Dans le milieu radiophonique des États-Unis, le Third Coast International Audio Festival (TCIAF) de Chicago est reconnu comme le “Sundance de la radio”. Le réalisateur indépendant Stéphane Vigneault (Gatineau, Québec) revient de Chicago et rend compte du travail de cet organisme méconnu du public francophone.
La nébuleuse Third Coast
Il faut d’abord expliquer ce qu’est le TCIAF, car son identification comme “festival” est trompeuse. Le TCIAF est né en 2000 à l’initiative de WBEZ, station chicagolaise désormais célèbre pour avoir lancé This American Life, l’émission qui allait faire de son créateur, Ira Glass, une icône de la radio publique étasunienne. Le TCIAF a dès le départ l’ambition de mettre en valeur le meilleur du documentaire audio tout en offrant un lieu de rassemblement pour la communauté radiophonique des États-Unis. L’organisation se fait surtout reconnaître pour sa conférence annuelle qui rassemble les professionnels de la public radio, mais les activités du Third Coast sont dès le départ très diversifiées et visent autant les professionnels que le grand public :
- organisation de “Listening Rooms”, des séances d’écoute dans des lieux originaux
- production de Re:sound, une émission qui propose les meilleures pièces radiophoniques du monde anglophone
- organisation du concours annuel ShortDocs qui offre au grand public de soumettre des pièces radiophoniques devant
- respecter un certain nombres de contraintes (prochain appel de projets en mai 2012)
- organisation du concours Richard H. Driehaus Foundation qui couronne les meilleurs productions de l’année (et qui a remis en prix plus de 250 000 $US depuis 10 ans)
- organisation du Third Coast FilmLESS Festival, un événement axé sur l’écoute de pièces radiophoniques
En 2009, le TCIAF devient un organisme à but non lucratif indépendant de la station WBEZ. 2009 marque aussi le lancement du FilmLESS Festival, un événement qui se veut plus axé sur le grand public. Le FilmLESS a maintenant lieu tous les deux ans, en alternance avec la Conférence. Le TCIAF songe à fusionner en 2014 le FilmLESS et la Conférence et à en faire un événement annuel ouvert autant aux professionnels qu’au grand public.
Le FilmLESS 2011
La dernière édition du FilmLESS Festival s’est tenue à Chicago le 23 octobre dernier. Sur le modèle du festival de film, il offre des “projections” regroupant de cinq à sept pièces radiophoniques de 10 minutes en moyenne. Les projections se terminent par un échange avec un réalisateur d’une des pièces programmées. Étaient notamment présents Jonathan Goldstein, animateur de Wiretap (CBC), et Jad Abumrad, le génie derrière l’extraordinaire Radiolab (WNYC), émission qu’Ira Glass lui-même a récemment avoué jalouser… Environ 200 personnes étaient présentes dans chacun des deux studios utilisés simultanément pour les projections. Sous un éclairage tamisé, les auditeurs écoutent religieusement, mais aussitôt la projection terminée, ils se tournent spontanément vers leurs voisins pour discuter de ce qu’ils viennent d’entendre.
Un des moments forts du festival a été la présentation de la pièce Finding Emilie de l’émission Radiolab qui raconte le retour à la vie d’Emilie Gossiaux, une jeune Étasunienne laissée pour morte après un terrible accident. Ce magnifique document (“Nous ne ferons jamais plus de pièce aussi forte” a avoué Jad Abumrad) avait déjà ému le public aux larmes quand Abumrad a révélé qu’Emilie se trouvait parmi nous dans le studio. D’une voix toujours hésitante, elle a avoué qu’elle écoutait ce jour-là “son” documentaire pour la deuxième fois seulement.
Finding Emilie de Jad Abumrad , Robert Krulwich, and Soren Wheeler :
Finding Emilie s’est vu récompensé en soirée lors du gala du concours Richard H. Driehaus qui couronne les meilleures pièces de l’année. C’est toutefois la pièce The Wisdom of Jay Thunderbolt qui a été sacrée grande gagnante du concours. Cette pièce produite par Nick van der Kolk de l’émission thrasho-sonique chicagolaise Love+Radio a fait l’unanimité au sein du jury pour son inventivité sonore et la qualité de son montage. The Wisdom relate une rencontre avec un ex-commando maintenant gérant d’un club de danseuses à domicile de Détroit… Le jury savait qu’il ne plairait pas à tout le monde en faisant ce choix, mais il a tenu à ouvrir les horizons des auditeurs étasuniens en récompensant une œuvre qui en déstabilisera plusieurs ~ les Étasuniens étant beaucoup plus friands de storytelling que d’expérimentations sonores. Ce pari est d’autant plus risqué que toutes les pièces gagnantes feront partie d’une émission spéciale produite par Third Coast et diffusée sur 175 radios publiques pour Thanksgiving (24 novembre). Le public de cette émission sera bien sûr plus conservateur que celui du FilmLESS et Third Coast s’attend à ce que The Wisdom choque quelques auditeurs.
The Wisdom of Jay Thunderbolt de Brendan Baker, Nick van der Kolk et Nick Williams :
Une fête de la radio
Avec son FilmLESS Festival, le Third Coast veut souligner la vitalité retrouvée de la radio indépendante étasunienne qui, malgré un auditoire de plus en plus vaste et diversifié, fait rarement les manchettes. Comme le soulignait Bill McKibben dans un article très fouillé sur l’état de la public radio, les médias et le grand public semblent avoir pris pour acquis la qualité tranquille et constante des stations affiliées à la National Public Radio. Mais les nouvelles habitudes d’écoute (iPods, etc.) conjuguées à la renaissance du genre radiophonique aux États-Unis (de This American Life à Radiolab à Love+Radio à…) permettent de croire que l’ascension du médium radio est loin d’être terminée.
Réalisateur de l’émission de webradio Gatinorama, Stéphane Vigneault s’est rendu au Third Coast Festival grâce à des soutiens qu’il tient à remercier : la Délégation du Québec à Chicago, la députée de Hull Mme Maryse Gaudreault et la ministre de la Culture Mme Christine St-Pierre.
« The Wisdom of Jay Thunderbolt », c’est ça qu’on appelle inventivité sonore ?
Salut Etienne. Ouais, bon, programme efficace. On s’ennuie quand même assez ferme, hein. Quelques rares moments quand la musique électro-lounge s’arrête enfin avec des gros plans sonores un peu trop « gros plans » (briquets, verres…). Inventif ? JG