Dans un article (en anglais) paru dans le dernier numéro de la revue canadienne Wi: Journal of Mobile Media, l’artiste Anna Friz revient sur la radio en tant qu’objet matériel d’expression, pratique qu’elle estime sous-exploitée. Ici, on ne parle pas de la radio traditionnelle qui délivre des messages préfabriqués n’allant que dans un seul sens, mais de l’entièreté du phénomène radiophonique, certes invisible mais pas impalpable, que chacun, donc, peut potentiellement investir, fabriquer ou détourner vers d’autres destinations.
Friz pose d’abord un regard en arrière sur l’invention du Theremin, premier outil artistique à utiliser autrement la technologie radio. Instrument que l’on joue en apposant ses mains à distance de deux antennes (l’une pour contrôler la hauteur des sons, l’autre l’intensité), le Theremin offre au regard l’expression d’une imbrication étroite entre humain et technologie. En filiation, selon elle (même s’il s’en défend, trouvant le Theremin trop restreint), se situe Tetsuo Kogawa, un des acteurs du mouvement “Mini-FM” au Japon.
Le boum japonais des radios libres au début des années 80 fut très différent de celui qu’on connut en Europe. Contraint par la législation à émettre à des puissances très faibles (en-dessous du Watt), il prit le visage de multiples micro-communautés qui, dans le Tokyo densément peuplé, pouvaient se réunir autour d’une station de radio émettant sur la distance d’un immeuble ou deux. Faire de la radio devenait un prétexte pour se rassembler physiquement. On ne pouvait se laisser toucher à distance. Chercher la fréquence sur son poste poussait à se rapprocher du studio.
Dans un souci de transmission du savoir, Tetsuo Kogawa propose fréquemment de construire en direct un mini-émetteur FM sous les yeux du public invité à s’assembler autour de lui. Puis avec ce même émetteur, allié à quelques autres ainsi qu’à des postes de radio tout à fait ordinaires, il joue physiquement avec les interférences et les battements d’ondes dans une esthétique minimaliste. Dans l’acception de Kogawa, la radio n’est en rien un phénomène distant et désincarné.
Si au bout du compte l’emploi des phénomènes radiophoniques comme moyen d’expression artistique pourrait avoir un résultat qui ne serait pas même audible, Anna Friz, elle, travaille le médium au corps en y injectant toutes les traces de physicalité radiodiffusée qu’on qualifie ordinairement de rebuts : toussotements, parasites dans le micro, bruits de manipulation, inspiration d’air, etc. La radio est à la fois la source, le sujet et le médium de ses œuvres. En performance ou en installation, elle joue sur le caractère instable de la transmission radiophonique, perturbée par les émissions radios de forte puissance qui préexistent autour d’elle ou simplement par la présence corporelle du public.
Pour aller plus loin… :
• Anna Friz ~ écouter Inhale/Suspend sur Silence Radio.
• Tetsuo Kogawa ~ lire A Micro Radio Manifesto.
merci pour cet article.
je ne connaissais ni l’une ni l’autre…
et quelles « découvertes »!