Depuis une quinzaine d’années, des radios ont fleuri dans les musées et les centres d’arts en Espagne : au MACBA, le Musée d’Art Contemporain de Barcelone, au Musée Reina Sofía à Madrid, dans les Centres culturels de la Casa Encendida et du Círculo de Bellas Artes également dans la capitale. Toutes sont des webradios à la demande qui proposent des émissions sous forme de podcasts. Seule Radio Círculo diffuse en continu (streaming).
Quel que soit leur profil ou leur mode de fonctionnement, il s’agit de projets courageux qui investissent des territoires souvent délaissés par les radios publiques et privées. Évoluant au rythme d’internet, ces radios sont devenues peu à peu la mémoire sonore du lieu qu’elles habitent. Fragiles, elles survivent tant bien que mal à la crise, se réinventent constamment, portées corps et âme par des artistes, chercheur·se·s, journalistes et passionné·e·s, au sein d’institutions qui fournissent un soutien mais peu de moyens. Cependant, même à petite échelle, elles sont aujourd’hui les épicentres de la création sonore et radiophonique en Espagne. Quatre portraits à suivre sur Syntone.
4. La Radio de la Casa Encendida
La Casa Encendida (« La Maison Allumée »), baptisée ainsi en référence au livre du poète espagnol Luis Rosales, est un des grands centres culturels privés madrilènes ayant une large programmation de concerts, de projections, d’expositions et de conférences, une bibliothèque et un studio radio. Quand le centre ouvre ses portes en 2002, Toña Medina et Ángeles Oliva sont journalistes à Radio Nationale d’Espagne. La Casa Encendida leur semble un lieu propice pour créer la radio dont elle rêvent, comme le raconte Toña : « On voulait repousser les limites de l’outil radiophonique, en faire un moyen d’expression plus qu’un moyen de communication ».
À ce moment-là – et c’est encore le cas aujourd’hui – la radio en Espagne est surtout musicale ou informative. Le format de la « tertulia » (discussion informelle, échange d’opinions entre plusieurs invités autour d’un thème) est roi, ce qui offre peu de place à la création radiophonique. Toña Medina l’explique ainsi :
Il faut tenir compte du contexte historique : on vient d’une dictature. Quand au début des années 80 on retrouve une liberté d’expression, le besoin d’informer prend le dessus : on est dans l’actualité chaude, le point de vue, le débat.
Quant à la fiction radiophonique, qui a connu son âge d’or entre 1950 et 1970, elle est associée à des temps anciens et révolus. « Aujourd’hui, quand la radio publique produit de la fiction, ce sont toujours des adaptations de textes classiques. C’est difficile de renouveler le genre », explique Toña. « Et puis la fiction coûte cher, il faut du temps et des gens. »
Toña et Ángeles profitent donc du terrain neuf que leur offre La Casa Encendida pour lancer une émission hebdomadaire d’une heure, Cápsula, autour des activités du centre culturel. Elle se compose de reportages et d’interviews, mais aussi de micro-fictions, de paysages sonores et de sons tous azimuts, « on cherchait un ton ludique et décalé tout en étant exigeant et soigné », détaille Toña. En parallèle, les deux femmes s’investissent dans des projets plus personnels : Toña écrit et réalise la fiction Deluxe vuelve al pueblo. Hors studio, le duo présente des installations sonores et des radio-performances publiques comme Caben todos los ruidos.
Autre pilier de leur travail, les ateliers de création radiophonique, devenus un passage obligé pour toutes celles et ceux qui s’intéressent de près ou de loin au langage de la radio.
En quatorze ans d’existence, la radio de La Casa Encendida a beaucoup changé, au rythme des évolutions du web et des habitudes du public. Toña Medina : « Tout s’est accéléré. Actuellement, qui écoute une heure en continu sur internet ? ». L’émission Cápsula a été fractionnée en reportages courts que Toña et Ángeles produisent à raison de trois par mois environ.
Il en est de même pour les ateliers de création radio. « Avant, on animait des stages intensifs de 25 heures sur une semaine. Aujourd’hui, on se limite à des sessions de 3 heures. Les gens ne peuvent plus s’investir autant, leur vie s’est complexifiée, souvent ils doivent jongler entre plusieurs activités professionnelles. » Toña et Ángeles en témoignent elles-mêmes : « À cause des réductions budgétaires, on a perdu notre ingénieur du son, donc on s’occupe de tout à la radio, on est à la fois journalistes, techniciennes et community managers… femmes-orchestres en quelque sorte ! »
Une des principales évolutions de la radio a eu lieu en 2015 avec le lancement d’un nouveau site web, indépendant de celui de la Casa Encendida : 1 200 interviews en ligne retraçant toute l’histoire du centre culturel. « Ça permet d’avoir une vision générale, d’analyser ce qui nous préoccupait il y a 10 ans. Par exemple, comment on parlait de la crise avant et comment on en parle maintenant. »
Autre nouveauté : la radio a intégré des collaborateur·trice·s extérieur·e·s par le biais d’un appel à projets. Six émissions font désormais partie de la « grille » en ligne de La Radio de La Casa, dont les promenades sonores de Kamen Nedev dans Random Walk ou la série de fiction futuriste 2050. Autant de propositions qui ne trouveraient leur place nulle par ailleurs sur les ondes traditionnelles.
Seul hic, La Casa Encendida ne rémunère pas ces personnes. « On leur propose des contreparties : un accompagnement personnalisé, des conseils, de la formation », explique Toña, « mais, du coup, on passe à côté de propositions qui pourraient venir de professionnels ou de personnes en voie de le devenir ».
Le site web enregistre environ 3 800 visites par mois, « de bons résultats », estime Toña, « sachant qu’il n’existe que depuis quelques mois ». Avec cette nouvelle vitrine en ligne l’objectif est de faire à la Radio de La Casa Encendida une place sur la toile. « Cela ne suffit plus de réaliser une belle émission et de la mettre en ligne. Il faut constamment inventer de nouvelles stratégies pour attirer l’attention, pour capter de nouveaux auditeurs. Cela fait partie du marketing, n’oublions pas que nous restons le média de diffusion et de promotion d’une institution ! »
En conclusion à notre série sur les radios de musées et de centres d’art en Espagne, nous pouvons dire que ces quatre stations sont les points de ralliement des passionné·e·s du son en Espagne, qui circulent de l’une à l’autre en tant qu’auditeur·trice·s et/ou collaborateur·trice·s. Ces radios se connaissent et s’apprécient. Il y a déjà eu des initiatives communes comme l’échange de contenus entre les voisines Radio Círculo et Radio Reina Sofía. Cette dernière et Ràdio Web MACBA souhaitent également mettre en place un projet ensemble pour cette année 2016, rien de précis encore, les réunions sont en cours. Elles restent également des modèles pour de nouveaux projets comme la Radio Bib-Rambla liée au Centre d’art contemporain José Guerrero à Grenade. Si l’avenir est plus qu’incertain côté finances, l’énergie créative est bien là !
Découvrir les autres radios de la série :
- Ràdio Web MACBA, la radio du musée d’art contemporain de Barcelone
- Radio Reina Sofía, la radio du musée d’art moderne et contemporain de Madrid
- Radio Círculo, la radio du centre culturel Círculo de Bellas Artes de Madrid