Curieusement, et contrairement à nombre de compositeurs parmi ses contemporains, John Cage (1912-1992) n’a produit, pour ainsi dire, aucune pièce destinée à la radio, à l’exception de Roaratorio : An Irish circus on Finnegans Wake d’après l’œuvre de James Joyce.
Réalisée en 1979 (elle obtiendra le prix Karl Sczuka la même année), il s’agit d’un hörspiel expérimental, comme aimait en produire la WDR de Cologne à l’époque de Klaus Schöning. Un collage à l’allure chaotique fait de bruits mentionnés dans le livre de Joyce, de passages lus par Cage lui-même et de musique traditionnelle irlandaise, que France Culture a rediffusé en 2010 :
C’est davantage en tant qu’instrument, que la radio a intéressé John Cage.
Et plus précisément, en tant qu’instrument produisant des sons aléatoires, indéterminés. Qui, en effet, ne sait jamais amusé à tourner le bouton du tuner au hasard, pour en faire apparaître et disparaître des sons improbables : voix sorties de nulle part, bribes musicales, bruits d’ondes ou parasites en tous genres ? De la même façon qu’il a pu décider des paramètres de ses compositions par un jet de dés ou en consultant le Yi Jing, le livre chinois des oracles, John Cage trouva en la radio une formidable joueuse de hasard, contenant tous les sons du monde ou presque.
Deux pièces en témoignent : Imaginary landscape n°4 (1951) et Radio music (1956), deux pièces destinées à rester uniques à chaque représentation. En témoignent les interprétations ci-dessus, la musique en est âpre, presque abêtissante, et nous amène à nous interroger comme Krotchka sur le blog Rue des Douradoures : « [La] multiplicité [de la radio] reflète la multiplicité de tous, reflète plus encore la multiplicité d’un seul – et parfois même elle paraît porter la gravité de son destin. Unanime et ressemblante, est-elle l’expression de tous ou d’un seul ? Ou, immanence ingrate, ne dévoile-t-elle qu’un visage rassemblé, difforme – son visage arbitraire ? » Comme Cage l’indique lui-même dans Pour les oiseaux (conversations avec Daniel Charles), l’usage de procédés aléatoires, tels les sons des postes de radio, remplissait la fonction d’anéantir toute volonté (du compositeur) et « l’idée même de succès ». Faisait-il, ironiquement, allusion à la médiocrité du rendu sonore des radios ? Certes, Imaginary landscape n°4 et Radio music continuent de marquer les esprits, mais, après elles, Cage n’emploiera plus de radios sur scène.
Demain (5 septembre 2012), John Cage aurait eu 100 ans.
Tout le mois de septembre, l’antenne de WGXC, la radio new-yorkaise coordonnée par le collectif free103point9, diffuse un programme intitulé 120 Hours for John Cage, à partir d’un appel à contributions inspirées par tout ce que John Cage a pu produire « avec, pour et autour de la radio ». Exception à la règle, 4’33” (1952) est l’œuvre la plus souvent citée, probablement pour son côté provocateur, mais certainement parce qu’elle est aussi la plus représentative de la pensée du compositeur : considérant tous les sons sur un pied d’égalité, Cage restera comme celui qui a introduit les bruits du monde dans la musique. 4’33” consiste donc en quatre minutes et trente-trois secondes pendant lesquelles le musicien ne joue pas. La musique qui en résulte réside donc dans tous les autres bruits, habituellement indésirables, qui sont mis à jour par le silence de l’interprète : craquements des fauteuils, toussotements des spectateurs, rumeur extérieure. Créée par le pianiste David Tudor il y a tout juste 60 ans, 4’33” peut bien entendu être jouée par toute sorte d’instrument – piano, orchestre symphonique ou groupe de rock : c’est le cas de cette version récente, qui fut candidate au « tube de Noël 2010 » en Grande-Bretagne.
En cette journée anniversaire, ami·es radiophonistes, relèverez-vous un défi digne de la pensée ludique de Cage ? Pourquoi ne pas créer 4’33” avec vos propres instruments, c’est-à-dire le studio de radio ? La salle de concert sera remplacée par la multitude des espaces d’écoute de vos auditeurs. Installez-vous confortablement à la table, faites silence, montez les gains des micros, et vous distillerez chez l’auditeur votre invitation implicite à ce qu’il ou elle vibre aux sons de son propre environnement.
Et vous-mêmes, dans la quiétude de ce studio et de ce moment favorable à une attention des plus intenses, peut-être parviendrez-vous, enfin, à entendre l’auditeur !