Radio Klaxon sème des ondes sur la ZAD

À Notre-Dame-des-Landes, la lutte contre le projet d’aéroport s’est accompagnée d’une défense active et fertile du territoire. Parmi ses outils : une radio. Depuis 2012, la Zone-à-Défendre (ZAD) possède sa propre station, Radio Klaxon, une des seules radios pirates aujourd’hui en France émettant sur les ondes FM sans l’autorisation du CSA. Studio aménagé dans un bus posé dans un champ, Radio Klaxon pirate les ondes du 107.7, fréquence de Radio Vinci Autoroutes1, et arrose la ZAD sur le 87.5.

L’abandon du projet par le gouvernement en janvier 2018 ne signe pas la fin des expériences menées sur le bocage où agriculteurs, agricultrices historiques et militant·e·s souhaitent continuer à imaginer ensemble des modes de vie plus solidaires. À l’approche de la fin de la trêve hivernale – le 31 mars prochain, date à partir de la laquelle les occupant·e·s de la ZAD seront passibles d’expulsion, Radio Klaxon pourrait bien servir d’outil de résistance directe, comme elle le fut en 2012 lors de la tentative d’évacuation dite « opération César ». Témoignages polyphoniques de plusieurs « Camille » participant à cette aventure collective, radiophonique et militante.

Propos recueillis et agencés par, et photographies de Clément Baudet.

— Quand je suis arrivé·e sur la ZAD, j’ai appris qu’il y avait une radio et je suis venu·e à un Open Bus, ces moments où tout le monde peut parler au micro. Petit à petit, j’ai commencé à faire des jingles, j’ai appris à monter un studio mobile, à faire du montage, la technique, réparer l’émetteur et l’antenne alors que je n’avais jamais fait de radio avant. J’ai appris comme tout le monde, en faisant.

— La radio est à l’image de la ZAD, à l’arrache, pirate, ouverte et participative. J’aime beaucoup les jingles de Klaxon, comme celui où t’entends « Vous expulsez nos maisons, nous expulsons vos ondes » ou encore « Crève la taule ! ». Sur les ondes de Klaxon on entend l’humour d’ici, un humour bien vivant et qui fait du bien dans les périodes parfois difficiles. A travers la radio, il y a aussi une certaine continuité de l’histoire de la lutte : Certains jingles diffusés ont plus de cinq ans et parfois t’entends des voix de gens qui n’habitent plus ici depuis des années et ça rappelle des moments vécus ensemble.

Radio Klaxon, la radio pirate faite par des pirates qui n’ont jamais fait de radio.

Mix de présentation de Radio Klaxon :

— L’avantage d’une radio pirate, c’est que si un matin t’as pas envie de le faire, tu le fais pas ! En réalité, ces derniers temps, on se met la pression : avec la réouverture de la route D2812 et la forte présence policière, on s’est remis tous les matins à faire des info-traFlics, des bulletins d’information réguliers pour tenir au courant les auditrices et les auditeurs des positions de la police autour de la zone. Quand on reçoit un texto sur le téléphone de la radio, on peut répondre en direct à l’antenne. La radio est un outil de communication rapide et instantané pour faire circuler l’info au sein de la zone mais aussi pour informer celles et ceux qui sont ailleurs. Radio Klaxon se capte sur la FM entre 10 et 20 km autour de la ZAD selon les endroits et les conditions météo. Comme on pirate les ondes de Vinci Autoroutes, les automobilistes branchés sur cette fréquence tombent donc sur Radio Klaxon quand ils passent sur les deux 4-voies à l’Ouest et à l’Est de la ZAD ! On peut aussi écouter la radio de n’importe où en streaming sur le site de la ZAD. C’est trop chouette de savoir qu’on nous écoute ici et ailleurs. On reçoit souvent des messages et on nous propose des émissions à diffuser de la part de collectifs et de radios libres. Klaxon est un outil autogéré, un collectif à géométrie variable, la radio est plus ou moins vivante et fonctionnelle en fonction des énergies en présence. On essaye de faire une réunion hebdomadaire et quand on y arrive, on publie la programmation dans le ZADnews, le journal hebdomadaire de la ZAD.

— En plus de pirater les ondes de Vinci, on diffuse illégalement sans licence du CSA. Klaxon, c’est potentiellement la voix de tout le monde, surtout des personnes que l’on n’entend pas habituellement et beaucoup de choses diffusées ne seraient peut-être pas tolérées par les institutions. Certains propos pourraient facilement passer pour de l’appel à l’émeute ou de l’apologie du terrorisme d’après leur vision des choses. Si quelqu’un dit au micro qu’il a envie de brûler des flics, on n’est pas forcément d’accord, mais on a envie que ça puisse s’exprimer à l’antenne, car ça fait partie des enjeux politiques de la radio de diffuser une pluralité de points de vue. C’est un exemple un peu caricatural, mais voilà pourquoi on fait attention à protéger au maximum toutes les identités.

— Moi j’aime le direct, c’est vivant et instantané. La radio me donne vraiment l’impression de participer à quelque chose et puis on s’entend vraiment bien dans le collectif. On aimerait que le studio soit ouvert tout le temps, mais pour le moment ce n’est pas possible car ça pose beaucoup de questions : comment ne pas flipper ni sur la diffusion des identités, ni pour le matériel ? Ça demande de la confiance et ça prend du temps. En 2013, lors d’une émission, certaines personnes ont porté des paroles anti-féministes très violentes. C’était des paroles réfléchies qui ont créé un véritable séisme et la radio s’est arrêtée quelques temps… Depuis cette blessure, ces personnes-là ne sont plus les bienvenues et aujourd’hui, la radio est très axée « féminisme ».  Une charte a été rédigée, et même si le studio a bougé de lieux et de forme, elle est toujours d’actualité et elle est affichée sur la porte d’entrée du bus précisant les valeurs de la radio.

 

— J’aime le côté libre et humble de Radio Klaxon. C’est aussi un outil de propagande (rires). Comme le traitement médiatique de la ZAD et de ses habitant·e·s est souvent défavorable voire totalement mensonger, et comme l’AFP ne publie pas nos droits de réponses, Radio Klaxon est une manière pour nous de remettre des vérités à leur place. La radio permet aussi de diffuser les productions des ami·e·s et de l’atelier de rap de la ZAD.

— Pendant la tentative d’expulsion de l’opération César en 2012, la radio était un endroit un peu secret et elle n’était pas visible et accessible comme c’est le cas aujourd’hui. Un jour j’ai lu dans le ZADnews que Radio Klaxon proposait une rencontre pour faire des trucs trippant et en collectif, notamment des jingles. La radio ça me faisait rêver depuis longtemps et j’ai tout appris ici. Aujourd’hui j’aime faire des montages humoristiques et incisifs en jouant avec les sons et en détournant des paroles politiques.

— Quand j’étais plus jeune, j’ai eu un cancer de la thyroïde à cause de Tchernobyl. On m’a opéré de la gorge, ça a profondément modifié ma voix et pendant longtemps ça m’a posé problème. Avec la radio j’ai réappris à m’entendre, à assumer ma voix et certaines de mes positions.

— À l’antenne on lit beaucoup de textes, de brochures et de communiqués, mais c’est très monotone et parfois hyper plombant alors que l’objectif en allumant la radio c’est pas de déprimer ! On a envie que Radio Klaxon soit agréable à écouter. J’ai commencé à enregistrer textes en extérieur, car l’émotion n’est pas la même quand on capte la vie derrière et j’aime faire entendre tous ces sons qui nous entourent sur le bocage : les oiseaux, les portes des cabanes qui grincent, un chien qui aboie, un enfant qui joue… J’aime diffuser tous ces petits moments de vie bruts captés ici, des introspections, des rêves, des envies, qui apportent un peu de nos vies dans la radio.

— Je veux que Klaxon donne le smile, qu’elle soit l’écho des luttes d’ici et d’ailleurs. Sur la ZAD tout le monde n’a pas les moyens matériels pour « s’évader » et je trouve que les inégalités et la reproduction de classes se retrouvent malheureusement. On est tout·e·s dans nos groupes affinitaires avec parfois des préjugés, des choses qu’on dénonce à l’extérieur mais qu’on a pourtant tendance à reproduire ici. Dans tout cela, la radio est un outil qui permet de se mixer, d’entendre la voix des uns et des autres.
— On apprend beaucoup autour des micros : un jour, une copine revenue du Dakota a raconté à la radio le combat de Standing Rock aux États-Unis3 et cette incroyable expérience d’autogestion. J’ai aussi rencontré les copines basques d’Errekaleor4, on a lié des liens d’amitié et ça nous a donné des idées à mettre en place ici.

— Je suis arrivé.e sur la ZAD par hasard. Dans le lieu de vie où je squattais, Radio Klaxon tournait en continue et j’ai rapidement eu envie de faire des lectures de textes d’analyses, faire du partage d’idées parce que les habitant·e·s de la ZAD sont très éclectiques et tout le monde n’a pas les mêmes références politiques et intellectuelles. J’ai eu la chance d’avoir étudié les sciences politiques à l’université et j’avais envie de partager ce que j’avais appris. — On a lancé l’émission Paye ta brochure avec le bus-radio ouvert une heure par semaine pour lire des textes, des poèmes, passer du son, etc. À la rentrée, j’ai eu du mal à m’y remettre avec la fatigue et toute les choses qu’il y a à faire ici : faire un auvent pour ma caravane, aider un copain à isoler sa cabane, essayer de ne pas tomber malade, etc.

— Il y a quinze ans, j’ai bossé dans une radio associative alors en arrivant sur la zone, je suis venu·e partager de la musique et lire des brochures. Le bus-studio est un espace vraiment beau et inspirant, un lieu où je passe plusieurs heures par semaine, on se retrouve, ça fait du lien. Je viens lire des textes de Virginie Despentes par exemple et j’écoute très souvent Klaxon quand je suis triste d’être loin de la ZAD : La radio permet de garder le lien avec les copains-copines. Je me souviens d’une lecture de témoignages de femmes violées, de l’émotion qu’on a pu ressentir après et des réflexions qui ont suivi. Tout cela des mois avant que les grands médias parlent des violences faîtes aux femmes après l’affaire Weinstein. Il y a un gros travail de fond qui est fait sur la ZAD concernant l’égalité femmes-hommes et la radio est un espace important pour ça.

— Avec internet, les ondes redeviennent un peu plus libres et puis la FM n’est pas un outil si compliqué ! Les ami·e·s de la revue Rafale ont publié un article avec plein d’informations pour monter une radio pirate.

J’aimerais que ça en inspire d’autres et que des dizaines de nouvelles radios pirates se lancent partout ailleurs !

À écouter :

Notes :

1 Vinci, concessionnaire d’autoroutes et groupe industriel de construction en charge du projet d’aéroport qui ne verra finalement pas le jour.
2 La route D281, appelée « route des chicanes » est une route départementale qui traverse la ZAD du Nord au Sud, fermée à la circulation en 2012 par le Conseil départemental et réouverte par le mouvement en 2013. La végétation y a repris peu à peu ses droits et cette route, devenue symbole de la lutte, était occupée par des cabanes, des chicanes, des constructions en bois et empruntée par piéton·nes et cyclistes. Avec l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport en janvier 2018, le gouvernement d’Édouard Philippe a demandé sa réouverture. Les habitant·e·s de la ZAD ont décidé de déblayer la route et de déplacer les cabanes. Cela reste actuellement un sujet sensible au sein du mouvement et les travaux de réaménagement en cours sont effectués sous une forte présence policière dénoncée par les habitant·e·s sur le site de la ZAD.
3 Standing Rock : mobilisation et occupation menée l’été 2016 par plusieurs milliers d’Amérindien·nes et de militant·es écologistes contre la construction du pipeline Dakota Access près de la Réserve indienne de Standing Rock dans le Dakota du Nord aux États-Unis. L’émission mentionnée est disponible en réécoute sur le site de la ZAD.
4 Errekaleor : ancien quartier ouvrier de la ville de Gasteiz-Vitoria au pays basque, occupé depuis 2013 par des habitant·es qui s’organisent autour d’un projet politique anti-autoritaire, féministe et autogéré. L’émission mentionnée est disponible en réécoute sur le site de la ZAD.

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