Portée par l’association culturelle Attention Chantier, La Radio des Foyers donne la parole aux habitants du foyer Bisson, une résidence de travailleurs migrants dans le 20e arrondissement de Paris. Une radio participative et citoyenne, imaginée comme un lieu de création et de débats, un véritable laboratoire de « vivre ensemble ».
Sortir la parole
La trentaine et les yeux qui brillent, Élise est une engagée multi-casquette : animatrice bénévole à la Radio des Foyers, elle travaille en parallèle dans la communication pour des ONG, donne des cours à l’université de la Sorbonne et dans une école de commerce. Elle découvre le foyer Bisson en 2011, lors du Festival de cinéma des Foyers organisé par Attention Chantier et le Collectif de sans-papiers du 17e arrondissement : « les foyers sont souvent des bâtiments très vétustes où vivent des centaines de personnes qui n’ont pas les mêmes droits que les autres locataires de France. C’est comme une prison enclavée dans la ville, qui n’a pas d’existence au-delà des murs » se souvient-elle.
Construits dans les années 1950 pour accueillir provisoirement la main d’œuvre étrangère, les 700 foyers qui existent encore aujourd’hui – la moitié en Île-de-France – comptent 140 000 résident·e·s officiel·le·s. L’envie de monter une radio, un média « simple et direct » émerge rapidement. « On s’est dit qu’il fallait faire sortir la parole de ces lieux clos. Les migrants sont jugés alors qu’ils n’ont aucun espace d’expression. C’est parce qu’on ne les entend pas qu’on les juge » explique Élise. « Avant d’être “migrant”, on est surtout un être humain, une personne qui a un droit d’expression à exercer. »
La radio est alors l’espace idéal pour raconter une autre histoire que celle écrite par les médias. « Et puis c’est un moyen de communication très répandu en Afrique de l’Ouest d’où est originaire la majorité des habitants du foyer. La radio c’est comme un pote, tu donnes rendez-vous à l’auditeur et ça laisse la place à l’imaginaire ». La Radio des Foyers est lancée en 2013, soutenue par la région Île-de-France et la Fondation de France. Les émissions sont diffusées en direct et en podcast sur le web pour toucher un public au-delà des murs… et des frontières. « On a souvent des retours de nos familles ou d’amis qui écoutent en Afrique. Au départ quelques-uns pensaient qu’on était payé pour parler à la radio » s’amuse un des bénévoles. « Certains sont sans-papiers et galèrent encore après plusieurs années. Ils n’osent pas toujours parler de leur situation personnelle à leur famille. La radio ouvre alors un autre espace de parole » confie Élise. Élaborées en équipe, les émissions créent une dynamique collective et un lieu où il est plus facile de parler ensemble des situations vécues.
Créer du collectif et du débat
Sénégalais d’origine, Sekou est arrivé en France aux premiers pas de la radio : « Je passais souvent au foyer Bisson où vivait des membres de ma famille mais je ne connaissais personne. » Il rejoint vite l’aventure : « C’était une manière de créer des rencontres, de pouvoir s’exprimer et partager ses expériences. Il y a aussi cette diversité, ce mélange : homme, femme, musulman, chrétien, noir ou blanc, la radio est ouverte à tout le monde… »
Dès le départ, les émissions sont enregistrées en public et diffusées dans le foyer. Revues de presse, reportages, chroniques, débats et interviews, les bénévoles s’emparent de toutes les formes. « Plus de cent personnes ont assisté à la première émission ! Tout le monde pouvait prendre la parole en levant la main. Le micro pose un cadre de respect, ouvre à la discussion et crée une certaine égalité. Chacun existe à travers sa voix, hors des stéréotypes » confie Élise. En 2013, en plein débat sur le droit de vote des étranger·e·s, le sujet est rapidement choisi par les bénévoles pour réaliser une émission sur les droits et les devoirs des étranger·e·s. « On a écouté des paroles qu’on n’avait jamais entendues. Beaucoup de bénévoles n’étaient pas pour le droit de vote, ça a créé des débats, un espace de discussion, à la limite de l’éducation populaire. C’est un de mes plus beaux moments de radio » se rappelle Élise, « la maman de la radio », comme la surnomment affectueusement les bénévoles. Elle récuse le terme en souriant : « Cette radio, c’est avant tout une véritable aventure collective ».
Partage et catharsis
« C’est vrai qu’on construit les émissions tous ensemble, chacun amène son petit truc ! » remarque Sidy. Bénévole de la première heure, le micro fut presque une catharsis pour lui : « C’était le seul moyen d’avoir la parole. Grâce à la radio, j’ai pu me libérer de beaucoup de choses que je gardais à l’intérieur et qui me pesaient énormément. » Actualité, culture, solidarité, citoyenneté, les émissions de la Radio des Foyers abordent avec curiosité toutes les thématiques. C’est aussi l’occasion de parler des services souvent méconnus destinés aux travailleur·se·s migrant·e·s et d’évoquer les trajectoires singulières d’immigration. « Je voulais raconter ce qui se passe quand on arrive en France : l’interdiction de travailler, les fouilles policières, la difficulté à trouver un logement, etc. Il faut que les jeunes qui sont en Afrique sachent cela. La situation n’est pas toute rose. Là-bas, quand on entend parler de la France, on dirait que tout est acquis » poursuit Sidy, régularisé il y a maintenant deux ans. Depuis le lancement de la radio, il a touché à tout : chroniqueur, animateur et « aussi un peu la technique ». « La radio m’a beaucoup apporté. j’ai appris énormément. Avant, je n’osais pas parler aux inconnus, c’est la radio qui m’a donné cette audace-là. » reconnaît-il. Animateur à la radio pendant plus de deux ans, Sekou ajoute : « Grâce à la radio, je me suis fait des amis, j’ai pu assister à des débats politiques, on a même rencontré Tiken Jah Fakoly pour la sortie de son album ! »
Ouvrir vers l’extérieur
En 2014, la radio élargit ses actions au-delà des foyers en gardant toujours le même objectif : donner la parole à des personnes invisibles et bien souvent inaudibles. Élise anime des ateliers d’expression et les conférences de rédaction. Sylvain, ingénieur du son et unique salarié à mi-temps, se charge de la coordination et des ateliers de montage et de prise de son. Les bénévoles se déplacent pour réaliser des émissions au centre social de Créteil, à la Maison des Métallos ou encore lors de la Nuit Blanche organisée par la Mairie de Paris. « Tout le matériel de la radio tient dans une malle. On peut faire une émission n’importe où dans le monde avec ça » lâche Élise.
Au printemps, la radio organise des Open Street Mic’. Le concept : poser un mini-studio mobile dans la rue, juste devant le foyer et lancer une libre antenne, avec une boîte à questions pour les passants et quelques invités comme le chanteur Smod, fils d’Amadou et Mariam, ou les coiffeuses africaines en grève du quartier Château d’Eau. « Ça a très bien marché, on était dehors, ouvert sur le quartier. La radio permet de sortir les voix et les corps des murs du foyer » souligne Élise.
Cette année-là, quatre bénévoles de la radio sont aussi formé·e·s au documentaire radiophonique par le collectif parisien La Fabrique documentaire, et en 2015 la Radio des Foyers est invitée à Brest au festival Longueur d’Ondes. « Cette année, le documentaire d’Adama Dao coréalisé avec Sidi, Ramadan une fête en exil a été sélectionné par le festival. C’est une certaine reconnaissance du milieu, on est super fiers » confie Élise.
Depuis trois ans, la radio parvient à mobiliser des résidents du foyer, un défi qui n’est pas toujours évident avec les situations parfois complexes que les résidents gèrent au quotidien : travail fatiguant et mal rémunéré, renouvellement de droit de séjour, allers-retours à la préfecture, etc. « Adama Dao, un des bénévoles historiques de la radio, a failli se faire expulser fin 2015 suite à des dénonciations. On ne vit pas tous et toutes les mêmes réalités » reconnait Élise.
Soutenue aujourd’hui par la Mairie de Paris et par la DRAC, la Radio des Foyers imagine aujourd’hui la suite de l’aventure à l’approche de l’année électorale de 2017. « On ne pourra jamais vivre ensemble si on ne se parle pas » lance Élise. Elle rêve de réaliser des émissions, autorisées ou non par la préfecture, dans les rues du 16e arrondissement de Paris, peu connu pour sa mixité sociale et sa diversité culturelle. « La radio pousse à se réapproprier l’espace public et c’est aussi une forme de désobéissance civile pour créer du débat. »
S’il n’existe pas d’autres modes de financement pour le moment, elle n’hésite pas à critiquer la mécanique et la vocabulaire des subventions institutionnelles : « Les gens doivent rentrer dans des cases alors que ce que nous cherchons à faire, c’est de décloisonner au maximum. Aujourd’hui, le système de subventions est très violent pour les “bénéficiaires”. Dans la Radio des Foyers, qui sont les “bénéficiaires” ? Je le suis autant que les habitants du foyer : j’ai tellement appris ! » défend-elle. L’équipe de la radio va prochainement construire une émission autour du terme « migrants », une étiquette « relativement déshumanisante et utilisée à toutes les fins politiques » reconnait Elise. Les émissions à venir évoqueront aussi les conditions de vie des foyers, les arrestations et les contrôles arbitraires sous l’état d’urgence.
Récemment, la radio associative parisienne Radio Aligre a approché La Radio des Foyers pour leur proposer un créneau hebdomadaire sur leurs ondes FM. « Nous sommes toujours ouverts pour diffuser plus largement nos émissions. Peut-être qu’à l’avenir on pourrait partager une fréquence avec d’autres associations ? » imagine Élise. Pour Sekou, « il faut continuer à faire connaître la radio aux habitants des foyers pour qu’ils s’expriment et à tous les autres pour écouter d’autres réalités ensemble. » Dans un contexte de stigmatisation des personnes immigrées et de raccourcis médiatiques, la Radio des Foyers fait ainsi émerger d’autres voix, d’autres regards. Une nécessité plus que jamais politique.
chouette expérience !