Tapie entre Grenoble et Gap, Dragon « crache du son » sur la bande FM depuis l’été 2016. Préférant le faire-ensemble et l’autonomie, plutôt que le professionnalisme à tout prix, cette jeune radio veut être un outil d’expression accessible à toutes et tous. Reportage sur place.
Autoradio branché sur 104.4 FM, la descente du col de la Croix-Haute s’ouvre sur la large vallée alpine et rurale du Trièves. Vers l’est, le 96.8 FM arrose les pays de Matheysine, Valbonnais et Beaumont. Entre ces territoires peuplés d’environ trente mille habitant·es, coule le Drac, une rivière encaissée et impétueuse. Du latin draconis – dragon – c’est elle qui a donné son nom à la radio. Auparavant, ces mêmes fréquences diffusaient Radio Mont Aiguille, mais en 2013 RMA se tait définitivement. L’Association des Amis de RMA, montée deux ans plus tôt pour tenter de changer une gestion opaque, rêve alors de relancer une radio « par et pour les habitants »1. Après pas moins de trois années de persévérance, c’est chose faite sur les ondes.
Entre temps, l’équipe a fait « de la radio sans radio » en posant plateau et sono sur la place publique. Puis l’association a créé un « festival des savoir-faire radiophoniques ». En 2013 et 2014, celui-ci a rassemblé des radioteuses et radioteurs de tous lieux pour échanger sur leurs pratiques. L’occasion d’une vaste coopération à l’échelle locale : les habitant·es étaient sollicité·es pour héberger participant·es et ateliers ; des producteurs/trices locaux fournissaient repas et boissons. En 2013, le camion-studio de Radio Zinzine vient animer la place et les ondes de Mens. L’édition 20142 voit le lancement de Dragon en webradio. « Le festival a été l’occasion de former le noyau dur de vingt à vingt-cinq personnes qui portent la radio », expose Aude, force vive de Dragon. Depuis, il a été rebaptisé « rencontres radiophoniques » et s’organise à l’automne, porté par une radio différente chaque année3.
Il faut s’aventurer dans le vieux Mens, bourg de mille trois cents âmes pour trouver la maison de village transformée depuis octobre dernier en antre du Dragon. Le local consiste en une seule pièce au rez-de-chaussée, à la fois studio et lieu de vie ouvert sur la rue. Yves en pousse la porte pour la première fois. Accueilli par Léonie, l’une des deux salariées, il expose son idée d’émission : « Ça s’appellerait “Ça se passe chez vous”. J’irais chez les gens m’entretenir avec eux parce qu’ils ont toujours plein de choses intéressantes à raconter sur leurs expériences de vie ». Léonie s’enthousiasme à la perspective d’offrir ce temps de parole directe : « C’est complémentaire de Marc qui interroge les maires. Il y aussi une fille de 10 ans qui veut interviewer ses voisins ». Une fois qu’Yves aura prit son adhésion, à prix libre, il deviendra « porteur d’émission » et sera accompagné par les salariées et au moins un·e autre bénévole pour acquérir les compétences de prise de son et de montage. S’il le souhaite, il pourra aussi maîtriser la programmation et la mise en podcast de son émission. Léonie l’invite à participer au direct du soir même.
Chaque jeudi de 18h à 19h, Le cœur du Dragon donne des infos sur la vie de la radio et l’actualité locale. Ce soir là, Nathalie, l’autre salariée, est à la technique, Léonie, Marc et Cliff en coanimation. Yves présente son projet puis participe à la revue de presse et à l’agenda culturel. Nathalie et Léonie ne sont pas coutumières du micro ou de la table de mixage, les deux permanentes sont plutôt chargées de « favoriser la dynamique bénévole » selon les mots d’Aude. Avant qu’elle ne soit embauchée à l’automne, Léonie a été bénévole pendant un an. Quant à Nathalie, elle « n’avait jamais mis les pieds dans une radio ».
« On n’a pas souhaité embaucher de spécialistes sur qui tout pourrait reposer parce qu’ils maîtrisent l’outil, au risque que le bénévole se retrouve dépossédé plutôt que renforcé », argumente Aude. « Avoir le même niveau, que l’on soit salarié ou bénévole, offre la possibilité de chercher les solutions ensemble », poursuit-elle, en référence au Maître ignorant4 du philosophe Jacques Rancière. La priorité de Léonie et Nathalie est d’accueillir toute personne qui se présente à Dragon et de « faire que les bénévoles se sentent chez eux », aime dire Margot, autre artisane de Dragon.
Plusieurs niveaux d’implication sont proposés aux adhérent·es. Les « sympathisants » soutiennent moralement et financièrement. Les « actifs » sont impliqués dans la vie quotidienne de la radio mais pas forcément pour des tâches directement liées à l’antenne : « Pour que la radio fonctionne, ça passe par beaucoup d’autres choses que faire de la radio », détaille Aude. Ainsi, chaque action s’organise collectivement en commissions : programmation, technique, communication, salariées, administration, etc. Les grandes lignes sont débattues au conseil d’administration auquel « chaque habitant peut participer », renseigne Margot. Au cours d’une réunion de la commission salariées, Léonie et Nathalie énoncent le besoin de trouver des « personnes ressources » pour une « journée “petits travaux” ». Pas question « que ce soit les mecs qui bricolent et les meufs qui s’occupent des rideaux ».
On n’a pas souhaité embaucher de spécialistes sur qui tout pourrait reposer parce qu’ils maîtrisent l’outil, au risque que le bénévole se retrouve dépossédé plutôt que renforcé.
La lente maturation de Dragon a en partie été forcée par les délais administratifs. En juillet 2015, le CSA attribue les fréquences. Ce n’est qu’un an plus tard que Dragon débarque sur les ondes grâce à l’autorisation administrative de diffusion enfin délivrée. « Une chance qui nous a permis de réfléchir aux valeurs et au fonctionnement qui permet de garantir ces valeurs » relativise Claude, « actif » à Dragon. La radio veut désormais répondre à un autre défi : attirer au micro des personnes exprimant une « pluralité d’opinions et de centres d’intérêts », énonce-t-il. Pour que l’antenne ne soit pas que le reflet des sensibilités plutôt de gauche, anti-capitalistes et écologistes de ses actif·ves, l’équipe à d’autres bonnes idées. Chaque premier samedi du mois Le micro-ouvert invite les chaland·es du marché de Mens à s’exprimer sur l’antenne. Régulièrement, des ateliers de pratique radiophonique sont proposés, moyennant un prix libre. Ces démarches façon do it yourself (fais-le toi-même) seront-elles à même de faire venir des « porteurs d’émission » d’autres horizons ? L’expérience est en cours.
À écouter :
- Depuis juillet 2016, Radio Dragon s’écoute sur 104.4 FM dans le Trièves (Mens, Monestier-de-Clermont) ; sur 96.8 FM en Matheysine (La Mure), Valbonnais et Beaumont ; et partout ailleurs sur www.radiodragon.org.
- Prochain rendez-vous exceptionnel sur Radio Dragon, les 24 heures de la lecture : « Du vendredi 20 octobre 9h jusqu’au samedi 21 octobre 9h, le studio sera ouvert en continu et vous serez accueilli-e pour lire le texte de votre choix : un passage de roman, une recette de cuisine, un poème, une composition personnelle, un article de journal, un conte, un mode d’emploi de tronçonneuse, des petites annonces… le micro est à vous ! »
Notes :
1 À écouter : Radio Mont-Aiguille dans Les pieds sur terre, France Culture (Olivier Minot, 2014). Les Amis de Radio Mont-Aiguille, idem. 2 À lire : Juliette Volcler, Radio Dragon, tout feu tout ondes, Syntone, 2014, et Pierre Isnard-Dupuy, L’envol du Dragon, CQFD, 2014. 3 En 2015 par Radio Bartas à Florac (Lozère), lire à ce propos : Ariane Demonget, La radio par le faire : les rencontres radiophoniques de Florac, Syntone, 2015. En 2016, les rencontres ont été organisées par RDWA à Die (Drôme). Les prochaines seront accueillies au printemps 2018 par Radio Zinzine à Forcalquier (Alpes de Haute Provence). 4 Jacques Rancière, Le Maître ignorant, cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Fayard, 1987.