Exclusif ! L’écologie sonore est née

Une avalanche, un séisme, une révolution : « Des scientifiques enregistrent le son de la planète entière » ! « Le pari fou de répertorier tous les sons » ! « La bande-son inédite d’un jour sur terre » ! « Les pionniers d’une nouvelle science, l’écologie sonore » ! Non, ces enthousiastes extraits de presse ne datent pas des années 1960, quand Murray Schafer forgeait la notion de « paysage sonore » (« soundscape ») et initiait le World Soundscape Project afin de collecter des sons que la pollution sonore était selon lui en train de faire disparaître – ou de 1968, quand Bernie Krause lançait le Wild Sanctuary dans un effort similaire. Pas non plus des années 2000, pour saluer le lancement par Udo Noll de Radio Aporée, un projet de cartographie sonore collaborative en ligne, ou de Save Our Sounds, un appel à contributions de la BBC pour créer « un instantané audio du monde », entre autres initiatives de field recording et de conservation des sons naturels.

Non, c’est en 2014 ou peu s’en faut que divers médias1 ont fait cette splendide découverte, l’écologie sonore. Et par la même occasion qu’ils ont rencontré son nouveau fondateur, le docteur Bryan Pijanowski, dont on apprend qu’il a inventé « il y a trois ans » le terme d’« écologiste du paysage sonore »2 (enfin un progrès depuis les antiques « écologistes sonores » tout court) et lancé cette année son Global (il fallait bien cela pour se démarquer du vieux World) Soundscape Project. Méconnaissance de ces thématiques par le grand public ? Mise en sommeil ou éparpillement des précédentes propositions dans ce domaine ? Amnésie des médias, toujours friands d’un nouveau marronnier à se mettre sous la dent ? Certes, mais tout à son hollywoodien plan com’ pour moderniser l’écoute de l’environnement sonore, le docteur Pijanowski ne semble pas pressé de rappeler l’histoire de son champ de recherche.

C’est qu’il est plus urgent d’introduire un peu de « fun » dans la phonographie, par exemple en développant de nouvelles classifications des sons naturels distinguant ceux qui « me rendent heureux » ou « me reposent » de ceux qui « me stressent », « m’intriguent » ou que « je trouve incroyables ». Et comme il serait contre-productif de s’embarrasser de la variété des écoutes et des cultures, la carte se charge automatiquement du tri. Surtout, il est essentiel de donner toute sa place à cet outil central de l’écologie : le smartphone. « Je me demandais comment je pouvais faire entrer plus de sons dans la base de données et puis j’ai pensé : nous avons sur la planète un ou deux milliards de personnes équipées de smartphones ! »3 Une app’ et tout est résolu : la biodiversité sonore sauvée d’un simple mouvement de pouce. D’aucun⋅e⋅s diront que le smartphone pourrait aussi bien être vu comme une partie du problème, ou tout au moins qu’il mériterait d’être questionné de façon plus nuancée, mais c’est oublier qu’on est là pour remplir avec fun la base de données. Et comme pour encourager les néophytes à se lancer dans l’aventure acoustique extrême, le docteur n’hésite pas à donner de sa personne pour prouver que même si l’art de la prise de son est difficile, rien ne doit nous décourager – pas même un casque autour du cou qui s’acharne à parasiter le micro :

Trêve d’ironie, le docteur Pijanowski est sans doute une bonne nouvelle. D’abord, il ne fait que mettre en lumière de façon flagrante et somme toute humoristique des travers communément partagés mais rarement questionnés dans le domaine culturel : faisons ludique, spectaculaire, massif – et fi des encombrantes contradictions. Et surtout, lorsqu’une pratique commence à se trouver de fantasques messies, c’est peut-être qu’elle se met à compter ?

1 Les citations introductives sont extraites, respectivement, de Josh Dzieza, « Scientists are recording the sound of the whole planet », The Verge, 28 août 2014 ; Youssef Roudaby, « Une carte sonore répertorie tous les sons qu’émet la Terre », Tel Quel, 1er septembre 2014 ; Brandon Keim, « Help Scientists Record One Day of Sound on Earth », Wired, 4 avril 2014 ; David Hawkins, « ‘Soundscape ecology’: the new science helping identify ecosystems at risk », Ecologist, 16 décembre 2011.
2 Josh Dzieza, ibid.
3 Brandon Keim, ibid.

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