Wederik De Backer, Lucas Derycke et Thomas Morlion se sont rencontrés au RITCS, l’école néerlandophone d’audiovisuel à Bruxelles, où ils ont appris à faire de la radio. Chacun d’eux mène ses propres projets, mais pour la chaîne généraliste belge Radio1, ils produisent depuis septembre 2014 ce qu’ils appellent des « mockumentaries », dissimulés en plein magazine d’actualités. Rencontrés au dernier Prix Europa où ils présentaient Ordinary people1, ils parlent ici presque d’une seule voix.
Ces exceptionnels « gens ordinaires »
Tous trois ont commencé à sévir de concert lors d’une première saison de septembre 2014 à juin 2015. Ils poursuivent cette année leurs agissements malicieux au gré de ce qu’on nomme « l’actualité », en imaginant « l’effet papillon » des petits et grands événements du monde sur la vie des gens « ordinaires ». Dans le magazine De Bende van Annemie (La Bande d’Annemie), une quotidienne de Radio1 diffusée de 10 heures à midi, ils concoctent, une fois par mois, 5 minutes de faux reportage présenté comme vrai. Le lancement, rédigé par le trio, est confié à la journaliste qui elle seule est tenue au secret.
Ce lancement est un gain de temps car le reportage a un timing serré et, bien sûr, c’est la caution qui met l’auditeur en confiance.
Ainsi, la Toussaint a été l’occasion de proposer un faux reportage sur la mort autour du personnage fictif d’un défunt attentionné. Sa veuve, des amis, le croque-mort et l’assureur témoignent de sa prévoyance : apprenant l’imminence de sa mort, il s’est inquiété des dettes laissées à son épouse. Il s’est engagé alors de son vivant à faire apposer des inscriptions publicitaires sur son linceul, à diffuser des annonces de sponsors durant son oraison funèbre… La diversité des intervenants, la gravité de l’ambiance générale et la véracité sonore des situations rend le son à la fois « incroyable » au sens figuré et très crédible au sens propre.
On a peu de retour du public, mais le plus souvent, c’est des journalistes qui nous appellent. Ils sont super intéressés par l’info qu’ils viennent d’entendre et ils veulent des contacts pour creuser !
De la fausse facilité du documenteur
Le trio est unanime pour dire leurs créations « sans prétention » et qu’ils le pratiquent « un peu comme un hobby ». Pourtant, pour trouver un bon sujet, choisir ce qui touchera au mieux les auditeurs, Wederik confie : « On fait des brainstormings, on parle beaucoup, on se dispute aussi beaucoup ». L’ultra-banal est recherché, Thomas Morlion explique : « La banalité, c’est le plus intéressant pour moi. Et ce qui est ordinaire a un effet comique ». Pour que le documenteur fonctionne, il faut, comme toute bonne fiction, qu’il soit très bien écrit : l’équipe utilise avec précision les codes du reportage, tout en offrant à l’oreille des scènes originales et pleines de vie.
Avec ce format, on utilise des codes que tout le monde connaît, ce qui rend nos productions faciles à écouter.
Car il est délicat de sentir le degré de naïveté qui permettra le succès de leur reportage truqué. L’une des conditions réside dans la qualité du jeu des acteurs. Durant les débats du Prix Europa, lorsque quelqu’un leur fait remarquer l’excellence et la justesse des comédiens, Thomas Morlion répond pour le groupe : « En fait, c’est nous-même qui jouons. Et la dame, là, par exemple, c’était ma mère, pour rendre service ». Une nécessité d’économie qui se solde par une grande justesse au niveau de la production.
Le documenteur, un genre en soi qui peut durer et se répéter ?
Oui, répond l’équipe des Gens ordinaires, en tapant du point sur la table et en rigolant. « Ces fictions sans prétention, ce petit truc vite fait qui nous permet de rire de nous même a de l’avenir »… tant qu’on aura besoin d’humour et de poil à gratter !
Prochainement, Thomas Morlion souhaite réaliser une « expérience anthropologique ». En singeant les documentaires animaliers, il abordera les rapports des hommes avec les femmes et des hommes entre eux. Un projet qui pourrait s’appeler « Mannetjesdieren » (« Animaux mâles »). Une autre forme de pirouette pour faire entendre la « vie des gens » de façon subversive et joyeuse.
Note :
1 À l’origine, leur série ne portait pas de titre. Mais pour les besoins de sa nomination dans les fictions du Prix Europa, les auteurs ont choisi Gewone Mensen, ou Ordinary People en anglais, c’est-à-dire « Gens ordinaires » en français.