Du lever au coucher, de top horaire en plage horaire, la radio telle une horloge parlante améliorée est là pour rythmer nos journées. Reine du direct, « média de l’immédiat », elle sait aussi jouer du différé et re-monter le temps. Grâce au podcasting, la radio est aujourd’hui de plus en plus écoutée de façon désynchronisée du temps réel. Faisons ensemble un petit tour de la question du temps à la radio.
Dès le mois de mai 1910, la Tour Eiffel commence à envoyer le signal horaire par télégraphie sans fil : pour la première fois, l’ensemble du territoire français est mis à la même heure. Depuis 1920, la station WWV située aux États-Unis dans le Colorado, diffuse en continu le temps universel coordonné provenant d’une batterie d’horloges atomiques. Elle est toujours active sur les ondes courtes aujourd’hui. Les stations qui s’adressent au grand public donnent la cadence en mots et en musique, à commencer par l’exemple du top horaire. Parmi ses plus remarquables, le carillon de Big Ben directement relié par microphone à la BBC ou encore, d’une taille plus modeste, celui d’Europe 1. L’usage de la cloche comme moyen de communication de masse s’inscrit dans une longue tradition ecclésiastique qui, avant tout, régule la journée de travail. Le battement à la seconde est le mètre-étalon du temps professionnel comme du temps radiophonique. Le temps d’antenne est d’ailleurs une valeur qui s’achète et se vend à la seconde.
Synchroniser pour rassembler
Pour la radio, la métonymie horlogère ne s’arrête pas aux ponctuations sonores, mais s’illustre plus globalement dans la manière dont tout au long de la journée est organisée la succession des programmes, aux rythmes et aux tonalités différentes. Quoi de plus dissemblable d’une émission de nuit au tempo détendu qu’une matinale speedée de station généraliste ? Cette fonction métronomique de la radio se concrétise même en un objet emblématique, le radio-réveil qui vous tire du lit à la cadence des pubs et des flashes info, et se manifeste jusque dans le nom de certaines stations – on pense par exemple à la cubaine Radio Reloj (samplée par Manu Chao), dont le fond sonore est constamment martelé par un battement d’horloge ! Les radios internationales telles Radio Reloj ou RFI, BBC World Service, VOA, etc. ont la particularité d’émettre vers différents fuseaux horaires en même temps. C’est par l’inscription dans une temporalité commune et partagée, une synchronicité, que la radio entreprend de réunir des individus, isolés les uns des autres par les distances ou par les murs.
L’emploi du temps radiophonique est dicté par la grille horaire. Celle-ci instaure des rendez-vous et ritualise la relation de l’auditeur ou de l’auditrice à la radio. Qui dit « grille » pense « prison », mais rares sont les stations à s’en libérer partiellement ou ponctuellement – Fip, Radio Grenouille – ou à concevoir certaines longues plages d’antenne comme un « mix » d’éléments hétérogènes – Radio Nova autrefois, Jet FM encore aujourd’hui. C’est que l’exercice demande plus de temps de travail humain que le fait de glisser des fichiers audio dans un automate de programmation.
Contenus à Durée Déterminée
En janvier 2012, une performance d’Alessandro Bosetti a constitué un défi total pour un radiodiffuseur traditionnel (la RTBF en l’occurrence) : l’artiste désirait l’effectuer en direct et selon une durée indéfinie au départ. Son titre même, 636, lui a été donné a posteriori après que l’artiste ait réussi à compter de zéro jusqu’à ce nombre. Fait rare et inimaginable sur la plupart des stations où l’antenne se décline en formats bien déterminés (plateaux, magazines, reportages…), auxquels sont attribuées des durées incompressibles : 3, 26 ou 55 minutes, tout doit tenir dans la « tranche ». Afin que rien ne dépasse, il faut souvent couper et parfois rallonger pour meubler. Les émissions de création radiophonique n’échappent généralement pas à la règle. Contrainte stimulante ou routine aberrante ? Un animateur du réseau Radia nous confiait off the record que lorsqu’il recevait une création d’une durée inférieure ou supérieure aux 28 minutes réglementaires, il n’avait pas de scrupule à utiliser la fonction time-stretch de son logiciel audio pour la convertir à la bonne durée, au risque que le son s’en trouve légèrement altéré.
De ce point de vue, la radio à la demande et la baladodiffusion constituent une totale révolution. D’un côté, l’auditeur-trice choisit son moment d’écoute et peut ainsi y consacrer toute son attention. De l’autre, les producteurs-trices ont enfin la liberté de laisser leur création durer le temps qu’elle nécessite, ni plus ni moins. Il demeure bien sûr d’autres contraintes en jeu, basées sur des pré-supposés quant à la capacité d’attention du public. Le contexte de diffusion entre en compte. Citons Mademoiselle Rêve (2014) de Mehdi Ahoudig qui, entre le director’s cut réalisé pour Syntone et sa version pour Arte Radio, est passée de 7 à 3 minutes. Ironie du sort pour une création dont le sujet principal est… le temps qui passe !
Fixer les sons pour retenir le temps
Pour en revenir à la radio de flux, si elle est connue pour être le média du live, elle l’a d’abord été par défaut. Du temps où les techniques d’enregistrement étaient lourdes et les supports fragiles, le direct était privilégié. Le caractère éphémère de la transmission radio continue d’ailleurs de stimuler nombres d’artistes comme le collectif La Radio cousue main, qui retourne aux sources de la radio avec une approche contemporaine, ou encore le duo Mobile Radio qui, en 2009, proposait une performance dans ce « trou noir temporel » que constitue le passage à l’heure d’hiver entre 2h et 3h du matin.
C’est la généralisation de la bande magnétique dans les années 1950 qui a véritablement facilité la fixation des sons, la création d’archives et le montage. L’art du montage sonore a pu alors s’épanouir à l’instar de son grand frère cinématographique, pour compresser ou distordre le temps du récit à souhait.
Contrairement à l’image animée, il n’existe pas d’ « arrêt sur son » qui permette d’immobiliser le son sans en interrompre l’audition, mais on peut s’en rapprocher en isolant un fragment d’enregistrement et en le répétant afin que la mémoire s’en imprègne. En 1948, Pierre Schaeffer réalise l’expérience du « sillon fermé » (voir la vidéo ci-dessous) et pose ainsi les fondations de la musique concrète, d’un art radiophonique nouveau et de tant de descendances musicales bâties sur le sampling et la mise en boucle.
Pour des générations d’artistes et de réalisatrices-teurs de radio, la temporalité du son directement modifiée par le ralentissement ou l’accélération du magnétophone (ou de la platine vinyle) donne naissance à de nouvelles sonorités, plus graves ou plus aiguës – des effets sonores dont fourmille notre mémoire collective. Sans oublier la lecture de la bande à l’envers pour « remonter le temps ». Sur le sujet des demoiselles de l’horloge parlante, DinahBird réalise avec Miss Time (2011) un collage employant beaucoup de possibilités de manipulation du son filant la métaphore du temps.
Le son du temps qui passe à la radio
Depuis 1958, le métallophone d’un fameux jeu radiophonique français donne un son au temps qui passe et matérialise le silence de la pensée en action. À l’exemple d’Andreas Bick avec Chronostasis (2009) et de Sarah Boothroyd avec All in Time (2011), les machines pour mesurer le temps ou donner l’heure constituent des instruments sonnants particulièrement intéressants. Anna Friz, fille d’un collectionneur de pendules à coucou et fascinée par l’horloge atomique dont on parlait tout au début, a entamé depuis 2010 une série de pièces radiophoniques et d’installations sonores sur le thème du temps. L’ensemble construit une réflexion sur la manière dont nos vies ne sont plus réglées par le mouvement des astres, ni par quantités de pendules mécaniques imparfaites, mais par une pulsation anonyme et unique qui régule de la même façon les transports, les échanges de données, les médias, les transactions commerciales et financières. En ce qui nous concerne, il est l’heure, en temps universel, de rendre l’antenne.
Sur Syntone, lire aussi :
- Rythmes & formats : “Silence, s’il vous plaît !” – De la place accordée aujourd’hui au silence à la radio (novembre 2012), par Marie Bertin.
- Juste avant Là-bas (avril 2014) à propos de Là-bas si j’y suis, emblématique de l’usage du « direct » et du « différé » dans une même émission.
Actualité :
- Le Temps est aussi la thématique du « Bivouac radiophonique » organisé par Phaune Radio et Radio Escapades à Ganges les 23 et 24 octobre 2015 auquel Syntone est invitée. Tous les renseignements ici :
Salut Etienne et Syntone… réunis,
Bon papier. J’ajouterai que le « il est temps de retrouver… » est la forme la plus inaboutie, la plus tragique, qu’un animateur ou ne animatrice peut utiliser pour « faire passer » la succession de séquences qui rythme son émission. J’ai des exemples très précis pour cette « méthode » utilisée entre autres sur Mouv’ et sur Culture. Les artistes, les femmes et les hommes de radio qui se sont affranchis de cette ritournelle pathétique ont la plupart du temps accroché leurs auditeurs. Les autres, véritables horloges parlantes, ont fini par ne plus faire entendre que « ça »… « il est temps de » comme si l’objectif inavouable était bien de tout faire « passer » dans la grille au risque d’utiliser le chausse-pied.
Il m’est agréable de rappeler qu’un maître es-radio, Gérard Sire, animait sur France Inter, au début des années 70 une longue séance de trois heures l’après-midi. Il n’a jamais eu besoin d’utiliser cette liaison pauvre et triste pour rythmer sa session.
Mais quel-le directeur-directrice de chaîne écoute aussi finement celui-celle qui au micro n’a jamais pris la mesure de son principe de répétition confinant à l’inaudible ?
Si l’on n’y prendre garde l’enfermement à la radio est carcéral : des chaînes, des grilles, des cellules… C’est Philippe Caloni qui le dit. Un journaliste exceptionnel qui savait enchanter la radio.
À bon entendeur… salut.
Merci pour ton commentaire, cher observateur des rythmes radiophoniques.
Heu, je ne me contente pas d’observer, j’écoute avec mes yeux et mes oreilles, M. Etienne ;-)