L’Atelier de Création Radiophonique de France Culture : une histoire mythique et mouvementée. [Sur Syntone, lire 40 ans d’Atelier de Création Radiophonique] Elle débute en 1969 avec René Farabet comme coordinateur, qui l’animera pendant plus de trente ans jusqu’à ce qu’il soit remercié en 2002. Deux jeunes producteurs lui succèdent alors : Frank Smith, au penchant littéraire, et Philippe Langlois, davantage en lien avec la création musicale. [Sur Syntone, lire “À l’ACR, la création sonore est un champ parmi les autres”]
À la rentrée 2011, l’Atelier disparaît de la grille en tant qu’émission à part entière et nos deux producteurs avec. [Sur Syntone, lire Assez d’ACR] Aujourd’hui, sous la houlette d’Irène Omélianenko, la chaîne continue de produire une vingtaine d’ACR par an, diffusés le premier jeudi de chaque mois dans l’émission (presque éponyme) L’atelier de la création. Tandis qu’il se consacre aujourd’hui à l’enseignement et à l’étude des rapports entre cinéma et musique électroacoustique (Les Cloches d’Atlantis), nous revenons avec Philippe Langlois sur ce qui a été sa principale occupation pendant presque dix ans : la radio.
Quand vous êtes arrivé avec Frank Smith à la tête de l’Atelier de Création Radiophonique, avez-vous ressenti le besoin d’une rupture avec l’ère Farabet ?
Nous n’avons jamais revendiqué l’idée de rupture. Si rupture il y a eu, ce n’est ni sur le plan de l’engagement ni dans la manière de faire. Les enjeux étaient très importants. Il fallait se situer dans la continuité de l’identité de cette émission, tout en trouvant une nouvelle signature.
Si, encore une fois, rupture il y a eu, ce serait davantage une rupture de génération. René Farabet quittait l’atelier à 67 ans et nous en avions 31. C’était un autre univers, une autre manière de croiser les territoires sonores. La force de notre émission venait de son hétérogénéité. Un plasticien, un photographe, un chorégraphe, un musicien ou un poète allait se saisir de l’antenne et faire ce qu’il désirait. Cette même hétérogénéité nous a d’ailleurs souvent été reprochée.
L’ACR : un monstre radiophonique ?
C’était une entité, un monument. Quand nous sommes arrivés, la création était faite. Yann Paranthoën, Daniel Caux, Christian Rosset, Jean-Yves Bosseur… : ces artisans-là ont engendré la machine, et l’ont faite avancer.
La radio est un art qui, au même titre que le cinéma ou la musique électroacoustique, n’existerait pas sans la technologie. Mais comment réfléchir sur quelque chose d’évanescent ? Peu de pièces ont été éditées. C’est une histoire sans mémoire. Certes, des archives sont disponibles à l’INA, mais le grand public n’y a pas accès. Certaines pièces sont en piteux état. D’autres, comme celle de Daniel Caux sur Nina Hagen, n’existent plus. Comment s’inscrire dans l’histoire d’un art qui n’a pas d’œuvre, où ce qui reste ce sont les quelques mots dans une revue quelques jours avant son passage à l’antenne ? C’est surtout l’absence de support dont souffre la création radiophonique.
Aujourd’hui on peut sauvegarder, on peut éditer, on peut diffuser. La création radiophonique se porte-t-elle bien pour autant ?
L’ACR a été une des premières émissions à être réécoutable en ligne, dès 2003. Et chacun de son côté peut constituer ses propres archives. Je rencontre souvent des auditeurs qui me disent posséder tous les ACR depuis 2003. Un de mes collègues actuels m’a avoué récemment qu’il les enregistrait sur cassette. C’est un réseau d’artisanat. D’un côté, il ne coûte pas si cher de publier des créations radiophoniques sur CD. Par exemple, nous avions le projet d’éditer India Song, la pièce magnifique de Duras qui, historiquement, précède le film. Mais il y a trente comédiens. Il fallait l’accord de tous les ayant-droits. C’est devenu complètement faramineux en termes de légalité.
Il y a des expériences, comme Arte Radio, Grenouille ou d’autres, qui sont singulières. Et je pense que oui, la création radiophonique se porte bien. Il existe un imaginaire collectif. Mais il y a une vraie réflexion à mener quant à ce manque cruel de mémoire tangible concernant la radio.
La radio est ce théâtre des simulacres dans lequel on se laisse entraîner inconsciemment. Il est tellement plus facile à la radio de faire semblant qu’à la télévision par exemple.
Avez-vous puisé dans cet imaginaire-là pendant vos dix ans d’ACR ?
La première émission qu’on a faite en tant que nouvelle équipe était autour de Zbigniew Karkowski, un compositeur polonais. Il travaillait sur un des mythes liés aux ondes radio qui est l’EVP (Electronic Voice Phenomenon) : phénomène découvert dans les années 30 par un certain Robert Cass et ensuite par un radio-amateur Konstantin Raudive. La première partie de l’émission était un documentaire, on avait Cass au téléphone, on était soi-disant en direct. Mais ce n’était pas réalisable pour des raisons techniques car il s’agissait d’ausculter des ondes radio de très haute fréquence et on ne pouvait pas le faire depuis la Maison de la Radio qui est une véritable cage de Faraday – et non pas une cage de Farabet…(rires) Cette émission était à la fois un simulacre (car on n’était pas totalement en direct) et à la fois un jeu, dans cette idée d’ausculter les ondes (ces minutes ont sans doute parues très longues à certains auditeurs et en ont découragé plus d’un). On jouait avec les mécanismes du média : le principe même des ondes, la question de l’ubiquité, faire du direct et en même temps utiliser des pré-enregistrements. On jouait avec l’écoute de l’auditeur. Et ça fonctionnait. La radio est une question de désirs, désir de ce qu’on veut entendre, de ce qu’on veut donner aux autres.
Le public des ACR, justement. Un public confidentiel ?
Je ne pense pas. Il est vrai que les marges d’audition sont aussi très proches des marges d’erreur. Mais si nous partons des chiffres officiels de 10 000 auditeurs par semaine, sans compter les chiffres du podcast, on arrive déjà à 40 000 par mois. Je ne crois pas qu’il y ait une galerie d’art contemporain qui soit capable de rassembler 40 000 personnes en un seul mois, il faut remettre les choses à leur place. À l’ACR, les œuvres n’étaient pas conçues pour le grand public, mais elles n’étaient pas non plus un produit élitiste. Pendant des années, les questions d’audience n’ont jamais été importantes pour les directions successives. Mais si on commence à s’intéresser plus à l’audimat qu’à l’auditeur, ça change la façon de considérer la radio.
Pour continuer sur votre comparaison avec la galerie d’art, on ressent un côté “commissaire d’exposition” dans votre façon de présenter l’Atelier. Encore en 2012, à Dijon, vous proposiez des ACR en écoute pour la quatrième année consécutive.
Avec Frank Smith, nous avons toujours essayé de porter la radio au-delà des ondes, comme à travers la collection ZagZig aux éditions Dis-Voir par exemple. L’idée d’œuvre a été très importante dès les premiers instants de l’ACR. On ne va pas fabriquer des œuvres pour ne les diffuser qu’une fois et ensuite les enfermer dans un tiroir. Il est important de les redonner aux gens. C’est une partie de la redevance qui a permis que ces pièces soit produites. C’est important de le faire aujourd’hui même si l’émission n’existe plus de la même façon. Pour son histoire. Et j’espère que, tel le Phénix…
Imaginons la radio d’ici vingt ans : un média encore plus populaire, accessible, à la portée de tous ?
Internet est actuellement un pourvoyeur de pièces sonores qui peuvent toucher à la radiophonie. Mais encore une fois, il faut des balises pour situer l’histoire, au risque de se trouver noyé dans un océan d’informations. La radio peut, par exemple, continuer d’accompagner des festivals et offrir des espaces de création à des artistes invités. Il faut réinscrire localement des radios vraiment culturelles. Un genre qui me paraît très intéressant est l’audioguide, associé à la notion de territoire. Déclencher des séquences sonores selon l’endroit précis où se trouve l’auditeur me semble être une piste vers un type de radio interactive à vocation populaire. Il y a du potentiel, mais il faut qu’il y ait un déclencheur en direct. La radio c’est du direct, c’est du flux, c’est quelqu’un qui parle, c’est le contact avec les auditeurs.