Utopie Sonore : du peps dans la création

Le petit monde de la radio indépendante se situe dans des recoins pas toujours faciles à (faire) reconnaître. Une rencontre de trois jours à la fin de l’été a démontré que ces recoins peuvent être accueillants et créatifs. Rassemblant plus de 110 participant·es les 26, 27 et 28 août 2016 dans un manoir angevin, Utopie Sonore a été organisée de manière humble et humaine, à l’image du collectif qui en a eu l’initiative : le Bruitagène. Impressions.

Dans un domaine quelque part au milieu du triangle Nantes-Angers-Rennes, vous trouverez un champ, un petit étang et une enceinte de pierre qui s’est moulée en lieu de rendez-vous de celles et ceux qui voulaient clore l’été en création radiophonique. L’événement portait un nom qui interpelle : « Utopie sonore ». C’est en arrivant qu’on y a découvert le menu : « Prenez-vous en main, on va vivre ensemble pendant trois jours et, surtout, venez avec ce que vous avez ». L’invitation se voulait donc ouverte : « bidouiller » de la radio suffisait pour participer. L’envie d’organiser cette « colonie de vacances bordélique et acousmatique » [lire notre article pré-événement en mars dernier] est partie d’un manque quelque part, d’une frustration diffuse qui se manifestait particulièrement en retour de festivals (de radio) : insuffisance d’échanges de pratiques avec d’autres personnes engagées dans le monde de la création radiophonique, manque de temps, difficultés à trouver sa place dans le milieu de la radio.

Dans la cour du manoir, un tapis, un programme plié. Photographie : Bastien Brillard

Dans la cour du manoir, un tapis, un programme plié. (Photo Creative Commons BY-NC : Bastien Brillard)

De 25 à 45 ans, avec une majorité de femmes, elles et ils étaient venu·es de tous horizons géographiques. Auditrices/teurs assidu·es ou travailleur·ses de radios associatives, celles et ceux qui font tourner les émissions de création sonore de ci, de là, musicien·nes électroacoustiques, documentaristes, médiactivistes… du plus usuel au plus expérimental.

L’équipe nantaise du Bruitagène a déniché l’inespérée amphitryonne, qui a ouvert son chez-soi à la centaine de personnes de passage ou en camping, sur les trois jours : Geneviève, propriétaire du manoir de la Cour des Aulnays, ses chiens, ses chats et sa truie vietnamienne. La description est un peu idyllique, mais il y avait une utopie à réaliser, et cela inclut les tours de vaisselle, les rendez-vous café-épluche du matin, le vidage des toilettes sèches et le portage de l’eau, pour la douche, au soleil. Cette planification, plutôt pas consumériste, a apporté du charme à la rencontre.

Pour le paysage, cela donne : un espace sur le tapis devant la maison destiné au studio mobile de la webradio itinérante Friture, des ateliers au frais dans la chapelle remplie de canapés sur terre battue, les dépendances autour du manoir arrangées en grande salle à manger, d’autres salles pour les ateliers de musique. Avec, toujours, toujours, une radio qui grésille et quelques personnes autour, dans la cour.

Des créations collectives

Et de une : la Radio Couse Main, ce joyeux attroupement de volontaires qui n’ont que leurs voix et corps à disposition pour proposer une émission en direct [lire notre article La radio mise à nu par ses voix, même, par Juliette Volcler, octobre 2015], a constitué un nouveau collectif à la Cour des Aulnays : tenant lieu de rideau acousmatique, la porte coulissante d’une étable a même failli se décrocher pendant la performance nocturne. Côté public, on entendait les sons, les voix, on voyait les pieds, les jupes, les chaussettes danser sous la porte. On a même découvert un talent, une slameuse que l’on ne connaissait pas. L’ensemble, d’une belle couture, est en ligne.

Et de deux : « Qui est Robert ?  Votre mission : cinq minutes de son brut pour y répondre, vous avez jusqu’à vendredi 22h33. » Certain·es d’entre nous ont reçu ces petits messages sur papier, arbitrairement choisis pour résoudre un mystère, collecter des indices, du son sur l’identité de cet homme. Personne n’a suivi la chaîne de fabrication de A à Z : les sons, une fois récoltés ont été pris en main par d’autres, trois réalisateurs dont nous avons écouté le travail ensemble dans la cour de la ferme, le dimanche soir. Sans vraiment le savoir, nous avions créé une pièce sonore dévoilant une histoire toute personnelle des lieux où nous nous trouvions.

Et de trois : « Ramenez des sons de lutte » nous avait proposé Utopie Sonore à l’heure des invitations. Sons issus du réel, luttes de tous poils, au-delà de la dernière, la période de Radio Debout et de l’opposition à la « loi travail ». De cette matière, il s’agissait de faire un pas vers la fiction autour de l’expression « la présidentielle n’aura pas lieu », variante sonore de la proposition littéraire du webzine Lundi Matin. La pièce produite part sur une voix, féminine, posée : « Tu vois, au milieu d’une rue, y avait plein de gens, ils répétaient des trucs, c’était comme des incantations ». L’atelier a fonctionné comme le précédent : fabriquer une pièce sonore sans jamais avoir la main sur toutes les étapes. Le tout était encadré par un réalisateur radio dont le but était de montrer au groupe comment il abordait un montage dans son quotidien, mais surtout pour le réaliser ensemble : étonnamment, les décisions à vingt-cinq ont été prises de manière fluide, quand bien même ces personnes n’étaient pas toujours les mêmes d’un jour à l’autre. Le travail est collectif sous tous ses aspects, la matière sonore fournie par l’ensemble des participants d’Utopie Sonore, les voix, celles des comédiennes présentes aux rencontres, et le texte, une écriture à six mains, soumise au collectif.

C’est peut-être ce qui manque à la radio : les moyens et le temps d’expérimenter ensemble. Le relâchement de fin d’été et la fraîcheur d’un rendez-vous pas écrit d’avance a donné de magnifiques moments, des expériences à refaire, riches d’enseignement, pas d’égo renâclant pour défendre une idée. À conseiller à tous les producteurs et productrices de radio, de tous bords.

Vidéo : Béatrice André, sur un extrait de la performance de la Radio cousue main.

Une programmation souple et ouverte

Le cadre ouvrait ce possible : moulé à l’image des participant·es, qui à leur tour ont mis leur patte, et construit la flexible programmation proposée par le Bruitagène. Les échanges ont surtout tourné autour des pratiques : entre autres, l’atelier « La radio pour parler du travail », à partir de l’expérience de l’émission La parole au travail, diffusée sur Radio Grenouille. Et de techniques, abordées dans autant d’ateliers différents : la prise de son en stéréo, la prise de son binaurale et le micro panoramique, la fabrication de bonnettes anti-vent faites maison et de micros contacts, la découverte d’un logiciel (Usine)… toutes proposées par divers·es participant·es, temps d’échanges qui se sont ajoutés spontanément au programme.

Dans un courriel à la rentrée, l’équipe d’Utopie Sonore s’est émue de l’émulation rencontrée : « Nous sommes ébahis du résultat. Vous avez fait plus que jouer le jeu, vous l’avez inventé à multiples facettes. Les possibles éclosent et vous en avez été l’essence. Merci beaucoup à votre inventivité, à votre sérieux, à votre aisance, à votre humour, à votre talent, aux monteurs, aux retardataires géniales, aux voix,  aux rédacteurs, aux pieds dansants sous la porte, merci à ceux qui parlent et ceux qui regardent, merci de votre écoute. »

Malgré la somme de stimulations sonores de l’événement, les retours critiques réclament, eux, plus de temps d’écoute. Ne pas surcharger un programme permet toutefois de faire les choses avec le temps et de privilégier les échanges. L’événement a généré une masse de travail exponentielle à l’équipe organisatrice, sur un événement financé par l’unique pré-réservation des repas par 90 participant·es. C’est cette idée qui a pris le relais sur celle d’un financement participatif qui, elle, a sauté en cours d’été. Pas d’utopie sonore sans l’énergie de son socle organisateur. Espérons qu’une nouvelle alchimie pourra se créer dans le futur. Le message aura été : la radio est plus vivante que jamais.

Pour aller plus loin :

  • Comme le compte-rendu fourmille déjà, de la liste des participant·es aux productions de chacun·e, il suffit de dérouler le blog du Bruitagène. Même les retours dessinés sur papier et scannés y sont, des dizaines de photographies et les meilleures recettes de cuisine : tout y est !
  • Le compte-rendu assidu et zélé d’un des participants, JM Trivial, de Radio Campus Clermont-Ferrand.
  • Et deux émissions rétrospectives que Récréation sonore, sur Radio Campus Paris, a consacrées à l’événement : 1 et 2.

Et après, ailleurs :

  • Les prochaines « Rencontres Radiophoniques » – autre moment d’échange de savoir-faire et de bons procédés [lire notre reportage sur l’édition précédente, La radio par le faire : les Rencontres Radiophoniques de Florac, Ariane Demonget, novembre 2015] – auront lieu à Die dans la Drôme, sous l’égide de R-Dwa et des radios voisines, du 3 au 6 novembre prochain.

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