Mediateletipos, agitateur de sons

Mediateletipos.net est un blog incontournable en Espagne pour toutes les oreilles curieuses. C’est la seule publication en ligne qui depuis douze ans informe, analyse, critique, pense l’art sonore et l’écoute, l’activisme audiovisuel et les nouveaux medias. Créé en 2004, juste avant le boom du web 2.0, il est actuellement animé par un groupe de quinze artistes, chercheur·euse·s, pédagogues, passionné·e·s par le son et toutes ses résonances. Mediateletipos n’est ni un collectif, ni une association : ses membres vivent aux quatre coins du monde et ne se sont, pour certain·e·s, jamais rencontrés. Leur seul but est de partager avec la communauté de lectrices/teurs des outils, des ressources, de la matière à réflexion. Au fil des années, Mediateletipos est devenu la mémoire de l’art sonore en Espagne. Rencontre avec Blanca Rego, Mikel R. Nieto et José Luis Espejo.

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L’équipe de Mediateletipos.

Quelle est votre approche du son et de l’écoute ?

Mediateletipos ne produit pas de sons sauf dans le cadre de certains projets1, par contre nous écoutons sans cesse et nous en faisons l’écho dans nos publications. L’acte d’écouter n’est pas anodin, c’est déjà une démarche engagée. Nous vivons dans une société visuelle et surmédiatisée, donc choisir le son plutôt que l’image c’est déjà questionner notre société, nos politiques et notre culture. Les enregistrements sonores, à la différence des photos, nécessitent ce temps d’écoute. Ce « temps d’exposition » plus long nous permet de nous ouvrir aux autres et à l’histoire qui est racontée.

Nous sommes plus proches du son que de la musique, ce qui est aussi un choix politique. L’art sonore, la phonographie ou le noise n’ont pas grand chose à voir avec la musique au sens canonique du terme. Jacques Attali affirme que la musique est une restructuration capitaliste du bruit2. Nous sommes assez d’accord avec cette idée. Bien sûr, capter du son n’est pas toujours un geste subversif ! Il y a des travaux qui ont une intention documentaire ou naturaliste. Mais dans tous les cas, il est question de politique, qu’on en ait l’intention ou pas.

Concrètement que trouve-t-on dans le blog Mediateletipos ?

On trouve à la fois de l’information sous forme de brèves (d’où « teletipo », « télétype » du nom de l’appareil qui servait à relayer les nouvelles avant le fax et l’ordinateur) et des articles plus longs d’analyse et de critique. D’une part, nous partageons des contenus liés à l’actualité sonore en Espagne : concert, conférence, sortie d’un livre, lancement d’un appel à projet, etc.. Nous publions à la fois du texte, du son, de la vidéo, il n’y a pas de limite de format.

D’autre part, nous produisons des articles de fond directement liés à nos sujets de recherches ou aux domaines qui nous passionnent. Ces textes sont parfois regroupés sous forme de séries, comme celle proposée par l’artiste sonore Mikel R. Nieto sur les netlabels, ces labels musicaux qui distribuent de la musique sur Internet, ou encore Audiovisión de Blanca Rego sur les multiples connexions entre le visuel et le sonore, que ce soit au cinéma, dans la musique ou l’art en général.


Conférence sur l’histoire de Mediateletipos.net au Musée d’art contemporain de León le 20 septembre 2014,
avec Blanca Rego et Kamen Nedev.

Une des première thématiques abordées par Mediateletipos était celle des armes acoustiques avec  la série Sonic weapons. D’où est venue cette idée ?

C’était l’un des sujets phare de Chiu Longina, un des fondateurs du blog. Il est particulièrement intéressant de se rendre compte que, même si nous vivons dans une société de l’image, le son a beaucoup plus de pouvoir. Une image peut nous affecter au niveau émotionnel, psychologique ou intellectuel, mais pas au niveau physiologique ou neurologique. Le son n’est pas seulement perçu par nos oreilles, c’est une vibration qui traverse tout le corps, sans que nous en ayons conscience. En utilisant certaines fréquences ou intensités sonores, il est possible de générer une désorientation, des douleurs ou des nausées. Nous ne pouvons pas y échapper. Les oreilles n’ont pas de paupières, donc impossible d’arrêter d’écouter. Nous avons une relation de soumission au son, d’où l’idée d’en faire un outil de contrôle. Sur Mediateletipos, on trouve des articles sur les canons à son (LRAD) régulièrement utilisés par les forces de l’ordre lors de manifestations, ou bien sur le son comme intrument de torture.


Carte sonore du mouvement du 15-M.

Comment coordonnez-vous vos publications sur le blog ?

Nous ne fonctionnons pas comme un journal avec une ligne éditoriale. Personne n’établit de thème à l’avance et il n’y a pas de relecture des billets. C’est un accord tacite, une confiance entre nous. À partir du moment où nous partageons les mêmes affinités, nous ne nous posons pas la question de ce qui doit être publié ou non. C’est chaotique mais ça marche ! Si nous étions plus « organisé·e·s », il n’y aurait sûrement pas une telle diversité de contenus.

Le projet Yes We Klang3 par exemple, sur lequel plusieurs d’entre nous avons travaillé, a démarré de manière tout à fait spontanée. C’était le 15 mai 2011, au tout début du mouvement des Indigné·e·s [également dit « du 15-M »]. Quand des manifestations ont éclaté à Madrid, à Barcelone et dans d’autres villes espagnoles, nous avons tout de suite sorti nos micros. Nous ne savions pas ce qui allait se passer, mais nous voulions le faire entendre. Très rapidement nous avons partagé les enregistrements sur le blog et, en voyant leur nombre, Blanca a proposé de les regrouper sous forme d’une « sound map », une carte sonore interactive. S’il avait fallu que les membres de Mediateletipos s’assoient et décident qui allait ou non faire partie du projet, nous ne serions pas arrivé·e·s à temps ! Dans ce sens on peut dire que nous avons une éthique hacker : deux ou trois d’entre nous lancent une initiative et les autres suivent ou non. Pas besoin de tou·te·s y adhérer.

Le mouvement des Indigné·e·s a été très médiatisé, qu’est-ce que le son y a apporté ?

Dans un contexte de protestation, le sonore – avec les débats, les ambiances, etc. – est souvent plus informatif que le visuel. La plupart des médias collectaient des images et personne ne s’occupait du son. Pourtant il y avait des gens qui enregistraient les manifestations, les marches et les campements. Quand nous avons commencé à mettre en ligne les premières captations réalisées par des artistes sonores et des preneuses/rs de son, des non-spécialistes ont commencé aussi à nous envoyer des enregistrements faits avec leur smartphone. Donc Yes We Klang a servi non seulement à documenter l’événement du 15-M, mais aussi à faire prendre conscience à des gens qui n’avaient jamais eu spécialement de contact avec le son qu’il y avait quelque chose au-delà des images.

En douze ans, internet s’est transformé et propose toujours plus d’options pour partager du son et de la vidéo. Comment ont évolué les contenus publiés sur Mediateletipos au fil des années ?

Au départ, il y avait la nécessité de fournir aux lectrices/teurs des outils concrets : on trouvait encore peu d’information sur l’art sonore, comment on produit, comment on diffuse. Beaucoup de billets anciens fournissent donc des manuels sur des logiciels de montage et de mixage, sur la prise de son. C’est le cas de Soundscapes: manuales para hacer grabaciones de campo (Paysages sonores: manuels pour enregistrer sur le terrain), publié par Chiu Longina en 2006. Aujourd’hui il y a toute l’information possible et imaginable sur le web pour celui ou celle qui veut créer avec le son et l’image. Mediateletipos est donc passé à une phase de réflexion et d’analyse. Nous avons besoin de questionner nos pratiques et notre écoute, surtout en Espagne où l’art sonore est encore en marge. C’est ce que propose José Luis Espejo dans la série d’articles Estudios Sonoros, Sound Studies. Le monde académique commence à peine à s’ouvrir au son : il y a maintenant un Master d’Art sonore à l’Université de Barcelone et un Master de Composition électroacoustique à Madrid. Mais les travaux de recherche autour du son, comme ceux de María Andueza par exemple, passent inaperçus. Pour l’instant, nous restons des « électrons libres ».

Artesonoro.org

Autre branche importante de Mediateletipos, Artesonoro.org est un espace d’autopromotion et de diffusion de l’art sonore en Espagne et en Amérique latine. À la différence du blog, tout le monde peut publier sur Artesonoro.org après inscription. Actuellement, il y a plus de 3 500 utilisateurs/trices inscrit·e·s sur cette plateforme ouverte, mais de moins en moins d’activité. Il semblerait que les réseaux sociaux aient désormais pris le relais.

Notes :

1 Comme 108, un podcast qui contient des interviews d’acteur·trice·s de l’art sonore en Espagne et des pièces sonores anonymes ; ou Yes We Klang, une carte sonore interactive du mouvement des Indignés qui a eu lieu en mai 2011 en Espagne.
2 Jacques Attali, Bruits, PUF/Fayard, 1977.
3 Le titre fait référence au « Yes We Can » de Barack Obama. Là, il s’agit d’un jeu avec le mot allemand « klang » (sonner, résonner). Yes We Klang pourrait donc être traduit « Oui on fait du bruit « .

2 Réactions

  • Mouise Lichel dit :

    Hep !

    Pas
    « […] Concrètement que trouve-t’on dans le blog Mediateletipos ? […] »
    mais
    « […] Concrètement que trouve-t-on dans le blog Mediateletipos ? […] » !

    Merci de votre · A · T · T · E · N · T · I · O · N · · ! ·

  • Juliette dit :

    Arf ! Merci, c’est rectifié :).

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