La radia (1933)

La radia 1

La radia ne doit pas être

1. théâtre parce que la radio a tué le théâtre déjà vaincu par le cinéma sonore

2. cinématographe parce que le cinématographe est agonisant

a) de sentimentalisme rance de sujets

b) de réalisme qui n’enveloppe aucune synthèse simultanée

c) d’infinies complications techniques

d) d’un fatal collaborationnisme banalisateur

e) de luminosité reflétée inférieure à la luminosité auto-émise par la radio-télévisée

3. livre parce que le livre qui est coupable d’avoir rendu myope l’humanité implique quelque chose de pesant de suffocant de fossilisé et congelé (vivront seulement les grandes planches de parolibres2 lumineuses unique poésie ayant besoin d’être vue)

La radia abolit

1. l’espace ou scène nécessaire dans le théâtre dont le théâtre synthétique futuriste (action se déroulant dans une scène fixe et constante) et dans le cinéma (actions se déroulant dans des scènes ultra-rapides ultra-variables simultanées et toujours réalistes)

2. le temps

3. l’unité d’action

4. le personnage théâtral

5. le public entendu comme masse juge auto-élue systématiquement hostile et servile toujours misonéiste toujours rétrograde

La radia sera

1. Liberté sur tous les points de contact avec la tradition littéraire et artistique Toute tentative de relier la radia à la tradition est grotesque

2. Un Art nouveau qui commence où cessent le théâtre le cinématographe et la narration

3. Une immensification de l’espace Non plus visible ni cadrable la scène devient universelle et cosmique

4. Captation amplification et transfiguration de vibrations émises par les êtres vivants par les esprits vivants ou morts drames d’états d’âme bruitistes sans paroles

5. Captation amplification et transfiguration de vibrations émises par la matière Comme aujourd’hui nous écoutons le chant de la forêt et de la mer demain nous serons séduits par les vibrations d’un diamant ou d’une fleur

6. Pure organisme de sensations radiophoniques

7. Un art sans temps ni espace sans hier ni demain La possibilité de capter des stations transmettant des postes dans différents fuseaux horaires et l’absence de lumière détruisent les heures le jour et la nuit La captation et l’amplification avec les valves thermoioniques de la lumière et des voix du passé détruiront le temps

8. Synthèses d’actions infinies et simultanées

9. Art humain universel et cosmique comme des voix avec une vraie psychologie-spiritualité des bruits de la voix et du silence

10. Vie caractéristique de chaque bruit et variété infinie de concret-abstrait et réalisé-rêvé au moyen d’un peuple de bruits

11. Luttes de bruits et d’éloignements divers c’est-à-dire le drame spatial ajouté au drame temporel

12. Paroles en liberté La parole est allée en se développant comme collaboratrice de la mimique et du geste Il faut que la parole soit rechargée de toute sa puissance par conséquent parole essentielle et totalitaire ce que dans la théorie futuriste s’appelle parole atmosphère Les paroles en liberté filles de l’esthétique de la machine contiennent un orchestre de bruits et d’accords bruitistes (réalistes et abstraits) qui seuls peuvent aider la parole colorée et plastique dans la représentation fulminante de ce qui ne se voit pas S’il ne veut pas recourir aux paroles en liberté le radiaste doit s’exprimer dans ce style parolibre (dérivé de nos paroles en liberté) qui circule déjà dans les romans avant-gardistes et dans les journaux ce style parolibre typiquement rapide nerveux synthétique et simultané

13. Parole isolée répétition de verbes à l’infini

14. Art essentiel

15. Musique gastronomique amoureuse gymnastique etc.

16. Utilisation des bruits sons accords harmonies simultanéité musicaux ou bruitistes des silences tous avec leurs gradations de durée de crescendo et de diminuendo qui deviendront d’étranges pinceaux pour peindre délimiter et colorer l’infinie obscurité de la radia en donnant cubicité circularité sphérique au fond géométrie

17. Utilisation des interférences entre stations et du lever et de l’évanescence des sons

18. Délimitation et construction géométrique du silence

19. Utilisation des différentes résonances d’une voix ou d’un son pour donner le sens de l’ampleur de la pièce dans laquelle elle est exprimée Caractérisation de l’atmosphère silencieuse ou semi-silencieuse qui enveloppe et colore une voix un son un bruit donné

20. Élimination du concept ou prestige d’un public qui a toujours aussi pour le libre arbitre une influence déformante et aggravante

1 Manifeste futuriste écrit par Filippo Tommaso Marinetti et Pino Masnata, publié dans la Gazzetta del Popolo en octobre 1933. Traduit de l’italien par Olivier Féraud pour Syntone en avril 2011 à partir de la version en ligne sur kunstradio.at.
2 [NdT] Parolibere : “mots en liberté”

Pour une contextualisation, lire sur Syntone : La Radia : postérité polémique d’un manifeste futuriste, Guillaume Abgrall, mai 2018.

3 Réactions

  • Jacques dit :

    [Post-It] Sous le titre « Futurisme et Surréalisme » les éditions de l’Age d’Homme ont publié en 2008 les actes d’un colloque international [2002] organisé par l’Université de Nantes où l’on peut se référer notamment à la contribution d’Antonio Saccone [Université de Naples « Federico II » titrée « Le futurisme et le langage radiophonique » qui développe de façon plus explicite le contexte et les termes de ce manifeste.

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