Plus fort, le son social !

Pourquoi le son sur le web ne devient jamais « viral » ? C’est la question posée par le journaliste Stan Alcorn dans un article fort bien senti1 qui a fait le tour des réseaux au mois de janvier dernier. Alcorn interroge la condition de l’audio en ligne, toujours secondaire, au match perdu d’avance de la plus grande popularité sur les réseaux. Car « entre une vidéo de chatons mignons et un documentaire audio de 50 minutes, la bataille [est] rude »2 – nous confiait le patron d’Arte Radio Silvain Gire, auquel Stan Alcorn rétorquerait « même 20 fois moins long ».

Le son serait par essence peu adapté au partage, car difficilement synthétisable en une phrase ou une image. En outre, Alcorn en profite pour annoncer la fin du podcasting (c’est-à-dire du téléchargement) à l’heure de l’hyperconnectivité grandissante (les usagers de smartphone préfèreraient l’écoute en ligne), en désignant SoundCloud comme champion : SoundCloud, « le YouTube du son » qui tente, justement, de replacer l’audio plus au cœur des usages sociaux du web.

Le « son social » :
Une telle chose existe-t-elle vraiment ? Et qu’est-ce que ça change dans nos vies ?

(cc) Scott Schiller - flickr

(cc) Scott Schiller – flickr

Ça marche pas mal pour SoundCloud3 et toutes les radios ont fini par y venir, avec plus ou moins de créativité. On s’étonnait qu’aucune d’entre elles n’ait repris à son compte l’idée simple et géniale de la plateforme berlinoise : la fameuse forme d’onde comme guide temporel, auquel les auditeurs peuvent fixer leur commentaire à la seconde près. Mais même là d’où pouvait venir l’innovation, après l’annonce d’une « webline » pour la nouvelle version du Mouv’,4 la déception est grande : sans aucune inventivité ergonomique qu’on pourrait attendre d’une « radio numérique totale » (dixit son patron Joël Ronez), la webline fait surgir le gros lecteur commun à tous les sites de Radio France qui, une fois ouvert, ne renvoie plus à la webline. Pareillement, on n’y reviendra pas deux fois.

Une preuve supplémentaire que les radios traditionnelles peinent encore ne serait-ce qu’à se développer sur les réseaux, c’est Arte Radio qui l’apporte, de façon tonitruante. Avec plus de 779 000 abonné·e·s à son compte SoundCloud, la webradio d’Arte surclasse toutes les radios sur la plateforme… à un niveau mondial. Jouant la carte internationale avec, dans un premier temps, une sélection de pastilles sonores sans paroles ou en anglais, Arte Radio comptabilise donc 70 fois plus de public potentiel que via son compte Facebook. Sur SoundCloud comme ailleurs, ce sont les projets à forte identité qui marchent le mieux. Comme le montrent les chiffres suivants, ce n’est donc pas avec des organismes radiodiffuseurs traditionnels qu’Arte Radio rivalise, mais avec des podcasts anglophones à l’audience internationale comme This Amercian Life ou 99% Invisible.5

Nombre d’abonné·e·s SoundCloud…
… à des podcasts ou banques de programmes :
  • 99% Invisible : 890 000
  • Public Radio eXchange : 870 000
  • Arte Radio : 779 000
  • This American Life : 729 000
… à des stations de radio :
  • Radio Canada Info : 397 000
  • Radio France Internationale : 385 000
  • BBC Radio 1 : 227 000
  • NPR : 189 000
  • BBC Radio 4 : 125 000
  • France Culture : 120 000

 

SoundCloud : un succès, pas une révolution

Certes, SoundCloud peut faire beaucoup pour la « viralité » de l’audio (6 millions d’écoutes pour ce sketch radiophonique néo-zélandais ou plus de 100 000 pour la plus longue réverbération naturelle). Mais qu’en est-il de la « vivacité » de l’audio, c’est-à-dire de sa place dans les échanges sociaux en ligne ?

L’expérience proposée par SoundCloud à un utilisateur qui ne serait qu’auditeur est plutôt pauvre. Si (fort heureusement) vous n’êtes pas obligé·e de vous inscrire au site pour écouter les sons, il vous faudra le faire pour poster un commentaire. Allez-vous prendre cette peine ? C’est peu probable. Résultat : SoundCloud tourne plutôt en vase clos. Les personnes inscrites sont plus ou moins toutes des « pros » et leurs commentaires dévient rarement de la marque d’adhésion. Une prudence avisée se bornant au service minimum (« super! », « :-) », « !!! ») ou tombant carrément dans l’autopromo éhontée, du genre « nickel ton son, viens donc écouter le mien. »

Si SoundCloud a facilité la diffusion du son en ligne, les pratiques de création en ont-elles été affectées ? Bien sûr, SoundCloud anime sa communauté et stimule les interactions, mais principalement par des concours (comme celui du « plus beau son au monde », voir ci-contre). Du côté des utilisateurs, les quelques projets collaboratifs que l’on note sont encore des projets descendants, comme le Junto Project émanant du webzine Disquiet qui émet chaque semaine une contrainte créative à destination de ses « followers ». L’usage de SoundCloud se révèle finalement unidirectionnel et très classiquement « radio », dans le sens où on est loin de la révolution horizontale qu’on attendrait.

On aurait pu espérer également que la plateforme soit utilisée comme un espace de travail, un laboratoire, où les artistes distilleraient des extraits de leurs travaux en cours, des propositions, des ébauches. Rares sont celles et ceux qui le pratiquent ainsi. Sur SoundCloud, on soigne surtout son « image ». Soundcloud est un média social comme un autre, où l’on pratique l’autopromotion plus que la prise de risque. Au mieux, on y distille des « teasers »… En général, on l’emploie comme canal de diffusion secondaire (ou espace de stockage) pour des créations destinées à la radio, à la scène ou à d’autres espaces web.

On cherche encore qui hackera SoundCloud.

Le « plus beau son au monde » selon SoundCloud et ses partenaires :


L’après-SoundCloud

Il y a quelques semaines, SoundCloud a lancé un nouveau lecteur exportable (voir ci-dessus), qu’elle propose en premier choix lorsqu’on souhaite intégrer un son dans un site web. Qu’on puisse trouver gros et laid ce « visual player » (sic) est sans importance, son objectif vise clairement la perspective d’un alignement sur les lecteurs vidéo. Il se structure autour de l’illustration fournie par l’auteur·e – tant pis si la résolution laisse à désirer ou si l’image par défaut ne raconte rien. La forme d’onde qui était la force emblématique de SoundCloud est quasiment gommée ; elle n’apparaît plus qu’en filigrane.

Et si le « visual player » était le signe qu’il n’y avait plus grand chose d’innovant à attendre de SoundCloud ?

Bref, un concurrent sérieux à SoundCloud serait le bienvenu… ne serait-ce que pour le titiller sur ses points faibles : une offre peu généreuse (seulement 2h de son gratuites), un référencement très confus de ses contenus, une qualité sonore médiocre (lecture en mp3 128 kbps, quelle que soit la qualité originale, même supérieure). L’alternative est-elle à chercher du côté de Mixcloud ?

Cette plateforme à peu près du même âge (2008), expressément installée sur le créneau « radio » (son slogan : « Listen to the best DJs and radio presenters in the world »), est particulièrement appréciée pour sa possibilité de découpage du fichier audio, selon le principe de la playlist si c’est un mix ou de la conduite si c’est une émission. Mixcloud ne permet pas le téléchargement de ses contenus, mais offre une capacité de stockage illimitée.

Arte Radio ravive sa communauté

Première sur SoundCloud en 2014, Arte Radio était déjà pionnière en 2006 en lançant une plateforme gratuite d’audioblogs. Permettant à n’importe qui de créer un espace de stockage et de diffusion, elle laissa la porte ouverte à des usages imprévus, où s’expérimenta un esprit collaboratif fertile : cadavres exquis, improvisations en chaîne, « son mystère »… parmi d’autres projets horizontaux où plusieurs utilisateurs partageaient le même audioblog.

Dans quelques jours, Arte Radio devrait sortir une nouvelle version de ses audioblogs, continuant de croire en la nécessité d’un hébergement francophone, adapté aux productions issues d’ateliers scolaires ou encore aux archives d’émissions de radios associatives (par exemple : MégaCombi de Radio Canut)… tout cela gratuitement, en upload et download illimités.

Une mise à jour esthétique (le site avait besoin d’un bon rafraîchissement intérieur et extérieur), qui a aussi l’objectif de mieux valoriser les contenus hébergés. Ainsi, Arte Radio se propose d’incarner ce qu’un service comme SoundCloud, cool mais impersonnel, ne peut pas offrir : l’animation via un forum d’une communauté de créatrices et créateurs et un peu d’interaction avec la « radio-mère ». À partir des informations relevées sur les productions les plus récentes, les plus écoutées, les plus partagées, celle-ci mettra à sa une les contenus repérés.

Mon, ton, son… social

Dans son article Why audio never goes viral, Stan Alcorn soulève l’idée que l’apparente incompatibilité du son avec les médias sociaux peut aussi être considérée comme un signe profond de vitalité contre-culturelle. Et vous, qu’en pensez-vous ? Comment partagez-vous vos écoutes ? Comment vous reliez-vous aux autres, par le son, à travers le web ?

Notes :

1 Is this thing on? (Why audio never goes viral), par Stan Alcorn, janvier 2014 (digg).
2 Lire sur Syntone : « Le podcast est une expérience », entretien avec Silvain Gire d’Arte Radio, octobre 2012.
3 SoundCloud : « Nous ne sommes plus un site underground », par Boris Manenti, décembre 2012 (Nouvel Obs).
4 Lire sur Syntone : Le Mouv’ de Joël Ronez veut mixer radio & web, entretien avec Joël Ronez, janvier 2014.
5 À propos de 99% Invisible et le podcast à l’américaine, lire sur Syntone : Radio & crowfunding, l’exemple Roman Mars, novembre 2013.

2 Réactions

  • Znbr dit :

    Merci pour cette réflexion et les pistes qu’elle lance concernant le son sur le web.

    À propos du procès fait à Soundcloud, j’ai quand même quelques réserves :

    Le visual player, ne signe peut être pas la mort de Soundcloud mais au contraire, permet peut être de préciser sur le web le fait que c’est un player audio et qu’il y aura uniquement du son (+ une image fixe d’illustration). La présence de la « wave forme » en bas, et dans le coin en haut à gauche du player orange (couleur que l’on commence à véritablement associer à Soundcloud) en font un player, il me semble, que l’on identifie.
    On va écouter quelque chose. Ce n’est ni Youtube, ni Vimeo.
    Ensuite, concernant l’illustration, c’est sûr que la qualité n’est pas forcément tout le temps au rendez-vous mais ce qui compte ici, c’est bien le son.

    Le gros avantage de Soundcloud est avant tout la facilité à intégrer un son, un player, une playlist dans n’importe quelle autre page web.
    Une fonctionnalité indispensable si on veut parler de dissémination du son, partage d’écoute et viralité de l’audio.
    Une fonctionnalité que ne permet pas à l’heure actuelle les audioblogs d’Arte Radio. Dommage.
    Si soundcloud tourne en vase-clos, que dire alors des audioblogs sans cette fonctionnalité ?
    En plus de cela, une fois son audioblog créé, il est impossible de supprimer son profil . J’ai testé la manip’ plusieurs fois, en vain.

    Dans les + de Soundcloud, on peut également noter :
    – La facilité à publier un son, une création en Creative Commons en quelques clics.
    – Permettre ou non le téléchargement
    – Les statistiques de lecture et de téléchargement
    – Si la lecture est en 128kbps, le téléchargement se fait par contre dans le format natif. Du 320 si l’upload est en 320kbps.

    Pour convaincre, la sortie des nouveaux Audioblogs d’Arte Radio devra faire face à de nombreuses attentes. D’autant que l’idée d’une  » animation via un forum d’une communauté de créatrices et créateurs et un peu d’interaction avec la « radio-mère », ça demande du temps, de l’investissement et donc un peu de budget pour que ça ne reste pas une belle idée.

    Mais je vais jeter un oeil et deux oreilles du côté de Mixcloud en attendant ! ;)

    • Sur le visual player, ce qui m’a frappé (et l’exemple que j’ai choisi pour illustrer l’article est plutôt un mauvais exemple), c’est le cas où l’image est pâle voire blanche, la forme d’onde est quasiment invisible.
      Concernant les audioblogs d’Arte Radio, ce n’est pas vrai que les lecteurs n’étaient pas exportables. On en a même mis sur Syntone. Bon, maintenant que la plateforme a été refondue, ils ne fonctionnent plus. Mais la nouvelle plateforme le permet aussi, bien sûr, c’est le minimum.
      Côté plateforme alternative, on m’a conseillé djpod que je ne connaissais pas, mais je n’ai pas encore réussi à écouter un son.

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