« C’est un voyage perceptif que j’ai entamé » : recension de « Tout ouïe »

La journaliste et chercheuse Anne Gonon, spécialiste des arts de la rue, vient de faire paraître Tout ouïe – La création musicale et sonore en espace public, un ouvrage qui questionne le rapport entre le son, le territoire,  la création et le public – et le rôle de l’écoute dans la société contemporaine.

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Tim Pierce, « Listen », Creative Commons by.

« Résultant d’un long travail de recherche consacré à la réception, le point de vue ici privilégié est celui de l’auditeur, de celui qui reçoit. » : cette phrase d’Anne Gonon dans l’introduction du livre résume ce qui fait toute la force de ce dernier. Ni synthèse universitaire ni essai journalistique, Tout ouïe se lit comme un recueil d’expériences d’écoutes, comme le récit d’une auditrice passionnée qui a prolongé et amplifié le geste d’écouter par un travail de documentation. L’écoute étant singulière, sa narration est parsemée d’autres narrations, celles de journalistes et de critiques, qui transforment la lecture en une déambulation presque physique à travers les arts musicaux et sonores dans l’espace public en France : fanfares, concerts in situ, théâtre sonore, promenades audio, installations… Les phrases des un·e·s et des autres résonnent comme autant d’échos d’expériences aussi bien intérieures qu’extérieures : « Deux ans plus tard, les instruments ont disparu, mais ils semblent avoir laissé une empreinte dans ce paysage toujours lunaire. »« Lorsque je repasse les grilles pour quitter Jussieu, je ne suis pas la seule à les tapoter. » – « Vous croyez vraiment qu’ils captaient nos pensées ? – Euh, non, je crois que c’est du théâtre. – Ah oui, vous avez raison. Je me disais aussi. »« Dans les écouteurs, le vieil homme raconte sa passion pour les jardins ouvriers lorsqu’on aperçoit au détour d’un champ un septuagénaire courbé bêchant sa parcelle. Est-ce lui ? »

« Pourquoi ressentez-vous le besoin d’accumuler une telle matière ? – Je n’ai pas envie de rester ignorant. », répond le compositeur Nicolas Frize dans l’un des entretiens avec des artistes qui entrecoupent l’ouvrage. Cela pourrait également caractériser la démarche d’Anne Gonon : proposant un état de l’art sonore dans l’espace public, l’ouvrage donne à percevoir la grande diversité des propositions créatives de ces dernières décennies, mais aussi des réflexions philosophiques, historiques et critiques propres à l’environnement, au paysage et à l’art sonores. Ces références – dont on regrette parfois de ne pas pouvoir tirer davantage les fils, la déambulation primant sur l’approfondissement – permettent de contextualiser les créations musicales et sonores et d’éviter les descriptions simplement promotionnelles. L’autrice choisit d’opérer une sélection positive de productions qui ont retenu son attention (plusieurs émanant de l’un des co-éditeurs et acteur central de ce champ d’action, Lieux publics) et, à travers elles, de soulever les tensions entre choix techniques ou technologiques et visées artistiques, de dessiner l’évolution des pratiques, de questionner le rapport au public. Se plaçant résolument du côté d’un art non consumériste et pas uniquement ludique, Tout ouïe se veut un manifeste pour la création comme moyen de redonner corps à l’espace public et pour l’écoute comme outil de transformation politique et philosophique : « La focalisation sur l’ouïe bouleverse toute notre grammaire de la perception, profondément dominée, on l’a souligné, par la vue. (…) La redistribution sensorielle fonctionne comme un révélateur du monde. Et met en lumière combien notre relation perceptive est anesthésiée et neutralisée la plupart du temps. »

 

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