Le 20 septembre 2009, France Culture diffusait Jour 54, un opéra radiophonique de Pierre Jodlowski d’après le roman 53 Jours de Georges Perec. La pièce, coproduite par l’Atelier de Création Radiophonique, la direction de la musique et le département des fictions de France Culture, concourrait pour le Prix Italia 2009.
Si le projet d’opéra radiophonique trouve son origine dans le roman inachevé de Perec, Pierre Jodlowski nous livre ce “54e jour” comme une interprétation très personnelle du texte initial. La composition complexe mêlant voix et musique électronique nous fait rapidement quitter la réalité de l’intrigue policière pour nous faire entrer dans un univers sonore qui en dit autant sur la survivance de Perec aujourd’hui ~ le slam final jongle avec les mots comme pourrait le faire l’Oulipo ~ que sur l’admiration de Jodlowski pour l’auteur. Au final, bien plus qu’une simple variation sur le texte de Perec, c’est une véritable expérience radiophonique perecquienne que nous fait vivre Jour 54, au cours de laquelle l’auditeur est à son tour invité à prolonger l’imaginaire de l’auteur.
Jour 54 (extrait)
Opéra radiophonique de Pierre Jodlowski
Réalisation : Pierre Jodlowski, Marguerite Gateau, Patrick Lerisset
Atelier de Création Radiophonique du 20 septembre 2009
Ce dimanche 25 octobre, nous aurons le plaisir de (re)découvrir un Atelier de Création Radiophonique produit par Georges Perec lui-même : Tentative de description des choses vues au carrefour de Mabillon le 19 mai 1978. Les deux soirées que l’ACR consacre à Perec sont l’occasion de parcourir brièvement l’importante œuvre radiophonique de l’auteur ; Georges Perec a en effet écrit de nombreuses pièces spécialement pour la radio, mais beaucoup d’entre elles n’existent qu’en allemand. Perec commence son travail pour la radio allemande en 68, au même moment où naît sur France Culture l’Atelier de Création Radiophonique ; s’ensuit alors une collaboration régulière entre Perec et l’émission, son esprit d’expérimentation collant parfaitement bien avec la volonté à l’époque de Jean Tardieu et Alain Trutat d’ouvrir un lieu où inventer de nouvelles formes radiophoniques1. Perec l’écrivain trouve à la radio un nouveau terrain d’expression :
Très vite, je m’aperçus qu’une partie de mes préoccupations formelles, de mes interrogations sur la valeur, le pouvoir, les fonctions de l’écriture pouvaient trouver [à la radio] des réponses, des solutions que je ne parvenais pas à trouver dans le cadre de mes recherches purement romanesques.2
En Allemagne, Perec pratique le hörspiel, dont la traduction française “jeu pour l’oreille” révèle le côté ludique et expérimental qui convenait parfaitement au joueur de mots de l’Oulipo : écriture à contraintes, variations sur un même thème, joutes verbales sont les composantes d’un travail radiophonique très oulipien.
Mabillon. Le 19 mai 1978. Il est dix heures moins vingt. Le temps est pluvieux. “Il y a beaucoup de choses place Saint Sulpice (…) Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites, inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qu’il se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages.”3
Le 19 mai 1978, posté dans une camionnette garée au carrefour Mabillon à Paris (place Saint Sulpice à l’angle du boulevard Saint-Germain), Perec va décrire pendant près de six heures le spectacle de la rue, enregistré au Nagra par Michel Creis. Il met en œuvre à la radio un projet qu’il ne mènera pas à terme : décrire minutieusement chaque mois, pendant douze ans, deux lieux parisiens choisis pour leur importance affective.
L’expérience auditive est fascinante : Perec décrit en temps réel le passage des gens, des bus, des voitures, commente les tenues, le temps qu’il fait, les coiffures, “les cocotiers sont arrivés”, “Galeries Lafayette”, “les cocotiers sont parmi nous” ; les phrases sont ponctuées par le passage du feu au rouge, le rythme s’établit au gré de la circulation, il accélère aux heures de pointe et ralentit quand la rue s’apaise. Perec réussit à hypnotiser l’auditeur. L’auteur exploite la dimension immédiate, vivante du direct radio. La poésie se moule parfaitement dans les contraintes temporelles de la communication radiophonique. Des six heures initiales, l’ACR n’en a gardé que deux, auxquelles se mêle la lecture par la voix enjouée de Claude Piéplu de l’inventaire de tous les “manteaux rouges”, “2 CV vert pomme” et “bus 95” passés ce jour-là.
Pour Perec, la radio était une véritable écriture du son et de la voix. Dimanche 25 octobre à 23h, c’est une autre radio que vous entendrez sur France Culture, une radio qui par l’imaginaire vous plongera dans l’infra-ordinaire sonore et poétique.
Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978 (extrait)
Un essai radiophonique de Georges Perec
Réalisation Nicole Pascot
1ère diffusion le 25 février 1979
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Poursuite de Perec et la radio sur le net :
• un article de 1997 d’Hans Hartje, Georges Perec et le “neues horspiel” allemand.
• le site de l’Ourapo et sa définition sur Wikipedia.
L’Ouvroir de Radiophonie Potentielle (Ourapo), fondé au sein d’Arte Radio en 2004 par Thomas Baumgartner et Christophe Rault, est un autre héritier de cette radio perecquienne. Il emprunte à l’Oulipo le travail formel par la contrainte : des pièces radiophoniques sont créées avec une contrainte imposée à chaque étape spécifiquement radiophonique (prise de son, montage, mixage). Ainsi, par exemple, ce Son dit, mis en ligne le 10 janvier 2007.
• Mise à jour 12/12/2010 : Compléments de documentation à lire ici
1 Perec a écrit plusieurs textes pour la radio qui ont été par la suite adaptés à l’ACR : Un diable dans la bibliothèque, de et d’après Georges Perec, par René Farabet avec Claude Piéplu, première diffusion le 15 mars 1992 ; Diminuendo (texte de Perec, musique de Bruno Gillet), Souvenirs d’un voyage à Thouars (partition graphique de Perec jouée par le GRM), pièces diffusés dans l’ACR du 4 avril 1982 consacré à Perec.
2 Georges Perec, “Brouillon inédit” cité par David Bellos, George Perec, une vie dans les mots, Seuil, 1994.
3 Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Editions Christian Bourgeois, 1975.
On peut aussi écouter Georges Perec avec une parution en CD : Dialogue avec Bernard Noël, Poésie ininterrompue, Je me souviens (extraits), L’écriture des rêves, Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978, Coffret de 4 CD, Production André Dimanche/INA, 1997.
L’entretien avec Bernard Noël sur le projet Lieux, et sur les raisons de son abandon est passionnant.
merci N. pour cette trouvaille
on peut se procurer le coffret consacré à Perec ici
Entretiens avec Bernard Noël
l livre+4 cd
coffret éditions André Dimanche
L’ouvre de Georges Perec peut être considérée comme l’une des plus originales du XXième. Cependant nous ne connaissons pas sa voix, sa production radiophonique étant restée inédite jusqu’ici. Le coffret des éditions André Dimanche comprend :
1 – Entretien de Georges Perec avec Bernard Noël suivi d’une Lecture de textes par G. Perec. (Une selection de ses propres textes, mais aussi de textes de Michel Leiris, Harry Mathews, Jacques Roubaud, Italo Calvino, Raymond Queneau.,.
2 – Tentative de description de choses vues au Carrefour Mabillon, Le 19 mai 1978. Installé dans un studio mobile au Carrefour Mabillon, pendant plus de deux heures, Georges Perec va décrire à haute voix le spectacle de la rue, essentiellement la circulation des véhicules et des passants. Cette tentative de description d’un espace en temps réel met en forme la question qui anime le projet : Le Langage est-il capable d’épuiser un fragment du monde réel ?