Rencontrer le documentaire au festival Longueur d’ondes

Du 30 janvier au 4 février 2018, le festival Longueur d’ondes rassemblait à Brest professionnel·le·s, amateurs/trices et passionn·é·es de radio. En parallèle des nombreuses séances d’écoute, ateliers et débats, le festival organisait pour la troisième année consécutive les « rencontres du documentaire et de la création radiophonique ». Un précieux moment d’échanges et de réflexions organisé en partenariat avec la Scam, Arte Radio et l’association Addor. Retour sur trois de ces rencontres, consacrées à l’art de la réalisation, au documentaire de connaissance et à la plateforme de diffusion Tënk qui s’ouvre désormais au documentaire sonore.

Samuel Hirsch, Émily Vallat. Photo : Sébastien Durand.

Les dessous de la « mise en ondes »

« Réaliser, c’est construire, c’est raconter une histoire » rappelle Émily Vallat de l’association Addor. Mais quelles sont les ficelles de la mise en ondes ? Métier de l’ombre, indispensable et méconnu, comment travaillent les réalisatrices et réalisateurs selon les cadres de production, la diversité des pratiques et des sensibilités ? « J’accompagne les projets des producteurs délégués, de la conception jusqu’au mixage. Je travaille avec des preneurs de son et un mixeur » explique Anna Szmuc, chargée de réalisation à France Culture depuis les années 1990. « Je suis souvent présente lors de l’enregistrement avec la productrice ou le producteur pour penser à la réalisation. Ensuite je fais le montage en sa présence, en ajoutant selon les besoins de la musique, des extraits de films, des archives… Il s’agit de mettre tout cela en scène. » Au sein d’Arte Radio, le fonctionnement diffère légèrement : « Chez nous, les auteurs sont dans un parcours plus solitaire, ils font eux-même leurs prises de son et commencent le montage, et donc l’écriture, tous seuls » explique Samuel Hirsch, réalisateur à Arte Radio depuis 2005. « Une fois le prémontage validé par le responsable éditorial, l’étape de réalisation vient briser cette solitude. Je rentre en scène pour apporter une autre écoute et transformer le prémontage en produit fini et diffusable. » Compositeur et musicien en parallèle de son emploi à Arte, Samuel Hirsch fait naturellement l’analogie entre réalisation et composition : « J’essaie de concevoir cela comme un morceau de musique, une petite symphonie avec la voix qui serait le soliste, à laquelle s’ajoutent les ambiances, les bruitages et les musiques. Toutes ces couches se répondent et se superposent pour emmener l’auditeur ».

Au fil des écoutes d’extraits de documentaires diffusés dans les émissions Surpris par la Nuit, Sur les Docks (France Culture) ou sur Arte Radio, la metteuse et le metteur en ondes dévoilent certains procédés de réalisation, toujours pensés au service de la narration : superpositions de matières sonores, lectures, mises en situation ou encore jeux de voix. « On peut faire dialoguer une personne avec sa propre voix. Dans la série À Fleur de Peau, Fabienne Laumonier a plusieurs voix : la voix “de narration” racontant l’histoire de l’extérieur et sa voix enregistrée en situation qui finissent par se répondre » analyse Samuel Hirsch. « On écrit déjà avec le micro en fonction de la prise de son, entre les voix prises en studio et celles captées in-situ par exemple. » Et d’ajouter : « L’écoute est un sens qui parle au corps. La réalisation permet de faire ressentir l’histoire à travers les sons » ajoute-t-il en citant notamment le septième épisode de la série dans lequel l’autrice participe à une cérémonie chamanique et consomme une plante hallucinogène : « L’idée était, à l’écoute, de faire ressentir ce que pouvait être une prise de drogue…« 

Intéresser et transmettre : le documentaire de connaissance

Comment incarner et communiquer des connaissances dans le cadre d’un documentaire ? Difficile à circonscrire, le documentaire dit « de connaissance » serait à distinguer du documentaire « de création ». Une forme très présente sur les ondes de France Culture dans les émissions La Fabrique de L’Histoire, Les Grandes Traversées estivales, Une Vie, Une Œuvre ou certaines Séries Documentaires. S’appuyant sur une excellente connaissance du sujet et de l’époque, ce genre de documentaire risque à l’écoute de paraître peu accessible voire ennuyeux. « Tout l’enjeu est de rendre charnels et sensuels des travaux scientifiques dont on veut être les passeurs » explique Perrine Kervran, coordinatrice de La Série Documentaire sur France Culture. « Le terme de connaissance fait souvent très peur » reconnaît Christine Lecerf, traductrice et productrice de plusieurs Grandes Traversées (Hannah Arendt, Simone de Beauvoir) sur France Culture, « mais j’ai toujours été très émue par le fait d’écouter quelqu’un penser, et c’est ce que j’essaye de faire entendre dans ces documentaires. Je recherche avant tout une connaissance sensible, en évitant la parole docte » poursuit-elle. Afin de passionner le public tout en transmettant des connaissances, la mise en situation des expert·es hors de leurs bureaux et des lieux de production du savoir semble indispensable pour provoquer une parole sensible et incarnée. « C’est important de trouver un bon dispositif pour ce genre particulier de documentaire » souligne Perrine Kervran. Elle cite notamment un documentaire réalisé en 2013 pour La Fabrique de l’Histoire sur la paix au Moyen-Âge à partir des travaux de l’historien Nicolas Offenstadt : l’interview a été réalisée dans les archives de Laon, sur les lieux de ses recherches portant notamment sur le rôle du crieur public, personnage médiéval rejoué spécifiquement pour ce documentaire par un acteur sur le parvis de la cathédrale. Autre exemple employé sur France Culture pour une série sur l’art pariétal dans La Série Documentaire : comment rendre sensibles les gestes des premiers êtres humains qui ont peint sur les parois des cavernes et les hypothèses scientifiques qui en découlent ? Pour incarner ces évocations préhistoriques, les témoignages des scientifiques enregistrés in-situ sont accompagnés de sons réalisés par des bruiteurs en studio.

Alex Szalat, Christine Lecerf, Perrine Kervran. Photo : Sébastien Durand.

Tënk s’ouvre au documentaire sonore

Lancée en juillet 2016 par l’équipe des États généraux du film documentaire de Lussas, Tënk première plateforme en ligne dédiée aux documentaires de création s’ouvre désormais à l’audio. « Le numérique a permis à de nombreux documentaristes sonores de pouvoir se faire entendre. Sur Tënk, nous voulons leur donner une chambre d’écho auprès de nos 6000 abonnés et orienter les auditeurs et internautes dans cette mine d’or qu’est Internet pour le documentaire sonore d’auteur, encore trop peu connu du grand public » explique Marie-Charlotte Laudier, journaliste radio, réalisatrice de documentaires et programmatrice de la sélection sonore de Tënk. Une visibilité intéressante pour des créations qui peine bien souvent à trouver des canaux de diffusion… rémunérés. « Exceptés Arte Radio, Radio France ou l’ACSR, très peu de structures accompagnent et payent les auteurs. La plupart sont en autoproduction, diffusent leurs pièces sur des radio associatives en touchant quelques droits d’auteurs de la Scam, mais il n’y a pas d’économie » reconnaît Marie-Charlotte Laudier. Pour l’instant, les documentaires sonores sélectionnés et diffusés sur Tënk seront rémunérés de manière symbolique à hauteur de 50 euros par documentaire. « Pour la section sonore comme pour la section audiovisuelle, nous ne faisons pas d’appel à création car nous n’avons pas les moyens humains et financiers pour traiter une abondance de propositions » se prémunit Marie-Charlotte Laudier. « Mais nous avons l’ambition à l’avenir de faire de la coproduction pour du documentaire audiovisuel et, pourquoi pas un jour, pour le documentaire sonore. » Depuis début février, la section audio de Tënk intitulée Les Yeux Fermés permet de découvrir des créations primées lors des précédents éditions du festival Longueur d’Ondes notamment : Avec le Vent de Théo Boulanger, lauréat du prix Petites Ondes en 2017 et Entre les lignes d’Yves Robic, premier prix de la création radiophonique Longueur d’Ondes en 2011. Chaque mois, de nouveaux documentaires dénichés par une programmatrice et un programmateur – Marie-Charlotte Laudier et Emmanuel Chicon – seront disponibles en écoute sur abonnement payant depuis la France, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg et bientôt l’Allemagne et le Québec. « Pour la sélection, nous n’avons pas de critères ni de durée ni de thème. Nous irons chercher dans les niches qui existent sur Internet tout comme sur les radios associatives qui diffusent du documentaire : l’émission Inouïe des étudiants du Créadoc, mais aussi Silence Radio, le site du Bruitagène, Le Frigo, La mécanique des Sons, tout comme de nombreux sites d’auteurs » précise Marie-Charlotte Laudier.

L’ensemble des enregistrements des rencontres du documentaire et de la création radiophonique du festival Longueurs d’Ondes devraient prochainement être disponible à l’écoute sur le site Oufipo.

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