Le futur de la radio sera-t-il sonore ?

Cela fait un moment (10-15 ans !) qu’on présente la radio devant un changement majeur. Dominée et parfois assujettie à la télé, la voici (dit-on) défiée par internet, face au tournant multimédia. Dans la bulle professionnelle certains paniquent, d’autres veulent « filmer la radio » et personne ne sait vraiment où tout cela nous amène.

La numérisation et l’internet (écoute en ligne, archivage des émissions, baladodiffusion) ont déjà transformé les modes de réception de la radio, les gens ont donc modifié leurs habitudes d’écoute, mais peu de producteurs ont changé leur façon de faire de la radio. C’est surtout que pas grand monde ne le leur demande, en particulier au sein des radios traditionnelles. Il n’y a que les nouveaux venus (nouveaux producteurs et nouvelles radios) qui pensent et font différemment. Par exemple, le format long n’est plus le seul possible. Les formats courts sont devenus appropriés pour des moments d’écoute plus segmentés. Le découpage en feuilleton ou en série est intéressant pour des types de narration telles les enquêtes par exemple, ou pour couvrir des sujets par différents approches ou points de vue. Aujourd’hui, n’importe quel programme radio peut devenir instantanément une pièce d’archive, alors faut-il continuer à faire de la radio comme si c’était toujours éphémère ?

(cc) Mike Licht - flickr

(cc) Mike Licht – flickr

Depuis que la radio est arrêtable, rembobinable, réécoutable à la demande, depuis que chaque programme peut se matérialiser sous la forme d’un fichier audio individuel sur le disque dur de l’auditeur, il n’est pas faux de considérer les programmes de plus en plus comme des œuvres et leurs producteurs comme des auteurs ou des artistes. Comme partout dans la société, la radio s’individualise. Les producteurs·trices travaillent freelance, ils·elles pigent pour différentes stations, créent leurs propres espaces personnels sur le web et parfois diffusent eux·elles-mêmes leurs productions. Ce sont des sociaux net-workers. Un jour auditrices ou auditeurs, le lendemain professionnel·les. Dans leurs œuvres, la première personne s’affirme. À l’avenir, ils·elles devraient exiger davantage de droits et de liberté de création.

Ajouter de l’image et de l’hypertexte au son ne réinventera pas la radio. Mais plus important encore, il faut espérer que les producteurs auront toujours le choix de se concentrer sur leur travail sonore, plutôt que de perdre du temps à prendre (ou à se soumettre à) de mauvaises images simplement parce que leur employeur l’exige. Bien sûr, un programme radiophonique peut être approfondi par d’autres documents, mais cela doit être fait avec les compétences adéquates et en laissant le son au centre. Ou bien ce n’est plus de la radio. Mais quel intérêt les radios auraient-elles à devenir totalement multimédia ? Elles risqueraient surtout d’échouer face à une concurrence plus habile.

Par conséquent, il faut espérer que la radio jouera la carte de l’amélioration de la qualité sonore.

Pas la qualité d’écoute (pas seulement), mais la qualité de l’écriture sonore. N’est-ce pas la spécificité du savoir-faire radiophonique ? Bien sûr, comme tout le monde sur internet est multimédia, les radios veulent de l’image et du texte sur leurs sites et leurs applications web. Mais n’est-ce pas absurde qu’un internaute ne tente pas l’écoute d’un programme simplement parce que l’illustration ou les quelques lignes de présentation ne sont pas assez attrayantes ? Alors probablement que les radios devraient trouver de nouvelles façons de mettre le son en avant (ce qui demande à maîtriser le puissant pouvoir de diversion de l’image), guider l’internaute vers l’écoute, créer de nouveaux canaux audio en quelque sorte. Et ~ encore une fois ~ faire confiance au son. Si les radios donnent à l’auditeur accès à de l’image et du texte, alors elles peuvent libérer le son de toute information inutile. Autrement dit, changer le contenu plutôt que le média.

Ou bien serait-ce déjà trop tard ? Ce désir de média spécifiquement sonore est-il totalement obsolète, datant d’un temps révolu où il ne l’était que « par défaut » ? Ne faut-il déjà plus attendre cela des radios traditionnelles qui, en concurrence avec les autres médias (télévision, presse écrite), jouent à l’apprenti sorcier multimédia ?

11 Réactions

  • ALiCe__M dit :

    Merci pour cet article. Je crois qu’on aura toujours besoin de radio. Mais, comme vous l’écrivez très bien, le fait de savoir que toute émission peut devenir archive dans l’heure qui suit, métamorphose grandement la nature de la radio, aussi bien aux yeux de ceux qui la font, qu’aux oreilles de ceux qui l’écoutent.

  • Robert dit :

    Etienne,

    On est assujetti à

    pas

    On est assujetti par

    Ceci n’est pas un commentaire publiable ;-)

    • Syntone dit :

      Commentaire publié instantanément, grossière erreur corrigée deux jours après. Merci de votre vigilance. Ça sonne mieux en plus, étrange, non ? ;)

  • Michel Créïs dit :

    Bravo. Je suis en TOUS points d’accord avec vous.

    Il serait bien que la direction générale ainsi que les différents dirécteurs(trices) des différentes chaînes de Radio France lisent cet article, plutôt que d’avoir pour seul souci et perspective la « convergence numérique » ! La tarte à la crème du multimédia.

  • Jerome R dit :

    C’est fou comme il y a des similitudes entre les resistances frileuses des « radios » aujourd’hui à vouloir modifier les façons de faire et les erreurs passées de l’industrie musicale face à la numérisation de la musique…Je suis tout à fait d’accord avec vous qu’il est nécessaire de replacer l’individu au centre du médium, en même temps ça va se faire tout seul de toutes façons…
    Merci pour ce post en tous cas et réécoutons :

    http://www.franceculture.com/emission-le-champ-des-possibles-qu-entendra-t-on-a-la-radio-dans-vingt-ans-si-elle-existe-encore-201 

  • Simon dit :

    Cela fait cinq ans maintenant que l’atelier des médias a adapté sa production à l’ère numérique, le tout en alternant les écritures radiophoniques, plateau participatif, reportage, chronique.

    Il faut econnaitre tout de même que le contenu audio reste un contenu peu cliqué, moins que la vidéo bien sûre mais moins attirant qu’un article parce que comme un livre il demande du temps. Les gens dont la sensibilté est auditive reste tout de même minoritaire dommage pour les autres ;-)

    J’apprécie ce que fait Damien Van Achter qui utilise Audioboo pour exprimer, sous l’émotion, ce qu’un tweet ne pourra jamais transmettre. J’aime Soundcloud et pense que ce devrait être le standard du son radio sur internet (commenter par rapport à un moment précis de la conversation ou du reportage). 

    L’arrivée des caméras en radio ne m’attire pas plus que ça, mais ne me parait pas toujours illégitime. Quant à la qualité de l’écriture sonore, il  me semble que les codes doivent être réinventés, l’influence des pionniers pèse trop lourd sur les épaules des jeunes créateurs qui ont du mal à sortir des clous.

    • Syntone dit :

      Merci Simon pour ton commentaire, c’est très instructif de connaître l’usage qui est réellement fait des différents médias que vous employez pour l’Atelier.

      Tout à fait d’accord avec toi à propos d’Audioboo et Soundcloud, qui restent des médias… sonores ! J’apprécie moi aussi la possibilité qu’offre Soundcloud de poster un commentaire à la seconde près, et je ne comprends pas que les radios ne se soient pas déjà emparées de ce truc.

      Quant à l’écriture sonore, de quels pionniers parles-tu ? Ce que j’entends partout, c’est plutôt l’influence de la radio d’info. Rien que la manière de poser la voix. Je suis tombé par exemple sur un reportage de Pierre Breteau, un jeune journaliste que je ne connaissais que par Twitter où il est suractif, et drôle et incisif. Dans le son, on n’entend rien de tout ça, mais l’éternel stéréotype du journaliste radio interchangeable.

      À suivre…

  • Florence dit :

    « Depuis que la radio est arrêtable, rembobinable, réécoutable à la demande, depuis que chaque programme peut se matérialiser sous la forme d’un fichier audio individuel sur le disque dur de l’auditeur, il n’est pas faux de considérer les programmes de plus en plus comme des œuvres et leurs producteurs comme des auteurs ou des artistes.  »

    OUi mais depuis que les radios ont réalisé le pouvoir des programmes courts, elles nous demandent de plus en plus de faire du réchauffé.. du rapide à produire, de l’efficace… on est bien loin de la conception d’œuvres sonores. Qui sont les radios qui permettent la diffusion de véritables œuvres radiophoniques aujourd’hui ? A part un peu Culture et très legerement Inter…
    Entre le pouvoir de l’image et l’accélération de la consommation médiatique, l’art a été totalement mis de coté…
    Et c’est bien dommage parce que j’y vois un véritable avenir…

    • Syntone dit :

      « Qui sont les radios qui permettent la diffusion de véritables œuvres radiophoniques aujourd’hui ? » Il y a aussi un certain nombre de radios associatives.

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