimons l’idée de notre propre itinérance au sein même de ces paysages. Pour Out come the wolves, on a aussi fait pas mal d’enregistrements à l’aveugle, laissant les enregistreurs tourner tout seuls et glaner les sons que nous ne pourrions pas obtenir autrement, ce qui est assez commun chez les audionaturalistes. Cette pièce est exclusivement composée d’enregistrements de nuit. Au final, on essaie de placer l’auditeur dans les mêmes dispositions d’écoute et d’attention qui étaient les nôtres au tournage face à cet invisible audible (beaucoup de sons dont nous ne pouvions voir la provenance) qui nous entourait et parfois même nous effrayait.
Quelle est votre relation à la radiophonie en général et comment s’est faite la rencontre avec Radio Grenouille et Radia ?
On a tous les deux fait des émissions de radio su RGB (Cergy), Radio Panik (Bruxelles), Radio Sitka (Pologne)… Radio Grenouille, c’est d’abord une chouette rencontre avec Floriane Pochon. Elle nous à proposé de faire un numéro de Radia et puis, quand elle est partie, le courant est bien passé avec Marianne Crousillac.
De manière générale, la radio dans sa partie création nous parle souvent assez peu, peut-être parce qu’elle parle souvent trop d’ailleurs. Avec ces pièces caréliennes, nous travaillons sur des choses assez ténues et y portons beaucoup d’attention depuis l’enregistrement jusqu’au mixage. Nous sommes conscients de la fragilité de ces pièces lors de la diffusion, car elles sont destinées à être écoutées dans de très bonnes conditions. Elles sont donc pensées en dehors de toute considération du médium radio qui ne permet malheureusement pas souvent des conditions d’écoute optimales. Avec le podcast, c’est différent, car le geste présuppose une envie de la part de l’auditeur et donc certainement l’attention nécessaire à l’écoute de telles pièces.
Les deux premières “saisons” de Pannajärvi sont très différentes dans leur forme. Le printemps (And the sun came up, 2011) est exclusivement une composition de sons environnants, tandis que l’hiver (Out come the wolves, 2013) se construit autour d’un récit scindé en deux. Quand pourrons-nous découvrir “l’été” et “l’automne” à Pannajärvi et qu’allons-nous y entendre ?
En été : a priori des ours, des combat d’élans, des courses de barques, des barbecues canins… Chaque pièce fait l’objet d’une session d’enregistrement spécifique de deux à trois semaines sur place. On aimerait partir l’été prochain, mais on cherche encore des financements.
Un dernier mot sur vos autres projets radiophoniques ?
On finalise une pièce sur laquelle on bosse depuis 2010 en Svanétie, une région de haute montagne assez reculée du Caucase géorgien. C’est aussi un endroit assez alternatif avec des ours, des chants dissonants et de la chacha – un alcool à plus de 70° – ce qui est toujours pour nous un gage de qualité. La pièce sera diffusée sur la RTBF dans l’émission Par Ouïe Dire de Pascale Tison.
Photos © Nicolas Perret & Cédric Anglaret