L’art radiophonique, en tant qu’art médiatique(1), est intimement lié aux techniques qui déterminent sa définition : « l’utilisation de la radio en tant qu’art »(2). Or, durant son premier siècle, la radiodiffusion est restée une chose assez bien définie : la transmission d’un signal sonore, de façon continue, par voie analogique et terrestre (c’est-à-dire hertzienne). Mais ces quinze dernières années, le développement d’internet et la numérisation globale du média ont radicalement transformé ce qu’on appelle « radio ».
L’art radiophonique s’est-il conservé ou bien a-t-il été bouleversé, voire réinventé, par le numérique ?
Comme nous l’écrivions dans un précédent article(3),“la diffusion des radios par internet – le streaming – a changé une première fois la donne : sans physicalité de la modulation hertzienne, plus d’équivoque. Lorsqu’on veut écouter un flux numérique, c’est 0 ou 1 : ça marche ou ça ne marche pas. Pas d’état intermédiaire déterminé par la position géographique du récepteur, pas de brouillage, ni de parasitage, puisque le signal n’est plus transporté dans l’espace physique.”
Si l’instabilité typique de la transmission hertzienne a rendu la vie dure à plus d’un radiodiffuseur, elle a toujours inspiré des artistes et a surtout façonné l’imagerie populaire de l’écoute radiophonique. Aujourd’hui encore, si l’on doit fabriquer un habillage ou illustrer un film en évoquant l’idée de radio, on utilisera des parasites ou des bruits d’ondes, c’est-à-dire des sonorités qui sont en voie de disparition ou devenues incongrues sur les réseaux numériques.
“Puis, la radio a connu sa vraie révolution avec la mise en ligne des émissions, l’archivage, le podcasting (…). La radio n’est (définitivement) plus en direct, elle n’est plus éphémère, elle ne fait plus que passer : elle reste, elle se matérialise, elle devient un objet concret, manipulable.”(3) À présent que l’acte de réception (donc l’acte d’écoute) semble plus déterminant que l’acte d’émission, il convient de s’interroger sur le positionnement de l’artiste : peut-elle ou il continuer de lancer sa bouteille à la mer, depuis son studio d’ivoire ?
Avec l’ouverture de ces nouveaux territoires d’ondes, c’est le paradigme même de la radio qui a été chamboulé. Pali Meursault(4) suggère l’idée que, si chercher une station de radio hertzienne s’apparente à un déplacement le long d’un continuum fini, toute activation d’un ordinateur ou d’un récepteur numérique de radio consiste à appeler des données qui s’empilent les unes aux autres. Autant l’espace radiophonique analogique est limité et existe même en l’absence de stations émettrices, autant les réseaux numériques sont virtuels et potentiellement infinis. Ces différences ont une influence sur la réception, l’organisation, l’occupation et l’appropriation du média.
Aujourd’hui, la radio a muté. À l’instar des organismes de radio traditionnels diffusant leur flux à la fois en hertzien et sur le web ainsi qu’une “délinéarisation” de leurs programmes en podcast, la radio est devenue une créature hybride, un assemblage paradoxal de plusieurs médias. Comment les artistes radiophoniques ont-ils ou elles commencé à tirer parti d’une telle évolution ?
→ Nous explorerons quelques projets dans les prochains billets.
(1) Bien qu’elle soit peu répandue en français de France, nous trouvons tout à fait pertinente la notion d’art médiatique, inventée au Québec, qui fait référence aux œuvres artistiques dont le fonctionnement fait appel à un ou plusieurs médias, c’est-à-dire tout matériel de communication servant à transmettre ou à stocker de l’information. (2) Cf. la définition de l’art radiophonique sur Wikipédia (3) Etienne Noiseau, Qu’est-ce que la radiophonie aujourd’hui?, Syntone, janvier 2011. (4) Pali Meursault, Brouillages ~ Les territoires de l’analogique au numérique, Syntone, octobre 2010.