Un peu plus de six mois après son éviction de France Inter, Là-bas si j’y suis s’apprête à renaître sur le web ce mercredi 21 janvier. Six mois au cours desquels l’ancienne émission du service public a travaillé sa mue en tout à fait autre chose – un objet médiatique non identifié, en quelque sorte.
Vers une matinale Mermet ?
Première grande métamorphose : en un pied de nez aux rétrogradages successifs sur des tranches horaires moins écoutées, Daniel Mermet choisit lui-même sa place sur la grille, et s’octroie le morceau de choix, le créneau de très grande audience, le saint des saints de la Maison ronde – la matinale. Au cœur de la refonte de l’émission, en effet, figure le « 7-9 neuf », la volonté de donner à entendre les voix de la critique sociale au lieu de celles des éditorialistes habituel⋅les. Objectif annoncé : une matinale sur le web, ensuite podcastable par segments. Si l’on peut encore douter de la capacité du web à fédérer autour d’un horaire radiophonique, et si l’émission ne sera pas forcément quotidienne ni matinale dans l’immédiat, le symbole est posé : Là-bas entend s’attaquer à la forteresse de « la fabrique du consentement », selon l’expression de Noam Chomsky, qui figure en bonne place dans la bibliothèque de l’émission.
Nouveau média
Autre évolution, comme l’annonçait Daniel Mermet à Radio Fañch : « Ce n’est pas une webradio, c’est carrément un média qu’on est en train de créer : il y aura de l’image, de l’écrit, du dessin animé… » La refonte du site www.la-bas.org depuis cet été en donne déjà un aperçu. Créé en 2003 par un auditeur de l’émission pour y mettre à disposition ses « archives non-officielles » à une époque où Radio France était encore loin de proposer des podcasts sur le long terme, le site est très officiellement devenu le moyen d’expression de Daniel Mermet (dont on trouve maintenant des dessins ou des contes) et des allié⋅es de Là-bas.
Une coordination
Car le nouveau Là-bas ne se constitue pas tout seul : il se veut immédiatement part d’une camaraderie plus large de collectifs et de soutiens qui contribueront d’un côté ou de l’autre du micro à ce nouveau média en ligne. Parmi elles et eux, la coopérative audiovisuelle Les mutins de Pangée, l’association de critique des médias Acrimed, le magazine indépendant Basta !, l’association « pour une info bio » Nada, le Monde diplomatique dont l’émission mensuelle se poursuit, ou des personnalités comme l’économiste Frédéric Lordon ou Jean-Luc Mélenchon. L’affirmation d’un engagement politique déjà présent auparavant, mais moins libre de s’exprimer aussi directement à l’époque.
Dans cette nouvelle constellation, les auditrices et auditeurs de l’émission occupent une bonne place. C’est une autre des grandes transformations, qui officialise en quelque sorte une relation singulière née à l’époque de la diffusion hertzienne. Le mythique répondeur, d’abord, sera maintenu dans l’émission nouvelle formule et se poursuit en attendant à travers les commentaires en ligne. Surtout, les repaires de Là-bas, ces groupes d’auditrices/teurs organisant dans leurs villes des soirées débats autour des thématiques abordées par l’émission, prennent là une importance nouvelle. À rebours d’un journalisme d’experts, Daniel Mermet revendique la remontée d’informations comme méthode de travail et évoque la dynamique d’un « agglomérat de blogs ». Une émission sans radio, donc, mais adossée à une coordination de collectifs et d’individus.
Abonnement radiophonique
Ultime mutation, et non des moindres : la recherche d’un modèle économique permettant d’assurer une rémunération du travail effectué pour ce nouveau Là-bas. Daniel Mermet s’inspire ici de Mediapart et d’Arrêt sur images, optant pour une gratuité partielle adossée à un système d’abonnement pour les archives intégrales. Daniel Mermet capitalise, comme Edwy Plenel et Daniel Schneidermann avant lui, sur son expérience et sa notoriété d’homme de médias pour en créer un nouveau autour de lui. Et il inaugure ainsi une manière de faire de la radio pour l’instant inédite en France, où les financements pour les contenus audio autres que musicaux restent rares. Le crowdfunding de l’émission se veut ici une garantie d’indépendance, pour éviter d’avoir à faire appel à des fonds privés (fondations) ou publics.
Pendant ce temps-là, sur France Inter…
L’ancienne équipe de reporters de Là-bas anime depuis septembre l’émission Comme un bruit qui court : une seule heure par semaine, dans l’après-midi du samedi, au cours de laquelle Giv Anquetil, Charlotte Perry et Antoine Chao maintiennent vaille que vaille le flambeau de la critique sociale sur les ondes publiques. Le « bip » de feu le répondeur en tout début d’indicatif, l’animation à plusieurs voix qui garde le ton Mermet, Comme un bruit qui court revendique la filiation : reportages auprès des sans-voix ou des alternatives, mais aussi micro malicieusement tendu aux élites non pour les mettre en valeur, mais pour les dévoiler. Une rubrique sympathique, aussi, celle du « son des choses », qui retrace l’histoire d’une musique ou d’un bruit. La volonté affirmée, enfin, de garder un lien fort avec les auditrices/teurs à travers notamment Radio-it-Yourself, un appel à remixer les sons de l’émission – un peu maladroit en l’état (une forme d’auto-promotion participative ?), sauf exceptions :
Dans l’unanime effroi suscité par les tueries de début janvier, l’émission a su manifester son émotion tout en évoquant les inquiétantes dérives de certaines franges de « l’unité nationale ». Avec un budget audiblement plus restreint (formats raccourcis, enquêtes au moins long cours) et en dépit d’une tendance à surhabiller l’émission de tapis, virgules et autres animations sonores (peut-être pour compenser), l’équipe prouve qu’il reste encore un peu d’air à France Inter, comme le réclame depuis l’éviction de Mermet une initiative portée par François Ruffin, ancien journaliste de Là-bas et rédacteur en chef du journal Fakir.
De l’air à France Inter, il en faut s’en doute. Mais il en faudra aussi, dans les mois et les années à venir, partout où cela sera possible.
- Sur Syntone, réécouter Juste avant Là-bas, un reportage de Chloé Sanchez réalisé en 2014, quelques mois avant que France Inter mette fin à l’émission Là-bas si j’y suis.