La nouvelle création du Collectif Wow !, Beaux Jeunes Monstres, est une enthousiasmante fiction radiophonique en cinq épisodes courts. Réalisée par Florent Barat et Sébastien Schmitz, elle conjugue sens du récit, humour et musique, autour d’un jeune adolescent handicapé aux prises avec le désir de liberté.
Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal.
La voix de l’« extraordinaire »
Le mot « monstre » vient du verbe latin monstrare qui signifie montrer, désigner celui qui n’est pas dans la norme, celui qui n’entre pas dans les cases de la normalité. De sa voix enjouée et dynamique, le jeune narrateur nous annonce vite la la couleur : « Y en a qui disent extraordinaire, la plupart dit handicapé ou handic’ (…) Je peux presque rien bouger, moi. »
La voix de notre héros est en vérité sa voix imaginaire, une voix rêvée pourrait-on dire, pour raconter sa vie de jeune IMC (infirme moteur cérébral) privé de parole. La perspicacité de cette série loufoque et tragi-comique tient certainement à ce que le beau jeune monstre, William, se désigne lui-même comme le « Wheeling » à voiturette, celui qui est heureux d’être vivant et infirme plutôt que mort, celui qui a subitement compris, le jour où sa mère s’est décidée à sortir au-dehors avec lui, pourquoi elle avait préféré le préserver jusque-là du monde extérieur et du regard de la société.
Une comédie musicale, incisive et poético-politique
Le freak dévisagé depuis l’enfance, celui à qui on a parlé de son handicap chaque jour depuis sa naissance, observe avec lucidité et un humour corrosif les personnes et le monde qui l’entourent : par exemple les anorexiques, « ces filles qui se croient trop grosses alors qu’elles sont trop maigres, on dirait des clous » ; ou « Einstein », un enfant autiste, aveugle, sourd et muet, en face duquel il pense « moi, ça va ! », mais aussi le père parti après sa naissance, la mère qui se console dans la religion, ses amis de l’« école » plus ou moins aussi freaks que lui, et une kyrielle de personnages qu’il décrit sans prendre de gants, mais toujours avec une forme de tendresse.
L’humour passe aussi par les intermèdes musicaux, polyphoniques et électroniques, qui viennent donner de la légèreté et empêcher toute forme de misérabilisme ou de pathos mélancolique. William est un poète et, malgré l’âpreté de sa vie, il nous donne à entendre la beauté de son sentiment d’existence, comme à ces moments où il imagine se muer en papillon et s’envoler, ou être une bulle de savon qui pique nos yeux mais n’éclate pas, un être immortel. La force de la création radiophonique nous permet le confort de ne pas soutenir le regard sur un être au physique dérangeant et laisse notre imagination passer sans freins du réalisme à l’onirisme.
Révolte poétique et pique-nique surréaliste
Par la magie du dispositif sonore et musical, c’est le monstre qui pour une fois tire les ficelles du récit, et nous « montre » le monde tel qu’il le perçoit en dépit des normes et du « politiquement correct ». Son héros à lui s’appelle Mohamed Ali (« Fly like a butterfly and sting like a bee »), qu’il admire plus que tout autre, car bien que noir et pauvre, il ne s’est pas levé pour faire la guerre, mais pour monter sur le ring de boxe et se dépasser.
Comment réussir à conclure cette histoire ? Les deux derniers épisodes de la série relatent une révolte collective et une forme de vengeance imaginaire. Le jour de Pâques, Will et ses amis handicapés, se rendent à l’église pour une prise d’otage symbolique des forces de la norme, un attentat poétique destiné à détruire cet « ancien monde » qui les exclut et à en faire surgir un nouveau.
Épreuves, exorcismes
La mère de Will porte sur lui un regard neuf, les barrières s’effondrent soudain en un moment de symbiose collective et révolutionnaire, un pique-nique improbable qui réunit tou·te·s les opprimé·e·s de la terre, les vieux, les clochards, les femmes, les oublié·e·s. Les familles détruites se reforment, au parvis de l’église, en un détournement fantasmatique du symbole religieux du miracle.
Au milieu de cette famille rêvée, Will croit même apercevoir son père… Hallucination ? Incantation prophétique ? L’on songe au poète Henri Michaux qui, dans la préface du recueil Épreuves, exorcismes, évoque cette force singulière de la poésie : « La plupart des textes qui suivent sont en quelque sorte des exorcismes par ruse. Leur raison d’être : tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile ».
Beaux Jeunes Monstres utilise cette puissance d’exorcisme de la poésie, pour combattre nos maux et nos misères et créer du lien par-delà les catégories d’une société aliénante qui relègue les individus dans des cases, des cellules, des catégories froides de la pensée.
- Beaux Jeunes Monstres, une production du Collectif Wow !, écrite par Florent Barat, réalisée par Florent Barat et Sébastien Schmitz. Écouter.