Sur le site de la British Library, 50 000 pièces classées par genre sont disponibles en écoute libre : des musiques traditionnelles au spoken word, en passant par le field-recording et l’histoire orale, mais ce n’est qu’un aperçu des 3,5 millions d’enregistrements que possède actuellement la bibliothèque nationale britannique. Commissaire au département « nature & environnement » au sein de ces archives, Cheryl Tipp est responsable d’une précieuse collection. Elle nous ouvre les portes de cette institution dédiée à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine sonore.
Quel genre d’auditrice êtes-vous ?
Je pense être patiente et attentive. J’aime découvrir les petits détails qui existent dans chaque enregistrement, ces nuances que l’on peut manquer si on n’y prête pas toute notre attention. Mon ouïe s’est très certainement développée depuis que je suis à la British Library, car l’attention que l’on porte aux détails est déterminante quand on travaille dans les collections. Cela a modifié en profondeur ma manière d’écouter le monde qui m’entoure, qu’il s’agisse de tendre l’oreille pour percevoir le chant d’un rouge-gorge dans le vacarme de la ville de Londres ou pour prêter attention au doux bourdonnement d’un réfrigérateur. Cela m’a fait prendre encore plus conscience des différents environnements sonores que je traverse.
Des liens existent-ils entre les archives sonores de la British Library et la BBC ?
La British Library et la BBC travaillent ensemble depuis longtemps. Nous leur fournissons régulièrement des éléments pour les émissions de radio et de télévision. D’autre part, nous conservons les émissions diffusées au Royaume-Uni et le commissaire en charge de la radiodiffusion à la British Library, Paul Wilson, travaille actuellement à la création des premières archives radiophoniques nationales. Nous avons aussi organisé une série d’événements appelée Listening to the Radio, où le public est invité à la British Library pour écouter certaines émissions historiques de la BBC datant du milieu du XXe siècle. La radio est un média tellement riche et si intéressant que nous cherchons à la promouvoir autant que possible.
En 2013 nous avons collaboré à la série radiophonique Noise: a Human History diffusée sur BBC Radio 4. Il s’agit d’une émission présentée par le chercheur David Hendy qui s’intéresse à l’influence et au rôle du son dans l’histoire de l’humanité depuis 150 000 ans. Nous travaillons en ce moment sur The Listening Project, un projet participatif d’histoires orales. Il s’agit d’enregistrements de conversations personnelles, en tête à tête entre des proches, sur un sujet de leur choix. Ces conversations sont ensuite montées et diffusées sur les ondes de la BBC et archivées par la British Library. L’objectif est de dresser un tableau collectif des différentes trajectoires de vies et des relations contemporaines.
Le magazine Wire a interrogé plusieurs conservateurs des archives sonores de la British Library, dont Cheryl Tipp (à partir de la 6e minute)
Que peut-on découvrir dans le département « nature & environnement » que vous dirigez ?
La collection rassemble à ce jour plus de 160 000 enregistrements d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens, de reptiles, d’invertébrés et de poissons enregistrés sur les sept continents, mais aussi un large ensemble de paysages sonores, des forêts pluviales d’Amérique du Sud aux horizons gelés du cercle polaire arctique. La majorité de ces enregistrements n’a jamais été publiée, mais nous conservons également la totalité des éditions commercialisées de sons animaux, du premier disque réalisé en 1910 jusqu’à nos jours.
Quels moyens utilisez-vous pour diffuser et mettre en valeur les enregistrements de vos collections ?
Pour moi, les médias sociaux sont un outil formidable. Twitter, Facebook et les blogs permettent facilement d’échanger avec des passionnés qui partagent le même intérêt pour le son ou qui souhaitent mieux connaître les trésors dont regorgent nos archives disponibles en ligne. Mais ce n’est qu’une petite partie de notre collection. Plus de 1.5 million d’enregistrements sont en attente de numérisation ! D’après nos estimations, au moins 15 ans seraient nécessaires pour numériser toutes ces archives. Nous sommes actuellement en recherche de financement afin de commencer ce vaste chantier, mais la principale contrainte reste la disponibilité des équipements et le personnel. De nombreux formats analogiques sont désormais obsolètes et il est de plus de plus difficile de trouver les outils adaptés à la numérisation de certains artefacts qui risquent de disparaître à jamais.
Le plus ancien des sons que nous a aimablement prêtés Cheryl Tipp a été enregistré en 1937 par Ludwig Koch, un des pionniers de ce qu’on appelle aujourd’hui l’audionaturalisme.
Le blog Sound & Vision est-il un des vecteurs d’incitation du public à tendre l’oreille ?
Sound & Vision est d’abord un blog qui permet aux commissaires des archives sonores d’écrire sur leurs domaines de recherche. C’est une manière d’informer le public, mais aussi de l’inciter à participer à différents projets. En avril dernier, nous avons invité des preneurs de son à s’inspirer d’une des millions d’images publiées par la British Library dans le domaine public. Plusieurs artistes se sont pris au jeu et les créations sonores ont été postées sur le blog Sound & Vision. Une de mes préférées est signée par l’artiste australien Jay-Dea Lopez qui a été séduit par une illustration d’un livre du XIXe siècle, Babylon Electrified.
Les archives sonores peuvent être une grande source d’inspiration. Prêtez l’oreille aux collections et vous pourrez vous faire une idée de la richesse des matériaux dont nous disposons. Concernant la création, les droits d’auteurs peuvent parfois être un frein à l’utilisation ou la réappropriation étant donné l’âge relativement récent de certains enregistrements, mais dans tout ce qui est disponible, il y a des choses pour tout le monde.
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