Le 18 mars dernier, la quatrième journée des « territoires du documentaire sonore » organisée conjointement par l’Addor – l’association pour le développement du documentaire radiophonique – et l’INA, a multiplié les passerelles entre « la génération magnétique et la génération numérique », « les bébés et les dinosaures » ou bien « les Anciens et les Modernes » – a plaisanté Irène Omélianenko, présidente d’honneur de l’association. Lors de cette journée, chacun·e a été invité·e à réfléchir sur les conséquences de l’évolution des modes de production, de diffusion et d’écoute du documentaire sonore.
Aujourd’hui, « la culture du documentaire est plus accessible », se réjouit Silvain Gire, responsable éditorial d’Arte Radio. Plusieurs interventions ont consisté à scruter la survivance de certaines formes sonores et des savoir-faire des artisans du son. En s’amusant à faire deviner quels extraits sont des sons numériques ou magnétiques, la documentariste Élise Andrieu a joué avec nos intuitions et nos mémoires des travaux de Yann Paranthoën ou de Claire Hauter. Elle en vient à dessiner rapidement un point commun aux deux générations : la qualité du résultat dépend moins du matériel utilisé que du fait de se trouver au bon endroit au bon moment.
« On fait des documentaires qui partent de nous »
La subjectivité de l’auteur ou de l’autrice transparaît aussi plus sensiblement aujourd’hui dans la construction de la narration sonore. « Quand je suis arrivée à France Culture dans les années 1970-80, la règle d’or était qu’il fallait que l’on s’efface », confie la productrice Renée Elkaïm-Bollinger face à sa fille Laure Bollinger qui, elle, n’a pas hésité à enregistrer sa mère en pleine scène de nettoyage dans Grand ménage, cœur et détergent à écouter sur Arte Radio. Celle-ci s’est ainsi retrouvée superposée à un monologue au sujet d’une relation amoureuse sur le déclin. Autre point de départ personnel : Les mots de ma mère d’Aurélia Balboni, monteuse cinéma qui s’est essayée au documentaire sonore pour relater la progression de la démence chez sa mère. « On fait des documentaires qui partent de nous. On avait des questions qui nous traversaient et on cherchait une résolution formelle », témoigne Yves Robic, documentariste venu de Belgique et co-auteur avec Claire Gatineau d’Un monde vécu, tourné auprès de personnes qui refusent l’agriculture industrielle.
Une façon personnelle de s’emparer d’un sujet qui transpire dans les projets reçus par Silvain Gire. « Des auteurs sont arrivés avec une proposition de storytelling. Ce sont des gens qui mènent le sujet et qui te prennent la main pendant que tu écoutes ». Les nouveaux outils de production de documentaires favorisent aussi cette évolution puisqu’ils se sont démocratisés. Ainsi, Lama Kabbanji, démographe expatriée au Liban, monte actuellement un documentaire avec Marion Cros sur trois Palestiniens en exode du camp syrien de Yarmouk à partir de différents types de matériels sonores comme des enregistrements en studio, des conversations Whatsapp, Skype et Viber pour précisément « rendre compte de la précarité et la mobilité » des personnes interrogées.
« Penser le produit jusqu’aux conditions d’écoute »
Par ailleurs, les évolutions récentes de la radio ont décuplé ses espaces de diffusion comme les formes que l’on entend au-delà des ondes telles les installations, les promenades sonores, les interactions entre le spectacle vivant et le son du réel. Benoît Bories, créateur sonore et membre du duo Faïdos Sonore, insiste sur la nécessité de « penser le produit jusqu’aux conditions d’écoute », d’autant plus que les nouveaux dispositifs de prise de son comme le binaural ou le multicanal sont exigeants. « Les gens autour de nous n’ont souvent pas des casques adaptés. Ils écoutent des choses très accentuées avec beaucoup de graves ». Lui proposerait aux auditeurs un fichier spécifique « pour obtenir la même écoute qu’au mixage », une option plus compressée qui ne traduirait pas aussi finement les superpositions sonores.
Ainsi, se poser la question de la relation à l’auditeur/trice – de plus en plus sollicité/e par d’autres offres culturelles – passe aussi par une interrogation sur la durée d’écoute. « Quid de la durée si on ne veut pas avoir l’impression d’asséner des vérités ? », se demande Yves Robic, qui a dû réduire la longueur de son documentaire de 80 à 52 minutes pour la diffusion. Hier comme aujourd’hui, les documentaristes doivent opérer des compromis et espérer des conditions d’écoute aussi réalistes que justes.