Un œuvre qui hante chaque festival du genre (encore une séance d’écoute, à Bordeaux ce week-end), un nom qui revient dans toutes les conversations du milieu ~ même et surtout dans la bouche des jeunes créateurs et créatrices ~, une poignée de films, un événement en préparation à l’INA et, depuis quelques semaines, un « ouvrage définitif » au titre emphatique : Yann Paranthoën, l’art de la radio…
Sans vouloir porter ombrage à la qualité de l’œuvre ni à l’intégrité de la personne, on peut tout de même s’interroger sur le monopole pris par la figure du « tailleur de sons » dans l’histoire de la création radiophonique, et le consensus à son sujet.
Certes, nous sommes dans une époque particulièrement friande de destinées individuelles hors du commun et de figures exemplaires auxquelles s’identifier. Ainsi, Yann Paranthoën représente une certaine nostalgie du XXème siècle. Sa disparition en 2005, en pleine mutation technologique, est un adieu au siècle qui fut aussi celui du mythe de l’ascension sociale. Répétée à toute occasion, c’est une « belle histoire » que celle du documentariste breton : fils d’un tailleur de pierre de l’Île Grande, entré par hasard à la radio d’État comme technicien, puis, outrepassant les barrières hiérarchiques et corporatistes, il gagne ses galons de producteur de ses propres documentaires. Aucun autre « ouvrier » de Radio France n’a eu et n’aura jamais plus ce même statut extraordinaire qui lui a permis de bénéficier d’un studio à titre personnel et de signer son travail en tant qu’auteur. De son vivant, Paranthoën était déjà une exception. Peut-on bâtir un modèle à partir d’une exception ?
Par deux fois, j’eus la chance d’entendre Yann Paranthoën parler de son travail devant un public. La première était éblouissante. La seconde, décevante : il resservait le même discours, aux mots près, les mêmes mots qu’on retrouve d’ailleurs dans les propos publiés ici et là. Un discours coloré qu’il s’était bricolé par nécessité, lui qui n’était pas un intellectuel. Mais l’essentiel est ailleurs, car la question paradoxale que son message soulevait était :
Moi, qu’est-ce que je peux faire avec ça ? Il me parle de prise de son analogique, de souffle de bande, de toucher la matière, de montage au collant… mais je suis bien obligé de faire autrement, avec les techniques actuelles.
Alors, que signifie aujourd’hui l’aura de Yann Paranthoën ? Pourquoi nous manque-t-il ? Peut-être parce qu’à travers son opposition au passage obligatoire au numérique (au début des années 2000 à Radio France), il symbolisait une certaine conscience, une certaine intransigeance dont tous les autres auraient manqué (?), dont nous manquerions encore, face aux rouleaux-compresseurs de toutes sortes. Paranthoën était sans doute de ceux qui tiraillaient sans cesse face à l’âpre réalité de la radio mass-média, essayant de la tirer vers autre chose, de réaliser ses potentiels de moyen d’expression unique, comme d’autres il y a très longtemps l’avaient fait pour le cinéma. Cependant, dans les dernières années, Paranthoën s’était en quelque sorte placardisé lui-même, en refusant la diffusion de ses productions depuis que France Culture employait un compresseur d’antenne. Et cela n’empêchait bien sûr pas la machine de tourner, le rouleau-compresseur d’avancer.
Pour résumer, tâchons de ne pas enterrer avec Paranthoën l’âge d’or qui l’a fait naître et accompagné. D’autres figures méritent la lumière et resteront peut-être dans l’ombre. Plus encore, tandis qu’on canonise, on oublie de parler de l’attention, de la place, des moyens, qui sont de moins en moins alloués à la création ou, pour le dire de façon plus terre-à-terre et également moins emphatique, à cette valeur fondamentale sans laquelle les œuvres de Yann Paranthoën n’auraient pas été : le temps.
Hello Etienne,
Il y a peu, sur le forum d’arteradio, ce sujet a été abordé sur le fil de discussion dont je donne le lien ci-dessous:
http://www.arteradio.com/forum/posts/list/10100.page
Je ne vais donc pas reprendre ici les propos de ce fil mais simplement compléter en disant qu’aujourd’hui, ma passion pour le travail de YP ne m’empêche pas d’écouter avec un vrai plaisir le travail de Gilles Mardirossian (avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger un jour quelques propos sur YP) ou de Marguerite Gateau. Pour moi le plaisir du son radio ne s’est pas arrêté avec YP mais a réellement commencé avec lui (en tant qu’auditeur lambda de FC) et perdure à travers ces noms (je pourrai en citer une litanie mais ça fatigue…).Je dois ajouter pour être honnête que si je pratique en petit amateur la prise de son, c’est dû en grande partie aux facilités qu’offre le numérique. Voilà c’est dit :o)
PS: Syntone est vraiment une belle initiative (Ca n’a rien à voir mais ça me fait plaisir )
Merci de votre commentaire. Personnellement je ne connais quasiment pas les travaux de Gilles Mardirossian et Marguerite Gateau. Voudriez-vous nous les faire connaître ?
Peut être s’est il constitué un « mythe » autour de Yann Paranthoën, alimenté par un manque de reconnaissance de la radio en tant qu’ expression artistique. Mais que je sache, en quarante années de chef opérateur à Radio france, Yann est avec quelques autres producteurs un artiste authentique.
Bonjour.
Je suis d’accord avec vous sur la qualification d’artiste. Même si YP n’aurait sans doute pas employé ce mot, se retrouvant mieux dans le qualificatif d’artisan.
Intéressant, ce que vous dites. Le mythe aurait-il été engendré par le manque de reconnaissance ? Est-ce à dire que l’on mythifie aujourd’hui parce que l’on se sent pris par une responsabilité, voire sous le coup d’une dette ?
Pour ne pas alourdir inutilement ces commentaires, je me contenterai de citer « un immense fil d’une heure de temps » réalisé par Marguerite Gateau à partir d’un texte de Pierre Senges qui est un bon exemple de savoir-faire en matière de réalisation et pour ce qui est de Gilles Mardirossian, ses nombreuses participations aux ACR ( Ateliers de Création Radiophoniques de FC) .
De même, son nom est cité au générique en tant que réalisateur de certains sujets de l’excellente émission de Thomas Baumgartner « Les passagers de la nuit ». En outre, il est également compositeur et a présenté à Alfortville son opus nommé « Après le silence » qui est une exploration musicale ayant pour thème le génocide des Arméniens.
Je pense que l’idéal est de se promener au gré des pages du site de FC pour mieux découvrir ces réalisateurs.
En espérant que ces quelques lignes donnent envie au lecteur de mieux les connaître.
Amitiés
Merci pour ces références. Qui posent une nouvelle fois la question de l’accès aux archives.
PS: Et puisque j’ai le plaisir de lire ci-dessus un commentaire de Michel Creïs allez donc lire ce bel article qui lui est consacré sur un blog.
http://llibertposterestante.blogspot.com/2009/08/la-radio.html
Plutôt que d’établir une liste de noms, d’héritiers ou de dissidents, il serait utile de commencer à penser collectivement ce qu’a été l’apport de Yann Paranthoën à la radio, effectivement comme art, c’est-à-dire, d’expression mûe par autre chose que la communication d’informations utiles dans l’instant ou le besoin de revenus qui conduit souvent – et c’est bien normal – à faire n’importe quoi dans n’importe quelle condition…
Ce livre publié par Phonurgia Nova dont je suis l’initiateur et l’auteur d’un assez long essai qui m’a pris quelques mois de dur labeur (faut toujours faire gaffe aux mots, et à leur assemblage, en cette époque où on les balance sur le net à toute allure, sans se relire, comme dans l’espoir d’un oubli immédiat), vous n’en avez manifestement pas pris connaissance. C’est dommage, car vous auriez pu en faire une critique constructive. Ou vous apercevoir que cette affaire de mythification, je la combats, de mon côté, avec vigueur. Ou que la frontière entre « artiste » et « artisan » est bien poreuse, etc, etc. Mon ennemie principale, c’est bien la nostalgie. Je préfère penser en terme de mélancolie, ce qui n’a vraiment rien à voir.
Yann, pour moi, est de venu « le fantôme de l’atelier ». Mais il faut bien saisir que cet atelier-là n’est pas l’ACR historique dont on aurait quelque nostalgie, mais celui commun aux écrivains, aux peintres, aux auteurs de bande dessinée, aux cinéastes, etc, et bien entendu aux auteurs de radio, ceux qui cherchent à s’exprimer avec les moyens du bord – qui ne cessent – certes – de changer (mais l’éthique reste la même, la passion itou…)
Alors, prenez le temps de lire, ça ne peut pas faire de mal, même en ce début de faux vingt-et-unième siècle où l’écrit est malmené avec une rage cynique par les puissances officielles, totalitaires, qui préféreront toujours ce qui s’évaporeaussitôt des écrans à ce qui résiste…
Bonjour.
Mon article n’est ni une attaque contre le livre « Yann Paranthoën, L’art de la radio », ni contre vous, Christian Rosset. Je ne sais pas pourquoi vous vous sentez agressé, mais la raison est à chercher ailleurs. Vous m’accusez de ne pas avoir lu votre texte, c’est assez désagréable, mais je comprends que vous auriez sans doute voulu que j’y lise autre chose. Sans rentrer dans les détails d’une critique que vous ne trouveriez peut-être pas constructive, je peux vous dire que, quelles que fussent vos intentions et que vous le vouliez ou non, il est certain qu’un ouvrage comme celui-ci participe à ce phénomène autour de la personne de YP ~ que j’ai appelé mythification ~, qui me pose question ~ peut-être pas à vous et c’est votre droit ~ et c’est cette interrogation que j’ai souhaité partager… Mais c’est pas grave, j’allais dire, car on peut apprécier ou non votre texte, ce n’était pas le sujet de mon article.
Ceci dit, je peux certes recommander aux lecteurs qui s’intéressent à Paranthoën de lire votre texte. Pour ma part, je l’ai lu et ~ chacun son truc ~ j’en apprends davantage à l’écoute des pièces d’YP et de ses propos. Cela n’empêche en rien que votre exercice est louable. Quant au « débat » sur l’écriture, je pense qu’on peut écrire des choses tout à fait intelligentes sur internet comme dans les vrais livres, et que ça ne fait pas de mal, dans un cas comme dans l’autre, de ne pas se prendre trop au sérieux.
Oh non, je ne me sens pas agressé. Ce n’est qu’une conversation à distance. Rien d’autre. Disons que ce qui pourrait m’intéresser, c’est un échange critique précis. Tout ça est intéressant, louable, mais un peu trop vague, finalement. On comprends bien la démarche, elle n’est pas inintéressante, elles est sans doute utile, mais c’est trop bref, on est un peu frustré. Quant à Paranthoën, ni vous, ni moi, n’avons le moindre pouvoir d’empêcher qui veut en faire un mythe de s’embourber la-dedans. Faire un livre sur lui, ce n’est pas renforcer ce mythe, mais, justement, l’interroger. Je serai le premier à me mettre à l’écart d’une entreprise de my(s)tiification et à en ricaner dans ma barbe. Certains, dans ce livre, sont plus dans la communion et l’adoration de Yann que moi, mais rien n’est vraiment grave. Ce qui m’intéresse chez Yann, c’est ce qui n’est pas facilement saisissable, ce qu’o ne peut circonscrire en deux phrases, notamment son caractère inactuel.
Et à propos d’Internet, je m’en sers, comme tout le monde, à longueur de temps. Je vais plus souvent y faire mes emplettes que je ne prends le temps de pisser. Je ne dis pas que l’on ne peut rien y dire. Mais, c’est sûr, il y a une telle inflation de propos rapides qu’il faut passer des journées entières à faire le tri pour y trouver son bonheur alors qu’on devrait plutôt les passer dans les arbres.
Bonne continuation !
Il y a peut-être un malentendu sur l’usage du mot mythe. Je le prends au sens littéral, ancien du terme, et, par conséquent, mythification n’induit pas (forcément) mystification. L’idée lancée par cet article n’est pas de dénoncer le mythe, mais de le constater, de s’interroger sur ce qu’il nous raconte et sur ce que nous désirons nous raconter à travers lui.
OK! Je commence à comprendre. et je suis loin, depuis le début, d’être en désaccord avec tout (c’était surtout cette phrase: « Yann Paranthoën représente la nostalgie du XXème siècle » qui m’avait fait tiquer. Mais la commenter demanderait trop de signes, donc de temps). Alors, il va falloir continuer à interroger tout ça. Sérieusement (c’est à dire sans se rendre au sérieux, mais avec la plus grande acuité). Mais un blog est-il le lieu idéal pour ce travail gratuit et pas facile ?
N’étant pas auditeur de France Culture, né à la toute fin des années 70 et travaillant au sein de Radio France, j’avoue n’avoir jamais connu que le mythe qui l’entoure. C’est finalement avec l’arrivée d’Arte radio (à mon avis la véritable descendante de Paranthoën) que cette forme de réalisation m’est devenue familière.
J’aimerai dire que si on souligne souvent la qualité de son travail d’un point de vu purement technique, puisqu’il venait de là, c’est bel et bien sur la forme et le fond qu’il prend toute sa dimension.
A mon sens la numérisation n’est en rien le responsable de la disparition de ce type de création, mais il faut plutôt regarder du côté de la normalisation des contenus et de leur forme, ainsi que du coté de l’augmentation de la capacité de production des individus qui a pu sévir au sein des médias ces dernières années.
Et puisqu’il est question ici d’un être complet, technicien performant voulant dépasser son domaine de compétence pour s’attaquer à la réalisation et à la production, je ne peux m’empêcher de dire que les générations à venir, d’emblées plus polyvalentes, n’attendent qu’une chose, qu’on leur permette d’éclater les carcans !
Bonsoir et merci de votre commentaire. Je pense que vous touchez juste, en parlant d’Arte Radio. Pas de musique, les sons comme éléments narratifs à part entière, la voix intime, l’attention au silence… Demandez à Christophe Rault, maître à penser du son de la webradio d’Arte, ce que Paranthoën représente pour lui… ;) À mon avis, le travail d’Arte Radio, qui est surtout écouté par les jeunes générations, joue pour beaucoup dans l’intérêt renouvelé à ce type d’expression radiophonique.
Pour avoir écouté attentivement le propos de Paranthoën que je publie aujourd’hui sur mon blog et que l’on doit à Phonurgia nova (http://radiofanch.blogspot.fr/2016/02/yann-paranthoen-et-la-radio.html), je dirai qu’il est intéressant de lire tout ce que « vous » écriviez ici il y a six ans. Pour autant je pense que la recherche de Yann et ce qu’on voudrait bien en « tirer » se conjugue au présent, et même au présent avec la « contrainte » du numérique. Sa pensée (son action) permet de formaliser une « expression artistique » qui devrait avoir (encore) toute sa place à la radio publique. « Remettre en avant » le tailleur de son, penser le diffuser et le faire connaître, serait aussi inciter les « mécaniques infernales » qui régentent les programmes et la création radiophonique de la radio publique à accepter de faire un pas de côté.
Je vis Yann Paranthoën au présent et l’imagine bien dans un futur très proche.
On écrit toujours dans son époque. Ajouté à cela d’autres contingences, son parcours, son entourage, son humeur. D’accord avec toi pour « actualiser » Paranthoën aujourd’hui :-)